« Ce livre n’est influencé par aucune propagande […] sans nulle emprise autre que mon ressenti […], ni pamphlet politique, ni guide touristique ! ». Dès les premières lignes, Olivier Grandjean veut préserver le récit de son parcours chinois d’un reproche de subjectivité en faveur du régime. Il se veut libre de tout parti-pris et imperméable aux « considérations politiciennes ». Est-ce bien le cas ? Parfois oui et parfois non, a-t-on envie de dire.
« La télé, la Chine et moi » (éditions Pacifica, février 2024), livre-témoignage, se dévore comme un roman, d’une traite, coulant comme une rivière, gouleyant comme un bon vin. Les pages restent toujours aimables, instructives et enlevées. Mais l’envers du décor, l’autoritarisme et les règles sévères de ce système néo-stalinien, l’auteur, installé à Pékin, les ostracise, préférant laisser libre cours à « son ressenti, sans nulle autre emprise ».
En contrepartie de cet alignement tacite, le régime lui a ouvert des trésors : un accès privilégié au pays, un accueil chaleureux de ses cadres et une très large diffusion dans son paysage audiovisuel. Et ces privilèges, Olivier Grandjean a su les faire fructifier au mieux, au bénéfice des deux communautés dont il fait le lien : à l’Occident francophone, à travers ce livre et ses clips touristiques, il propose un regard intime sur la plus belle Chine, ses fêtes, ses villes, ses campagnes ; et au Chinois de la rue, il offre un moment de détente et de fraternité, en compagnie d’un Européen amusant, amoureux de la Chine, et qui évite diplomatiquement de la critiquer.
Après un début de carrière auprès des chaînes de TV de la Réunion, de la Suisse, de la Belgique et du Québec, Olivier Grandjean est tombé un peu par hasard en Chine, recruté en tant qu’animateur d’Intervilles International, ce jeu télévisé français exporté partout dans le monde, qui opposait des équipes à des vachettes et autres épreuves. Ensuite durant 20 ans, pour le compte de la chaîne publique CCTV, il a enchaîné divers programmes de présentation du Céleste Empire au public étranger.
Sur le terrain, le présentateur TV s’est créé un style personnel, très porté sur la théâtralisation, l’improvisation et le désopilant. A chacune de ses apparitions, Olivier Grandjean se costume en tenues locales, et prétend à la fois raconter la vie, les mœurs du lieu, et même les jouer. A Qingdao (Shandong), tout en maniant balai de paille de riz en main, il décrit la ville, son héritage allemand, sa célèbre brasserie. A Yan’An (Shanxi), il est paysan, puis (improbable) militant de la Longue Marche de 1936. Dans ces tenues, il commente, danse, chante et travaille au service du peuple : « J’éprouve, dit-il, un plaisir particulier, enfantin sans doute, à faire des pitreries… C’est le propre des clowns […] mes frères de cœur ».
Son livre est écrit avec une plume au vocabulaire recherché, mêlant parfois l’argot et des termes baroquistes, toujours d’un goût très sûr. Sa langue fleurie rappelle celle de Michel Humbert, autre barde français de la Chine, auteur-amoureux de récits sur une Chine féérique.
C’est à un tour complet de Chine qu’Olivier Grandjean nous convie. La formule rappelle une autre référence des années 70 : « Bonjour Monsieur le Maire », l’émission quotidienne sur France Inter qui présentait chaque matin autrefois une petite ville de la France profonde.
Au Heilongjiang, il présente Beiji, la ville la plus froide et nordique du pays (-40° au cœur de l’hiver). A Feiding (Fujian), il raconte l’invention chinoise du thé par l’empereur Shennong et la conquête du breuvage par le pays. A Meizhou, il découvre la culture minoritaire des Hakka et leurs monumentaux Tulou, monuments circulaires de bois et d’argile crue pouvant abriter jusqu’à 20 000 personnes. Au Xishuangbanna (Yunnan), la fête du Songkran l’asperge de la tête aux pieds de giclées d’eau propitiatoire…
Parfois malgré tout, Olivier Grandjean semble s’aventurer un peu loin en parant de poncifs bucoliques un monde rural dont la réalité reste souvent encore trop proche de la misère. En outre, la reprise spontanée de certains slogans du Parti pourrait pousser le lecteur à questionner sa liberté d’auteur.
Le récit n’est donc pas toujours totalement neutre, mais c’est un choix qui est compensé par les scènes d’une variété inimaginable de ce pays et la créativité du théâtre qu’il en tire. En lisant ce livre à l’enthousiasme communicatif, une certitude : on y trouvera toujours des surprises et jamais l’ennui !
Par Eric Meyer
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Sommaire N° 15 (2024)