Infrastructures : Birmanie : Barrage chinois bloqué, relation en crise

Électrochoc à Pékin le 30/09, après l’annonce de l’arrêt du chantier du barrage de Myitsone, au confluent des rivières Mali/N’mai (Birmanie ).

D’une capacité de 6 GW (1/3 du complexe des Trois-Gorges), ce projet devait coûter 3,6MM$ à la Chine. La nouvelle laisse un goût amer, car Pékin n’y était pas préparé: le 11/09 encore, le ministre birman de l’électricité défendait le projet. En 2010-2011, Pékin investissait 10 milliards$, sans compter 7,4 milliards$ de prêts, chez ce petit voisin au régime militaire qu’il protégeait depuis des lustres contre les sanctions de l’ONU.

Or les conséquences du revirement birman sont lourdes. Au total, ce sont 7 barrages, pour 20MM$, qui avaient été contractés sur 10 ans, sur le bassin de l’Irrawaddy : le très ambitieux projet d’exploitation d’un potentiel hydroélectrique quasi-vierge, est compromis.

Mis devant le fait accompli, Pékin aurait peut-être pu le voir venir. Depuis 2009, deux tendances émergent, qui remettent en cause la relation bilatérale exclusive :

[1] Sous l’influence de jeunes enrichis retournés d’exil des Etats-Unis, la junte sent le profit qu’elle tirerait d’une réconciliation nationale, venant fouetter cette économie endormie, sans réel risque pour son oligarchie. Dans ce but, elle a tenu en 2010 des élections (bidon, mais c’était un geste), mis fin à la résidence forcée d’Aung San Suu Kyi (11/2010), et libéré 6300 prisonniers dont au moins 206 politiques (12/10). D’ailleurs, le spectacle rare de la lady applaudie par un aréopage de militaires, à Nay Pyi Taw la capitale, aurait pu mettre la puce à l’oreille à Pékin.

[2] La population vit mal la présence du géant chinois, cassant son artisanat et exportant en masse ses ressources. Myitsone attisait le malaise : 90% du courant devait partir au Yunnan, et les 12.000 villageois déplacés, savaient qu’ils ne verraient rien des 54MM$ de recettes promises. Aussi le chantier avait mis fin à 17 ans de trêve à la guérilla dans l’État Kachin. Les écologistes brandissaient les risques d’envasement et de rupture de l’ouvrage à 100 km d’une faille géologique, menaçant 150.000 habitants de Myitkyina. Les militaires eux-mêmes partageaient ce ressentiment, révélé par les fuites de Wikileaks en février.

Aussi pour «respecter la volonté du peuple», Thein Sein le Général-Président a « suspendu » le chantier jusqu’à 2016, fin de son mandat.

Mais juste après, il fait tout pour contrôler le dérapage – un froid avec Pékin n’est pas soutenable. Le 10/10, son Ministre des affaires étrangères est à Pékin, et Tin Aung Myint Oo, le Vice-Président sinophile, s’apprête à le suivre. L’on rassure Pékin surtout sur l’autre projet géant, l’oléoduc Shwe-Kunming, 1400km à travers jungle, pour des MM$ d’investissement stratégique pour Pékin, afin de faire éviter le détroit de Malacca (pirates, 6ième flotte US !) à son pétrole importé.

Preuve de la gravité de l’affaire, c’est Xi Jingping en personne qui reçut l’émissaire. Il lui fit un accueil prudent, se disant « prêt à trouver une solution ». C’était une réponse élégante à un revers grave, car parmi tous ses alliés, la Birmanie était des moins susceptibles de lui faire défaut.

Suite au lâchage, Pékin révise ses options. Au Cambodge, South Power Grid quitte des projets de barrages controversés. En Ethiopie, l’Eximbank retarde des projets contestés sur le Nil… A la dure, la Chine apprend les limites d’une stratégie volontariste d’équipement du tiers monde, menée sans consulter les populations.

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