Le Vent de la Chine Numéro 4

du 30 janvier au 19 février 2006

Editorial : Pessimiste, fidèle, le Chien de 2006 !

Exit l’année du coq ! Le 29/1 春节 Chunjie (fête du printemps), voici le Chien, «inventé» dans le Dongbei, il y a 16.000 ans (selon une étude internationale de 2003), dont le nom français donne l’anagramme du Céleste Empire: le plus chinois des signes astraux !

Pourtant, ce chien-là  fait  la grimace, sans doute à cause de l’élément du feu qui lui est associé, symbole du Dieu du Devoir. Aussi les devins consultés par le VdlC, sont  négatifs- avec nuances : gare aux maladies et aux incendies, mais les guerres diminueront! Les métiers de l’eau (marine) souffriront; mais réussiront – Feu oblige- ceux de l’énergie et de la restauration, de la terre (ciment, agriculture), du bois (textile, pharmacie), du métal (auto,électronique, finance). Pour commencer un job, le temps propice serait le 1er février, sous les couleurs du feu bien sûr : jaune, rouge, orange, violet

Nés dans l’année, les garçons seront loyaux et attentifs, mais aussi dépressifs. Les filles s’avéreront belles, mais querelleuses…Juste compensation après tant d’abois : on se mariera fort en cette année aux 385 jours (au 13ème mois lunaire, comme en 1944), et aux deux journées de 李春 «lichun», configuration astrale de fécondité faste.

Folles ou sages, ces croyances sont tenaces : Hong Kong  broie du noir, pleure son rôle de 1er port mondial (cédé à Singapour), son vieillissement. A l’inverse, séduite par la fidélité du Chien,  Jiangshan (Cie de Jilin) recrute à prix d’or des jeunes nés sous son signe20.000²/an pour un ingénieur-chef…

Et le Parti? Telle Jiang Qing, veuve du Timonier, qui se voulait le chien de Mao, il continuera à donner de la voix pour imposer sa discipline désabusée. Comme chaque année, il approvisionne les marchés  (pour le réveillon), annonce des bonnes nouvelles, telle la chute du nombre des délits en 2005 (4,6M de cas et -1,5%). Il aligne les promesses de choses qui manquent, tels écoles ou hôpitaux pas chers, rétablit le droit aux pétards durant les fêtes; aux taulardes, il offre une journée intime avec leurs maris… A ce moment de grâce confucéenne, il veut se faire aimer, et met en sourdine sa guerre à la superstition!

En l’année de son signe, le chien dont l’existence en ville était interdite 12 ans avant, vient de décrire un bond en avant à travers le cerceau de feu de la mutation bourgeoise. A Pékin depuis 2003, sa taxe a chuté de 500² à 100². Ils y sont 1,4M, soignés par 120 cliniques vétérinaires, égayant la solitude des 30% de foyers désertés par les enfants -les fameux nids vides, qui seront 80% en 2010. Les lendemains canins chantent, au moins autant que ceux des prolétaires !

 

 


A la loupe : La Chine, nouveau n°4 mondial

En décembre, la Chine révisait à la hausse son bilan économique pour 2004 : + 231MM² oubliés dans le secteur des services—l’équivalent d’une Autriche. Ce mouvement lui faisait dépasser l’Italie au palmarès mondial. La voilà qui récidive (24/1), en publiant son chiffre pour l’an passé : avec 1872MM² et une croissance de 9,8%, c’est la France (1631MM² de PIB, +1,6%) qu’elle passe sans discussion, pour occuper désormais le 4ème rang mondial.

Pour 2006, la NDRC prédit la poursuite de sa chevauchée irrésistible, qui lui fera griller le Royaume-Uni. Allemagne et Japon attendront encore quelques années, mais c’est clair, seuls les USA resteront hors de portée, pour une ou deux décennies.

Jusqu’où ira la Chine ? Difficile à dire, alors qu’elle a doublé la valeur de son économie en 10 ans. Mais elle compte aussi ses faiblesses, car cette économie est tournée sur l’export, +28% en 2005, à 620MM² (surplus de 83MM²), et peu sur la consommation intérieure -son épargne, à 47% du PIB en 2003, faisait le double de la moyenne mondiale.

