La nuit du 22/04, l’activiste Chen Guangcheng s’éclipsait de chez lui à Dongshigu (Shandong), où il était assigné à résidence depuis 19 mois, succédant à 51 mois de prison pour avoir dénoncé 7000 avortements forcés en 2005 dans son district.
L’affaire frappa par mille étrangetés. Autour de Chen, 100 gardes veillaient. Plusieurs murs (
électronique, physique) le coupaient du monde. Malvoyant, cela ne l’empêcha de s’enfuir, marchant « 17h, chutant plus de 200 fois », se brisant un pied. Or, bientôt le rejoignait He Peirong, l’activiste qui depuis 2011 réclamait sa libération. Elle le ramena à Pékin en voiture. Il fit sa jonction avec Hu Jia, autre dissident, et se plaignit sur internet auprès du 1er ministre. Enfin le 26/04, après un rocambolesque échange de voitures, il entra à l’ambassade des Etats-Unis, suivi, mais non bloqué par la police…Des palabres s’ouvrent (29/04). Point essentiel, Chen ne réclame pas l’asile aux USA, mais veut rester « étudier le droit ». D’abord, le pied cassé et un soupçon (infondé) de cancer du colon imposent son transfert à l’hôpital Chaoyang (02/05), où il est admis « libre », emmené par l’ambassadeur Gary Locke.
Nouveau coup de théâtre, 6 heures après, Chen se ravise et réclame d’émigrer. C’est un homme aux abois : coupé du monde par des gardes, ses portables filtrés, son neveu Chen Kegui arrêté au Shandong. Enfin, après une tournée d’éprouvantes discussions, Pékin accepte (08/05) le principe de son départ. Tout ceci évoque une suite d’actions radicalement nouvelles dans l’histoire du régime. L’incapacité de la police secrète durant 5 jours à stopper cet homme entre chez lui et l’ambassade des USA, suscite des doutes.
Il se peut que Zhou Yongkang, chef de cette police d’Etat, ait été visé par un échec « préprogrammé ». Zhou, qui passe pour un des conjurés dans le coup de Bo Xilai, avait déjà laissé filer Wang Lijun, (07/02) au consulat US de Chengdu, donnant le coup d’envoi à la saga de Bo Xilai. Les deux affaires sont-elles mêlées ? Des rumeurs circulent, sans preuves.
Par deux fois en trois mois, les USA jouent un rôle central dans une crise interne à la Chine. Dans ce contexte, on admire l’inattendue retenue et la flexibilité des parties. Ainsi, Pékin a accepté que ce soient les diplomates et non les policiers qui négocient avec Washington, lequel de son côté a toujours observé la discrétion, et les solutions les moins dommageables pour le partenaire.
C’est qu’en même temps, les 02-09/05 à Pékin, se tenait l’annuel « dialogue stratégique », en présence d’H. Clinton. On a discuté : ouverture du marché financier chinois, fin de restrictions commerciales américaines, gestion de la crise syrienne, et de pays tels l’Iran ou le conflit avec les Philippines.
L’affaire Chen montre combien la relation sino-US s’est approfondie. La Chine a besoin des USA, et réciproquement : Obama pour se faire réélire, Xi Jinping pour obtenir des USA des avancées, qui renforcent son charisme au sein du PCC et de l’armée, nécessaire pour lui permettre de lancer l’an prochain des réformes de fond. On a l’impression d’une obligation mutuelle de s’entendre : « le temps n’est plus », dit ce témoin, « où nous pouvions risquer de casser la relation sur le sort d’un seul homme ».
Sommaire N° 17