Politique : Cent fleurs en hiver

« Que cent fleurs s’épanouissent » : l’anachronique slogan de Mao Zedong fut repris par Hu Jintao le 22/11 à Pékin, inaugurant deux Congrès d’un coup (Arts et Lettres, Ecrivains).

C’était le point d’orgue d’une ferme campagne de redressement culturel lancée au 6ème Plénum du Comité Central d’octobre. Les « cent fleurs » originales de mai 1956  appelaient à la pensée critique, avant de déboucher sur une sanglante épuration. Dans son discours, Hu rappelle l’Art à sa mission sacrée de « servir le peuple et le socialisme », et de truffer ses oeuvres d’idéologie. Une autre vieille référence transparaît : le discours de Yan’An (1942) où Mao assignait à l’artiste un rôle de propagande. 

La campagne frappe aussi la presse.

Promu le 24/11 Prsdt de la CCTV, Hu Zhanfan avait exposé en mai, à l’Association nationale des média, le nouveau mantra : le journaliste doit être un « porte-parole », et « ceux qui se définissent comme professionnels et non travailleurs de la propagande, font une erreur ».

L’Etat joint les actes à la parole. En novembre, les Présidents des groupes de l’internet (Baidu, Tencent, Sina, Youku…) sont invités à se lancer dans la chasse aux «fausses rumeurs » (dites « drogues dures ») sur les microblogs, apparentes cibles de la campagne. Car ici, un bouleversement de toute la société est en cours, aux conséquences aussi imprévisibles qu’inacceptables pour le leadership, comme l’expliquait (8/12) à Pékin le conférencier Renaud de Spens.

En 2009, suite aux émeutes d’Urumqi (240 morts), l’Etat interdit les réseaux sociaux étrangers (Twitter, Youtube, Facebook) et crée en un mois son Weibo « national ». Il croit possible de contrôler ces outils, en les coupant de leur racine occidentale. Mais concernant le microblog, c’est le scénario inverse qui se produit. Comme dans le cas des églises, également interdites de lien avec l’étranger, le Weibo s’est spontanément révélé un instrument 100% chinois, d’un dynamisme et d’une réactivité souvent supérieurs au grand-frère américain, outil hors de contrôle, aux 500 millions d’internautes. Une jeunesse frondeuse, formatée aux valeurs américaines, ose lancer sur le microblog de l’ambassade russe des milliers de messages critiques, en réalité adressés au PCC, tel celui-ci : « Russie, retourne chez toi, remporte ton communisme ». Tout est abordé, rien n’est épargné, et les 30 000 policiers de la pensée, effaçant 24h/24 les messages dérangeants, ne font pas le poids.

Dans cette campagne, la crise joue aussi, avec sa baisse de croissance à 9,1% en novembre. D’où les grèves (à Shanghai, centaines d’ouvriers contre la délocalisation de leur usine), ou ces centaines d’émeutes qui couvent pour des terrains confisqués, salaires impayés, heures supplémentaires tronquées… Bon moment pour rappeler aux intellectuels de « ne pas en rajouter ».

Mais, même vue sous ce prisme, le sens ultime de cette campagne semble bien de chercher à « repousser le diable dans la boite », à remettre la jeunesse à l’heure de la pendule des années ’60, et à défaut, de maintenir un semblant de stabilité durant l’interrègne, avant de passer la main à la prochaine équipe de Xi Jinping. 2012 sera chaud !

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