En 2005, son industrie produisit 16,4% de plus, et vit ses prix monter de 5%. Ses fusions et acquisitions enregistrèrent un bond en avant—signe d’une mutation industrielle florissante : +34%, à 38MM².

La SASAC, tutelle des grandes entreprises publiques, signale que les profits des 169 les plus puissantes atteignirent 63MM², soit +28%, tandis que leurs actifs progressaient de 15%, à 1070MM². Pas forcément par bonne gestion d’ailleurs : une part de ces profits provient de la hausse du pétrole et des matières 1ères, dont elles sont les pourvoyeuses monopolistiques. L’effet de taille, et la  synergie étrangère joue aussi son effet : renforcé par la reprise d’IBM, Lenovo a gagné, au 4ième trimestre, 40% de profits, sur ses ventes d’ordinateurs, et étoffe sa gamme mondiale, sur le laptop bas de gamme.

En confiance, cette économie s’ouvre : l’étranger peut acquérir des firmes chinoises – FEDEX rachète 400M$ sa JV  de transport à travers le pays. On assiste aux 1ers rachats de Grandes Entreprises, sur crédit hypothécaire… La Chine mûrit à toute vitesse, conformément à son nouveau statut de  puissance mondiale!

 

 

 

 

 


Joint-venture : Nucléaire – le pas de Toshiba

— La Chine fait rêver par sa culture, son antiquité, et interpelle par son éveil de puissance commerciale: autant d’arguments qui font qu’on vient y voir.

L’an passé, les touristes étrangers furent 120M, dont 3,6M à Pékin (3,1M, en ôtant ceux de Hong Kong et Taiwan). Soit +15%, pour 96MM$ de recettes. Et d’ici aux Jeux Olympiques, l’élan ne fera que croître. Il est d’ailleurs réciproque (cf article “luxe”, p.4), avec ces 31M de Chinois qui eurent la bougeotte en 2005, et prirent la clé des champs hors du pays, y laissant 75MM$, selon l’estimation très conservatrice du ministère des finance. Et ce n’est qu’un début—on n’en est encore qu’aux balbutiements.

— Jusqu’en 2001, Macao, le casino de l’Asie (50% de son PIB) et d’un roitelet, Stanley Ho : cette année là, l’éclatement du monopole relança l’économie locale, acheminant des flux inavouables de fonds chinois ou US.

La reconquête sur la mer alimente un programme hôtelier de 70.000 chambres en 5 ans, pour faire de Macao la nouvelle frontière du tapis vert. Dès 2004, l’enclave recevait 16,7M de visiteurs, avec 40% de plus, venus de Chine. En 2005, Air Macao cédait son monopole.

Reste à peupler cet aéroport sur pilotis : jusqu’à 18 Cies très low cost surgissent des limbes, jetons de transporteurs régionaux anxieux d’exploiter cette manne. Tel Macao Asia Express (= CNAC, Air Macao, Stanley Ho qui reprend d’une main le pouvoir perdu de l’autre, et investit dans MAE pour 30M$, et 33%). Tel aussi  Tiger (participation de Singapore Airlines), ou Air Asia (Malaisie). Dans cette liste, un nom se distingue : Viva Macau, d’origine trouble (Las Vegas?), anxieux d’attirer avant d’autres les joueurs de Tokyo, Hawai ou Moscou.

Pour 1,75MM$, Boeing vient de remporter ce contrat : dès juin, une poignée de B767 leasés, et dès 2008, à la sortie d’usine, 12 dreamliners -dont Seattle totalise désormais 380 ventes fermes !

— Faible en Chine (2,3% de ses capacités installées), l’énergie nucléaire y fait soudain parler d’elle.

