(Suite Editorial) La zone sinistrée est exemptée d’impôts. Les banques doivent prêter à bas taux et sur longue durée. Mais surtout, le budget de l’Etat, cette année, est coupé de 5% -même pour l’armée – afin d’alimenter un fonds de reconstruction de 10MM$, et permettre à la région de redémarrer « en trois ans ». Les 4000 orphelins estimés, les vieillards se sont vu promettre 600¥/mois. De nombreux projets d’orphelinats ou filières de placement se préparent…
Des acteurs nouveaux : le citoyen, les ONG. A travers toute la Chine, les citoyens se sont présentés pour partager l’effort de solidarité. Par milliers, des automobilistes ont voyagé pour apporter eau et vivres, et des volontaires se sont offerts pour faire secrétaires, cuisiniers, chauffeurs—voire même psychologue ou coiffeur. Parmi cet élan privé, figurent aussi les ONG. A Chengdu, 30 d’entre elles ont créé leur « Groupe d’action pour le sauvetage », collectant des milliers de rations de biscuits, nouilles instantanées, riz, médicaments. Partout en Chine, cet effort se reproduit : à Pékin, « 100 familles », ONG née dans la semaine, veut que 100 foyers de la capitale en parrainent 100 autres au Sichuan, pour soutenir à long terme leurs besoins en logis, école, amour… Or, l’Etat laisse faire, ce qui est un tournant dans sa pratique : jusqu’alors, les ONG, vécues comme «concurrentes» du régime, ne sont ni subventionnées, ni légalement reconnues… Côté étranger aussi, les ONG s’activent, telle la librairie Bookworm (Pékin/Chengdu), le site internet the Shanghaiist ou, depuis les Etats-Unis, la société sino-US de psychanalyse qui traduit/adapte, et imprime « mon histoire du séisme », livre de lecture destiné à 0,5M (pour commencer!) d’enfants su Sichuan, afin de pallier la pénurie en psychologues.
Temps de la reprise en main : En fait, la presse chinoise s’exprima d’emblée librement. Contrairement à la situation très contrôlée lors des grands gels de janvier et l’accident ferroviaire majeur d’avril, l’information du séisme sichuanais a été quelques jours libre. Les chaînes de TV ont fait du direct et du non-stop. Stimulés par l’ampleur du désastre, les media commerciaux ont pris plus de risques. Mais bientôt, la situation devint tendue -en réaction, peut-être inévitable, à la pression émotionnelle. Une inflation de sentiments hors contrôle déferle sur internet : tel pays, telle firme, telle célébrité n’a pas donné, ou pas assez, propage la rumeur. On veut savoir pourquoi 61 écoles bâties par Hong Kong et un certain nombre d’autres faites par le Japon ont tenu, là où 6.898 écoles locales, quoique construites avec le même béton, se sont effondrées.
Ou pourquoi l’armée a le monopole des hélicoptères, et a attendu 3 jours pour les envoyer… Pour couper court, Pékin promet une enquête (sur les écoles, pas sur l’APL!), voire des sanctions, mais rétablit une stricte censure… La presse désormais privilégie les actes héroïques, pour rasséréner. Dans cette optique, sont lancés 3 jours de deuil national (19-21/05), les premiers depuis le décès de Deng Xiaoping (1997). Partout, ce deuil a été suivi avec ferveur : les 3 minutes de silence (19/05 à 14h28), les gens déployant à leurs portes des drapeaux en berne, déposant fleurs, bougies et bâtons d’encens. L’action du régime est jugée très favorablement par l’opinion en général : la cote personnelle de leaders tels Hu Jintao ou Wen Jiabao est très élevée.
L’aide étrangère monte en puissance : exaspérée par le rejet des généraux en Birmanie, cette offre se reporte sur la Chine. Côté américain, on compte deux avions de matériel, 1,3M$ en cash et matériel et 30M$ réunis par 80 firmes comme Citi, Boeing ou Microsoft. Les multinationales européennes ont aussi bien réagi. Et plus encore, les Etats, qui lancent 13M$ d’aide d’urgence et de nombreux avions de ravitaillement (3 italiens, 2 tchèques, 2 français, 1 espagnol, 1 britannique, 1 autrichien, 1 irlandais, 1 slovène, 1 norvégien, 1 belgo-allemand). Cet effort a permis de faire dresser le camp belge « B-FAST » pour 2000 déplacés, 3 hôpitaux de campagne —l’allemand avec 120 lits et 250.000 consultations. L’antenne médicale française de 13 médecins, infirmiers ou experts, atterrissait le 25/05. Russie, Corée, Hong Kong et Japon ont déployé des efforts similaires, et cette aide monte en puissance de jour en jour…
Des pertes énormes, et pas d’assurance ! La Citic prévoit une perte de croissance nationale d’au moins 0,2%. Un exode humain est déjà visible dans les montagnes, des dizaines de milliers de gens sans bagage, sans route sous leurs pieds. L’usine la plus sinistrée est DEC, à Mianzhu, dont 200 employés ont péri, et 1MM$ d’actifs disparus. D’autres grandes entreprises, dont Sinohydro, State Grid, Sinochem et China Railways ont perdu 3000 employés et 4,4MM$ d’actifs. Au total, 14.207 firmes publiques et privées de la région, sont supposées avoir perdu pour 9,1MM$ dans le tremblement de terre.
Détail déroutant : sur les 10 à 20MM$ de pertes annoncées, les assurances ne rembourseront que 5% : le reste des sinistrés n’avait pas pensé à s’assurer. Il s’ensuivra, à l’avenir, un raz-de-marée de contrats nouveaux. Voire peut-être, à l’initiative de l’Etat, une assurance obligatoire, subventionnée, contre les désastres naturels !
PS : au plan nucléaire, le séisme apporte au Sichuan [1] une énigme : 50 «sources radioactives» ont été trouvées dont 35 «retrouvés» : s’agit-il des 60 missiles de moyenne portée en silos dans la région? et [2] une déception, le Sichuan, après avoir mis de grands espoirs dans le nucléaire civil, doit déchanter : clairement, cette filière ne peut exister qu’en dehors des zones d’activités sismiques…
Sommaire N° 18