Petit Peuple : Hangzhou – la poupée et son tailleur

Milu, « Rosée de miel », est une gracile poupée aux traits fins, tirés au pinceau. Pour ce dîner de gala à Hangzhou (Zhejiang), elle a choisi une robe de soirée sobre mais à l’échancrure généreuse, à peine couverte par l’étole de vison, sous prétexte de se protéger des courants d’air.

August, l’Australien quinqua qui l’accompagne ce soir-là, avec sa femme Baitian, l’a rencontrée en juin à une foire internationale. Après 3 jours, elle l’invitait à dîner avec d’autres financiers locaux. Bien des détails frapperaient August lors de l’étrange nuit. Au club au luxe tapageur, nul ne toucherait aux huîtres, au foie gras importé. L’on se rattraperait sur les Châteaux Eyquem ou Margaux de 20 ans d’âge, sirotés à la paille avec du coca. Que ce fût pour justifier sa place en ce groupe exclusif, ou par habitude réelle de craquer gros, cette jeunesse dorée exprimait une indifférence vertigineuse envers l’argent.

A minuit en aparté, les yeux  fermes plongés en ceux d’August, Milu lui offrait ce deal : lassée des garçons chinois «fades et intéressés», elle voulait faire de lui le compagnon de ses nuits, à demeure. Il pourrait cesser de travailler. Elle avait bien assez pour deux. En amours comme en affaires, elle le propulserait vers d’autres sphères : sa fortune, il n’avait plus qu’à se baisser pour la prendre !

Sage, August ne fit qu’en rire, et s’excusa que l’offre lui parvienne si tard, étant depuis 20 ans comblé en mariage. De retour au foyer, il s’empressa de conter son aventure. C’était osé. La plupart des épouses, outragées, auraient exigé qu’il raie de ses carnets la voleuse de maris – les autres n’auraient voulu la revoir que pour lui arracher les yeux.

Mais Baitian était d’une autre trempe. Fille du Dongbei, d’ethnie coréenne, elle savait depuis l’enfance calculer par la bande les intérêts du clan. Après tout, cette Milu ne trichait pas en promettant fortune -elle l’avait elle-même. Aussi, pria-t-elle August de lui présenter la rivale, qu’elle reçut avec sourires et tasses de thé. Entre femmes, sans perdre de temps, Milu s’expliqua : elle aimait son corps, sa jeunesse (enfin, jeunesse relative, à 31 ans) et les hommes. Elle payait pour cela, en séances de body et de chirurgie esthétique. Trahissant l’espoir placé en lui, un chirurgien pékinois venait de rater sa dernière plastique du nez. Furieuse, Milu devait repasser sur le billard – mais au grand jamais, pas question avec le même incapable carabin.

Que n’avait-elle dit! Baitian aussi adorait la beauté. Férue de gym, elle aussi exigeait de pouvoir rectifier des années l’irréparable outrage, recaréner toute part de son être, ratée par la nature. L’homme, surtout la femme n’était que ce qu’il (elle) faisait de son corps !

Justement, elle avait à  Séoul un toubib surdoué, un Paganini du Botox, et il était en ville. Lee, patron d’une clinique, rêvait de multiplier en Chine ses officines, et cherchait des investisseurs. Vite, le deal fut bouclé : il emmènerait Milu au pays du Matin calme, pour lui refaire un nez plus làng​màn(romantique 浪漫). Si elle aimait le résultat, elle ouvrirait à Lee son carnet exclusif d’investisseurs, qui se jetteraient sur sa juteuse affaire.

Voilà pourquoi le soir du gala, Lee se levait à tout moment pour ausculter la belle Milu, tâter le nez, les maxillaires, tracer çà et là des lignes imaginaires, s’égarer sur la nuque entre 5ème et 7ème lombaire. La pamoison de Milu résonnait à l’unisson avec l’extase de Lee : avec cette incision, il payait à Pékin son bloc opératoire. En rabotant cette cloison nasale, il trouverait bien de quoi financer 20 chambres de patientes. Gonfler cette pommette, serait la 1ère pierre de sa clinique de Shanghai.

De l’autre côté de la table, Baitian, du coin de l’oeil, surveillait son chef-d’oeuvre. Elle avait assuré que Milu maintienne sa faveur à son homme. Mais elle lui avait aussi fait oublier son August de mari, en la jetant dans les bras d’un autre étranger. Et en prime, elle lui avait aussi donné ou renforcé les deux choses au monde les plus précieuses à ses yeux, l’attention d’un homme et son sex appeal. Pour tel fait, la milliardaire gâtée lui serait redevable au point de « s’en souvenir encore quand elle n’aurait plus de dents » (莫齿不忘 mò ch ǐ bú wàng).Quant au restaurateur de l’esthétique, il l’aurait pour toujours à la bonne. De la part de la sino-coréenne, avoir de la sorte tout construit sans rien détruire, c’était du très grand art !

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