On sait depuis l’an passé, le plan de 30 réacteurs de1000MW en 15 ans, pour un invest de 40 à 50MM². Or, le 26/1, l’électricien Datang annonce une JV avec Guangdong Nuclear pour 2 unités de 1000MW moyennant 2,9MM$ à Ningde (Fujian). Mais ici, 1 mystères :

[1] Datang n’y connaît rien en nucléaire, et

[2] elle est déjà endettée par la hausse du charbon, et sa course au rachat de centrales thermiques. Sur le fond, ce que cela annonce, est une série de coopération (encouragées par Pékin) entre provinces et électriciens locaux, pour occuper le marché du nucléaire de la génération présente.

D’autre part, Toshiba coiffe General Electric (GE) et Mitsubishi (25/01) pour reprendre Westinghouse, le constructeur anglo-US de centrales. Le prix offert, 5MM$, pulvérise les 3,5MM$ attendus. Or, là aussi, l’industriel japonais déjà en Chine sur un programme ambitieux dans les écrans plats/TV, dont il prétend quadrupler en 2 ans sa part du marché, aura du mal à payer. Mais l’enjeu est encore ce même plan nucléaire chinois. Auteur de 61% des centrales dans le monde, Westinghouse s’offre pour un contrat de 4 réacteurs et 8MM$. Pour s’approprier ces outils de nouvelle génération, de Westinghouse ou Areva, la Chine n’aura d’autre choix que de coopérer avec les uns et les autres—quitte à les mettre en concurrence !

— Depuis 2004 n°1 mondial de la cervoise, après son rachat du brésilien Ambev, le belge InBev (ex-Interbrew) frappe un gros coup en Chine en reprenant Sedrin (23/01), la prospère brasserie du Fujian, 35M d’habitants, dont elle tient 45% du marché avec ses 3 usines.

Le montant de la transaction est à la hauteur de l’enjeu : 614M². Les producteurs de Stella Artois et de Hoegarden deviendront ainsi n°2 national, avec 35M d’hectos (12% du marché), juste derrière l’américain Anheuser-Busch. Sedrin devient sa 5ème plus grosse unité mondiale. Le rachat belge correspond à la reprise immédiate des 40% de parts d’Etat et à celle d’ici ’07, des 60% privés. A une condition d’InBev: que le feu vert public vienne avant décembre, pour permettre au groupe une économie en écritures de 110M². Son classement régional est également assuré: avec ses marques Stel-la, Beck’s et Brahma, InBev est leader au Guangdong, au Zhejiang et au Fujian.

Envers de la médaille : cet achat va trancher des 100aines d’emplois à travers les unités d’InBev en Europe, dont 45 en Belgique !

 

 

 


A la loupe : L’introuvable architecture verte !

Construite trop vite, la nouvelle architecture chinoise se limite trop souvent à un vague grand tout convexe, ou à l’orientation d’une fenêtre selon le Feng Shui (énergie «vent & eau »)

Quoiqu’en plein redéploiement, la ville chinoise fait donc vieux jeu, comme si ses architectes manquaient de personnalité—ou d’esprit pratique. Témoin ce projet-pilote d’innovation énergétique à l’université Tsinghua : flatteur, mais impraticable, vu le coût des matériaux et l’aspect expérimental des techniques. Et pourtant, Emmanuel Breffeil, architecte à Tsinghua est catégorique: ses collègues chinois sont aussi novateurs qu’ailleurs : « toutes les politiques et les techniques sont prêtes ». Le frein se trouve au niveau des groupes d’immobilier.

Ayant pris des risques élevés auprès des banques pour assurer leur propre ultrarapide montée en puissance (8 sur 10 des hommes les plus riches de Chine, sont dans la construction), ils ne peuvent prendre le moindre risque technique, et doivent s’astreindre à un retour d’investissement très court, au détriment des clients.

Mais le vent tourne, poussé par l’attente d’un client plus prospère, et l’appel de l’Etat aux économies d’énergie. Green Beijing, 3000 militants de tous bords (du patron à l’étudiant), se mobilise pour encourager des matériaux  tels bois ou acier, plus «écolo» que le béton (non-recyclable et trop froid). Quoique tolérées par l’Etat, ses méthodes sont sulfureuses : pétitions, occupation de lieux publics, appels à la presse, pour influencer l’opinion, les promoteurs.

