Après plusieurs mois de spéculations et d’incertitudes, le Parti a enfin annoncé un échéancier pour la tenue du 3ème Plénum, suite à une rencontre du Politburo le 30 avril. Initialement attendu en octobre/novembre dernier, ce grand rendez-vous politique aura finalement lieu au cœur de l’été, au mois de juillet.
Ce calendrier est plutôt rare. En effet, la dernière fois que le Parti a organisé un Plenum durant la saison estivale remonte à un peu plus de 35 ans, le 22 et 23 juin 1989, soit un peu plus de deux semaines après les événements dramatiques de la Place Tiananmen.
En l’absence de ce caractère historique « exceptionnel », comment expliquer le report de plusieurs mois du 3ème Plenum ? Si le Parti n’a donné aucune explication jusqu’à présent (ce qui est venu miner un peu plus la confiance des investisseurs), plusieurs facteurs ont pu entrer en ligne de compte : les mauvaises performances de l’économie, l’absence de consensus autour d’un plan de relance, les luttes intra-Parti (liées en grande partie à l’état de l’économie), le limogeage successif de plusieurs hauts placés du Parti et de l’APL (Armée populaire de libération) ou encore un agenda diplomatique chargé à l’automne dernier (sommet « Belt & Road » organisé à Pékin en octobre et rencontre avec Joe Biden en marge du sommet de l’APEC en novembre). Il se pourrait également que Xi Jinping ait été contraint de mettre le 3ème Plenum à l’agenda en raison d’impératifs temporels (la fin de la campagne d’éducation sur la discipline au sein du Parti en juillet, le conclave annuel de Beidaihe au mois d’août, un 4e Plénum en septembre/octobre) et politiques (pression interne au sein du leadership).
D’un point de vue symbolique, les « 3ème Plenum » sont souvent axés sur la réforme économique. Le plus mémorable d’entre eux reste sans aucun doute celui de 1978 (cf photo), souvent considéré comme le début de l’ère de la politique de réforme et d’ouverture. Cependant, étant donné les tensions au sein du Parti, l’état de l’économie chinoise et la situation diplomatique du pays, le 3ème Plenum de 2024 a davantage de chances de ressembler à celui de 1957, considéré comme le point de départ du Grand Bond en avant… Vu sous cet angle, il est peu probable que Xi fasse de ce Plenum une jonction critique dans l’histoire du Parti et qu’il puisse découpler « sa » nouvelle ère, de l’héritage de Deng Xiaoping.
Pourtant, les enjeux de ce Plenum sont considérables et le communiqué publié le 30 avril par la presse officielle n’en fait pas mystère : « [Des réformes sont] nécessaires pour remporter l’initiative stratégique face à une concurrence internationale de plus en plus acharnée ». Traduction : si nous échouons dans ces réformes, l’Occident – avec en tête bien sûr, le grand rival américain – pourrait réussir à contenir la montée en puissance de la Chine.
Pour faire face aux « nombreux risques » et à « une incertitude extérieure grandissante », le Parti promet « l’approfondissement de la réforme » ainsi que la poursuite de la « modernisation à la chinoise ». Il n’en fallait pas plus pour que certains analystes suggèrent que Xi allait potentiellement faire marche arrière et revenir vers une approche plus « Dengiste ». Leurs espoirs risquent d’être déçus.
En effet, si avant l’arrivée de Xi, « l’approfondissement des réformes » désignait la poursuite de la décentralisation et l’ouverture sur le monde extérieur, aujourd’hui, cette expression rime avec centralisation, planification et dirigisme… De même, la « modernisation à la Chinoise », qui sous Deng Xiaoping, se voulait une référence à un mélange des forces du développement économique occidental et du système politique chinois, est devenue une malle de slogans visant le renforcement du Parti-État. Voilà qui pourrait expliquer pourquoi les réformes libérales annoncées en 2013, lors du 3ème Plenum du 18ème Congrès, sont pour la plupart restées lettre morte. Certes, Xi était déjà au pouvoir à l’époque, mais n’avait pas encore les mains entièrement libres pour dessiner un programme à son image.
Néanmoins, le fait que le communiqué mentionne l’héritage théologique des prédécesseurs de Xi (la pensée de Mao, la théorie de Deng Xiaoping, les « trois représentativités » de Jiang Zemin et le développement scientifique de Hu Jintao) pourrait indiquer que certaines des réformes qui seront annoncées en juillet pourraient être des compromis entre les gauchistes et les libéraux. Après tout, même le « meilleur » programme aux yeux de Xi, basé sur « l’autosuffisance », la « circulation duale », « la prospérité commune », le marché national unifié, les « nouvelles forces productives » (et bien entendu, l’émission de dettes pour « créer » de la croissance) ne pourra pas relancer l’économie chinoise. Or, si le Parti veut voir le retour des investisseurs et stimuler le secteur privé, des concessions devront être faites. Tout dépendra du besoin de sécurité de Xi versus la nécessité de stabiliser l’économie pour ce dernier.
En attendant, le communiqué reste avare de détails sur le contenu et la portée des réformes envisagées, mis à part un accent prononcé sur l’accélération du développement de la région du Delta du Yangtsé, qui comprend Shanghai, le Zhejiang, le Jiangsu et l’Anhui. Ainsi, même si ce Plenum est annoncé avec deux mois d’avance, il est clair que les nouvelles politiques en matière d’économie ne sont toujours pas clairement définies. Le contenu « économique » du Plenum pourrait également être influencé par la visite de Xi en Europe, en particulier si un terrain d’entente est trouvé sur les questions commerciales.
En saura-t-on plus sur le sort des anciens ministres des Affaires étrangères et de la Défense, Qin Gang et Li Shangfu, et des ex-hauts gradés de la Force des missiles, de la Force de soutien stratégique, et du Département du développement de l’équipement ? Même si le Parti a tenté de respecter les procédures de renvoi dans le cas de Qin et Li, il se peut que le Parti demeure muet sur les raisons qui ont précipité leur chute. Il en va de même avec un potentiel rapport sur les résultats de la lutte anti-corruption au sein de ces unités de l’APL : il serait plus qu’étonnant que Xi accepte de parader l’ensemble des coupables ou encore de faire état des pertes. Il ne reste que le cas de Dong Jun, nouveau ministre de la Défense, que Xi pourrait essayer de faire élire à la Commission militaire centrale (CMC) afin de consolider sa position au sein du ministère, voire d’initier une potentielle ronde de réorganisation du groupe des vice-présidents de la CMC.
En résumé, même si le Parti devrait aller de l’avant avec de vraies réformes pour sauver l’économie domestique, les politiques qui seront présentées lors du 3ème Plenum risquent avant tout de favoriser la sécurité du régime et non pas la relance de la croissance dans son ensemble.
Sommaire N° 15 (2024)