Petit Peuple : La confusion de deuil à Siping

Depuis que l’oisillon s’était envolé, Liu Li (59 ans) se rongeait le sang à Siping (Jilin). Gou’er, son ingénieur de fils (24 ans) ne venait plus que pour le Chunjie -maigre aumône, chichement accordée.

Sur le conseil de Xing, son mari excédé de la voir déprimer, elle avait acheté Hulijing, pékinois de la haute, lauréat de pas moins de cinq concours canins…

A peine sur sa couche,Hulijing conquit sa place, dans la maison et le coeur de la patronne. Pas seulement en raison du prix d’or payé, mais aussi pour sa personnalité digne et alerte, sa complicité discrète de meilleur ami de l’homme.

En la rue sale de vieille neige, dans cette bourgade de brique et d’ennui, l’être de luxe tranchait. Tout le monde se retournait sur son pelage immaculé. Tout un chacun voulait caresser Mr Hulijing, qui se prêtait patiemment aux jeux des marmots. Grâce à lui enfin, Liu Li vivait sa vie de femme. Elle avait sa cour d’admirateurs, et son chien thésaurisait conquêtes et enfants. C’était le bonheur, jusqu’à ce jour fatal de novembre, où l’imbécile voisin Lu, sur sa moto trop rapide, brisa l’échine du chien!  

La retraitée pleura d’abord toutes les larmes de son corps. Elle passa par la colère froide, l’exigence, dents serrées, de faire souffrir le misérable, autant qu’elle-même. Tous les jours, le pilote maladroit se présenta un bouquet en main, que Liu Li ne prenait pas. Un Lu penaud, effondré, qui écoutait contrit les vertus répétées du trépassé. Enfin, l’éplorée retrouva son fond d’humanité. Consciente de la modestie des moyens de son voisin, elle accepta le compromis concocté par le juge : 500² de compensation.

Pendant ce temps, protégé par les frimas hivernal, Hulijing attendait la suite, sur le balcon. A peine l’accord finalisé, Liu et son mari se mirent à l’exécution du plan imaginé durant les insomnies des semaines passées. Doublant de leur épargne le chèque du chauffard, ils convoquèrent le taxidermiste, les pompes funèbres. Le 8/12 eut lieu la fête. Rien n’y manqua, ni l’équipe de TV, ni l’orchestre funéraire (tambours, crécelles, fifre), ni le maître de cérémonie (le moine taoïste), ni même le catafalque de cristal à 7000¥. Mise au parfum, la presse était là, avec les amis, voisins, notables. Dans la cour, inconscients du drame, les fils du toutou jouaient devant l’auteur de leurs jours…

Ce fut une bien belle fête. Doucement réchauffés par le vin de Shaoxing servi à flot, les convives ne trouvèrent pas étrange que le couple, sans en avoir l’air, confonde ainsi l’amour humain et le canin, et reporte le deuil du fils sur leur chien, traité comme s’il était le fruit des entrailles de Liu Li,  视如己出 shi ru ji chu !

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