Ils trouvent à leurs côtés des cabinets d’architectes motivés, lassés de bétonner à tout va, qui se regroupent sur des projets défenseurs de l’environnement. Tel ceux de CBDC, le groupe chinois d’ingénierie et d’architecture, en charge des structures d’acier sur les chantiers de la piscine et du stade Olympiques

Par de telles forces, le tableau bouge par petites touches, vers une construction plus confortable et environnementale. «Pour les économies d’énergie, conclut Breffeil, je n’ai aucun doute qu’on va y venir. Le vrai problème de demain, concernera les égouts, le  tri sélectif des ordures : là, la population a désappris, et il y aura un tournant éducatif à assurer ! »

 

 


Pol : Pékin – Ryad, accord géant dans les coulisses

— Entre Chine et Arabie Saoudite, les rapports sont anciens, et secrets.

Pour autant, ils ne peuvent être insignifiants, parlant du 2d consommateur mondial de pétrole, à la demande croissant de 15%/an et du 1er producteur mondial -également  1er fournisseur de la Chine!

Ces deux pays ont aussi un puissant potentiel politique, entre la Chine aux ambitions claires, et le coeur de l’Islam, comptant parmi ses fils un certain Bin Laden… Tout cela fit de la visite du roi Abdallah, le 23/01 (la 1ère à l’étranger depuis son couronnement en août) un succès aussi vibrant que tacite.

Parmi les accords avoués, figurent un traité de non double-imposition, et un prêt de la Banque Saoudienne de Développement à la ville d’ Aksu (Xinjiang) – dans la lignée des nombreux prêts de la dynastie hachémite à des communautés musulmanes de Chine, tels ceux au séminaire d’Urumqi ou à la Grande Mosquée de Xi’an.

Des échanges politiques peut-être essentiels eurent lieu avec Hu Jintao, Wen Jiabao et Wu Bangguo (n°2 du régime) à propos de Palestine et d’Irak, région où les deux parties peuvent souhaiter limiter l’influence américaine. En matière d’énergie, plane une déclaration d’intention à très grande voilure, sur différents projets tels la création par l’ArabieSaoudite dans l’île de Hainan, en 6 ans, d’une réserve stratégique chinoise de 180 jours, soit  200Mt. Ceci signifierait une explosion des livraisons, de 20Mt l’an passé (17% des importations).

La Chine participerait en grand au développement du gaz saoudien. L’Arabie prendrait pied dans la distribution, et la pétrochimie chinoise (où elle construit déjà deux méga-raffineries)… A suivre !  

— L’envie de visite au Japon de Lee Teng-hui, l’ancien Président taiwanais, à partir du 10 mai  pour quelques semaines, permet à Pékin de rappeler son opposition de principe, mais surtout de tendre une main : entre ces deux voisins géants en plein litige, bien des angles s’arrondiraient, moyennant un “traitement correct (sic) de la question taiwanaise”.

Nonobstant les autres pierres d’achoppement (le partage du pétrole marin, l’insistance du 1er ministre Koizumi à fréquenter le mémorial de Yasukuni, où reposent des criminels de guerre). A Tokyo cependant, le message passe mal. Une de ses firmes vient de vendre 9 hélicoptères de traitement agricole à la firme chinoise de photo aérienne  BVE, que Tokyo croit liée à l’APL (armée populaire de libération). Or, ces engins de belle taille (3,63m d’amplitude) et sophistiqués (pilote automatique, GPS) auraient des capacités de renseignement. Entre ces deux, le climat reste donc… hivernal.

—  Sujet très en vogue dans les restaurants, chez les coiffeurs : « Mémoires d’une Geisha », le long métrage de R. Marshall (fresque des années ’30-40 au Japon), sortira, sortira pas? A deux semaines du grand jour (10/2), le visa de censure n’est pas accordé, du fait de la forte polémique : les trois Geishas héroïnes sont  jouées par des Chinoises. L’opinion

L’opinion déplore que des filles du pays interprètent des filles de joie (ce qui n’est pas le cas!), ou des amantes de capitalistes nippons. Chen Kaige, le réalisateur, enfonce le clou : «des Chinoises ne peuvent jouer des geishas». Curieusement, le public japonais se fâche aussi du choix par Hollywood d’actrices du continent —et entre Zhang Ziyi et Gong Li, les «Geishas» rivales, l’une 25 ans, et l’autre 40, nulle tendresse ne semble gaspillée… Un film qui divise donc, ou plutôt, qui exacerbe un malaise ancien !

— La visite (10-19/01) du ministre des affaires étrangères chinois, Li Zhaoxing par Cap Vert, Sénégal, Mali, Liberia et Nigeria a permis d’ensemencer le terrain pour une pépinière de téléphonie chinois à travers le sous-continent noir. Huawei a signé (14/01) un accord avec la Sotelma (Mali) pour développer le réseau de télécommunications national… Pour entretenir l’amitié,  Li avait préalablement remis au chef de l’Etat 3M² en aide au développement -petit chèque permettant d’ouvrir un débat technique, par exemple de vente de pétrole (le véritable enjeu pour la Chine) payé partiellement en téléphonie.

Au Kenya, Mutahi Kagwe, ministre kenyan de la communication a déjà sauté le pas, annonçant le choix de son pays pour le standard CDMA, version chinoise, dans les zones «plus reculées».

En Angola, ZTE, l’autre champion chinois de la téléphonie obtenait dès juin ’05 de l’opérateur local Mundo Startel, un contrat pour quelques terminaux téléphoniques.

Ici, la Chine exploite ses deux atouts provisoires : ses filières à bas prix (équipement, génie civil, biens de consommation), et son non-alignement qui satisfait en Afrique comme ailleurs, des jeunes gouvernements post-coloniaux.

— Pour le ballon rond chinois, la saison 2005 avait été terrible, rongée de matchs truqués, de grèves de joueurs, d’ententes entre intérêts politiques provinciaux et «sifflets noirs»

(arbitres marrons) : clubs et fans, dégoûtés, jetaient l’éponge, comme Sepp Blatter, Président de la FIFA, ou Siemens, sponsor national qui dénonçait son contrat. D’urgence, un homme intègre, Xie Yalong avait été parachuté  à la tête de l’ACF (la structure administrative organisant la Super-Ligue), pour tenter en quelques mois le grand nettoyage. Or, à deux mois de la nouvelle saison, le climat est tout sauf rose ! Lors d’une réunion d’entraîneurs dans le Guangdong (17/1), Xie menace, si les fraudes persistent, de supprimer le championnat.

Curieusement, cette menace, si elle se matérialisait, ouvrirait la voie à la demande des clubs l’an passé : s’organiser par eux-mêmes, et lancer leur championnat autonome —une fédération, menace à la raison d’être de l’ACF. Ce que la Commission des sports prétendait l’an passé interdire. La menace du patron du football, pénaliserait avant tout sa propre administration. Où va-t-on ?

RDV en mars, lors des 1ers matchs, pour le prochain avatar de la Super-Ligue —qu’il est certainement trop tôt pour enterrer  !  

 


Temps fort : La fête du printemps lunaire : aperçus, mode d’emploi

Où qu’il réside, le Chinois, lors du Chunjie, vit sous la loi d’airain: les enfants doivent retourner chez les parents (au village) et observer les rites. Avant l’an neuf, il est impératif d’avoir réglé ses affaires : payé ses dettes, trouvé l’emploi, le logis, marié sa fille. S’être rabiboché avec le voisin. Pour le patron, l’enveloppe rouge (1000 à 3000¥) est de rigueur, attendue par 87% des travailleurs -50% l’épargneront, poire pour la soif !

Comme chaque année, les transports furent éprouvants : en trois semaines, 2MM de gens prirent le bus (90M/jour), le train (4M/j), l’avion (-de 1%). Or, le froid au Henan (20-23/1) bloqua sur les routes ou dans les gares des M de voyageurs, encombrés de mille cadeaux pour la famille. Aussi ces voyageurs jeunes, se fiant à leur expérience,  voyagèrent  en portant des couches pour 3ème âge, afin de remplacer l’usage des toilettes, inabordables !

Vestige de guerre froide, l’éphémère avion vers Taiwan réapparaît. Du 20 au 7, 72 vols relieront 6 villes des 2 rivages, moyennant un crochet politique (sans atterrissage) via Hong Kong ou Macao. Pékin milite pour que ce provisoire se pérennise -sur la défensive, Taipei fait la sourde oreille.

Le 28/1 à minuit, ce fut la débauche des pétards, et un plat de 饺子jiaozi (raviolis) spéciaux, dont un seul, chargé d’une piécette : la «fève»,version chinoise! Ce soir, les «chiens» devaient porter à même la peau un fil rouge, pour se protéger des démons, friands de leur chair !

Durant les fêtes, 1000 interdits furent de rigueur: tuer, prêter, jurer, manier ciseaux, ou (surtout) croiser ses baguettes. D’où, après ces 8 jours étouffants, tant de divorces en perspective !

 

 


Autres : Santé : la misère des hôpitaux chinois

Weng Wenhui, 74 ans, fut admis en juin 2005 à l’hôpital n°2 de Harbin (Heilongjiang). Qu’il décède 2 mois plus tard, était dans l’ordre naturel des choses, souffrant d’un cancer de la lymphe. Mais l’addition fit tiquer : 550.000 ² ! Bon fils (riche), l’hériter paya, mais éplucha ensuite le compte, et fit de bien étranges découvertes !

A en croire l’établissement, en 67 jours, le décédé aurait subi 1180 consultations, des 10aines de radios, même après sa mort. En un jour, on lui avait asséné 9,4l de sang, 100 litres de sérum. Il y avait aussi ces kilos de médicaments (pour 100.000 ²) demandés par l’hôpital à la famille, et disparus sans laisser de trace… Face aux plaintes de la famille, l’hôpital «enquêta», et conclut qu’au contraire, bien magnanime, il n’avait pas forcé sur la note…

Finalement, Sous la pression judiciaire, le médecin traitant craqua, avoua que l’hôpital l’avait forcé à truquer son diagnostic pour imposer cette addition plus dictée par le business que par Esculape. L’affaire a fait grand bruit en Chine, même si aucune sanction à ce jour n’a été publiée. Elle n’est pourtant pas rare : le même mois, à Shenzhen (à l’autre bout du pays), un patient est mort en 50 jours, après 24 examens radios, 140 médicaments, dont 16 antibiotiques, des dizaines de tests dont la plupart imaginaires, pour une douloureuse de 120.000 ² ! Ailleurs, à Pékin, le prestigieux hôpital Tongren laissa un travailleur migrant mourir dans un couloir, après avoir 2 fois refusé de le soigner, faute de prouver sa solvabilité. Tandis qu’ à Nankin, une vieille femme préféra se noyer, afin d’éviter à ses enfants le coût de son opération de l’estomac…

Diagnostic : Depuis 1980, les hôpitaux (96% des soins chinois) n’ont plus reçu un sou de l’Etat pour fonctionner. Forcés à vivre avec des salaires officiels inférieurs à ceux d’ouvriers, les médecins ont limité leur activité à la population solvable, moyennant une palette de procédés illégaux mais obligatoires : bakchichs pour opérer, prescriptions de médicaments, soins ou tests inutiles mais ruineux, et quintuple profit sur la nuit d’hospitalisation, facturée 2100², pour un coût de 300². De la sorte, les frais de santé en Chine ont augmenté de 11%/an depuis 1990, bien plus que la hausse salariale (max. 9%, en ville).

Or, en 2004, seuls 15% ont la sécurité sociale, et 10% la retraite. L’Etat tente d’accélérer l’élargissement de la sécurité sociale, au rythme de 6% par an – mais à ce compte, il n’aura encore que 220 millions d’assurés d’ici 2020. Autant dire que la plupart des gens n’ont pas les moyens de se faire soigner, et préfèrent la médecine alternative, les soins par les herbes, voire comme ces 60 à 80% des paysans malades au centre du pays, et rester chez eux pour mourir au lit, plutôt que d’affronter l’hôpital.

D’autant que prix astronomiques ne rime pas toujours avec qualité. Certes, on refait de manière luxueuse les chambres, on importe des scanners, mais en même temps, l’incendie de l’hôpital de Liaoyuan (Jilin) le 16/12, dû à des circuits électriques défectueux, causa 38 morts… Seule bonne nouvelle : l’Etat annonce un  nombre de séropositifs en régression, à 650.000 cas au lieu de 860.000 précédemment, et 75000 sidéens. Formidable bond en arrière, due affirme t’il à une meilleure méthode de comptabilisation. Sous réserve d’inventaire !

 

 


Petit Peuple : La confusion de deuil à Siping

Depuis que l’oisillon s’était envolé, Liu Li (59 ans) se rongeait le sang à Siping (Jilin). Gou’er, son ingénieur de fils (24 ans) ne venait plus que pour le Chunjie -maigre aumône, chichement accordée.

Sur le conseil de Xing, son mari excédé de la voir déprimer, elle avait acheté Hulijing, pékinois de la haute, lauréat de pas moins de cinq concours canins…

A peine sur sa couche,Hulijing conquit sa place, dans la maison et le coeur de la patronne. Pas seulement en raison du prix d’or payé, mais aussi pour sa personnalité digne et alerte, sa complicité discrète de meilleur ami de l’homme.

En la rue sale de vieille neige, dans cette bourgade de brique et d’ennui, l’être de luxe tranchait. Tout le monde se retournait sur son pelage immaculé. Tout un chacun voulait caresser Mr Hulijing, qui se prêtait patiemment aux jeux des marmots. Grâce à lui enfin, Liu Li vivait sa vie de femme. Elle avait sa cour d’admirateurs, et son chien thésaurisait conquêtes et enfants. C’était le bonheur, jusqu’à ce jour fatal de novembre, où l’imbécile voisin Lu, sur sa moto trop rapide, brisa l’échine du chien!  

La retraitée pleura d’abord toutes les larmes de son corps. Elle passa par la colère froide, l’exigence, dents serrées, de faire souffrir le misérable, autant qu’elle-même. Tous les jours, le pilote maladroit se présenta un bouquet en main, que Liu Li ne prenait pas. Un Lu penaud, effondré, qui écoutait contrit les vertus répétées du trépassé. Enfin, l’éplorée retrouva son fond d’humanité. Consciente de la modestie des moyens de son voisin, elle accepta le compromis concocté par le juge : 500² de compensation.

Pendant ce temps, protégé par les frimas hivernal, Hulijing attendait la suite, sur le balcon. A peine l’accord finalisé, Liu et son mari se mirent à l’exécution du plan imaginé durant les insomnies des semaines passées. Doublant de leur épargne le chèque du chauffard, ils convoquèrent le taxidermiste, les pompes funèbres. Le 8/12 eut lieu la fête. Rien n’y manqua, ni l’équipe de TV, ni l’orchestre funéraire (tambours, crécelles, fifre), ni le maître de cérémonie (le moine taoïste), ni même le catafalque de cristal à 7000¥. Mise au parfum, la presse était là, avec les amis, voisins, notables. Dans la cour, inconscients du drame, les fils du toutou jouaient devant l’auteur de leurs jours…

Ce fut une bien belle fête. Doucement réchauffés par le vin de Shaoxing servi à flot, les convives ne trouvèrent pas étrange que le couple, sans en avoir l’air, confonde ainsi l’amour humain et le canin, et reporte le deuil du fils sur leur chien, traité comme s’il était le fruit des entrailles de Liu Li,  视如己出 shi ru ji chu !

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