Conçu dans les années 90 en tandem franco-allemand, le premier EPR au monde, réacteur nucléaire de troisième génération, prenait vie en décembre 2018 à Taishan, 150 km au sud de Canton. Neuf mois plus tard, le deuxième EPR était inauguré en septembre dernier. Une réalisation qui fait la fierté des électriciens chinois CGN (51% de la JV), de Guangdong Energy Group (19%), mais aussi d’EDF (30%) et de toute la filière nucléaire française.
En une démonstration de force, pour la deuxième unité de Taishan, la phase de test avant mise en service a été d’une durée comparable à celle des réacteurs standards CPR-1000 chinois. Ensemble, les deux réacteurs possèdent une capacité de 3500 mégawatts et sont dimensionnés pour produire jusqu’à 24TWh, suffisamment pour alimenter 5 millions d’habitants de la province du Guangdong. Cela représente 21 millions de tonnes de CO2 en moins dans l’atmosphère chaque année, un avantage de poids pour la Chine, qui cherche à tout prix à décarboner son électricité. Tout au long du cycle, depuis l’installation au démantèlement, l’EPR ne rejette que 4 grammes de CO2 par KWh produit, et 0 gramme durant le cycle de production d’électricité, comme d’ailleurs toutes les centrales nucléaires du parc français. A l’inverse des réacteurs classiques, l’EPR est plus respectueux de l’environnement et utilise moins de combustible qu’une centrale nucléaire classique, soit autant de déchets radioactifs en moins. Il est aussi présenté comme la « Rolls » de la sureté, capable de résister au pire des scénarios catastrophes : super-typhon, crash d’un avion sur sa coque … Si le cœur entre en fusion, un récupérateur de corium est prévu sous la cuve du réacteur. En cas de coupure d’électricité, six moteurs diesel sont prêts pour rendre le relais. L’EPR intègre aussi dans sa conception les leçons tirées de l’accident Fukushima en 2011. Et c’est le seul réacteur de troisième génération qui répond aux exigences strictes des autorités de sureté nucléaire de quatre pays (France, Finlande, Chine, Royaume-Uni).
Alors que le chantier avait débuté plus tard à Taishan (2009) que celui de Olkiluoto (2005) dans le sud de la Finlande et de Flamanville (2007) dans la Manche, comment expliquer ce succès chinois ?
D’abord, si la tête de série à Flamanville a essuyé les plâtres, le retour d’expérience hexagonal a permis en Chine d’adopter tout de suite certaines bonnes méthodes. Par exemple, les fondations du bâtiment réacteur ont été bétonnées en une seule fois, contre deux couches successives à Flamanville-3.
A Taishan, 84% des équipements de haute technologie dans la partie nucléaire ont été fabriquée par des entreprises françaises ou européennes. Au total, avec la participation de près de 40 firmes tricolores, le chiffre d’affaires pour la filière nucléaire française à Taishan est estimé à 2,4 milliards d’euros pour les deux tranches. Le coût de construction total serait lui de 12,35 milliards d’euros selon le rapport Folz. A noter que le taux de localisation des équipements a été plus important pour le deuxième EPR : les générateurs de vapeur, le pressuriseur et la cuve ont été fabriquées en Chine.
Le chantier a aussi bénéficié de la politique volontariste du gouvernement chinois dans le nucléaire grâce à un développement ininterrompu de la filière pendant 30 ans. Aujourd’hui, avec 48 réacteurs opérationnels et 9 autres en cours de construction, le nucléaire chinois a gagné en compétences. Il peut ainsi disposer de façon massive et flexible, d’une main d’œuvre qualifiée et expérimentée (soudeurs, monteurs, essayeurs…). A l’horizon 2030, la puissance cumulée du parc nucléaire chinoise doit atteindre 137 GW, puis 200 GW cinq ans plus tard.
Ensuite, la construction simultanée d’une paire de tranches sur un site neuf à Taishan, a été un véritable atout. La mise en service du premier réacteur a permis d’optimiser le calendrier pour le second : alors que le démarrage de Taishan-1 avait nécessité deux ans d’essais, le temps fut divisé par deux pour Taishan-2.
Surtout, c’est le fruit de deux partenaires qui se connaissent et travaillent main dans la main depuis plus de 35 ans : EDF et CGN. Ces deux groupes partagent beaucoup plus que des chantiers ensemble, l’organisation de la CGN ayant été calquée sur le modèle français à sa création. EDF et CGN ont construit un partenariat dans plusieurs domaines, depuis l’ingénierie jusqu’à l’exploitation dès le chantier de Daya Bay dans les années 80. Ce passé a créé des liens forts : récemment, les dirigeants de CGN retrouvaient avec émotion leurs formateurs français de trente ans plus tôt, et leur faisaient découvrir le site de Taishan… A ce jour, 1300 salariés de Framatome et 200 ingénieurs d’EDF sont passés par Taishan. Et les deux partenaires comptent bien continuer d’écrire l’histoire ensemble, et pourquoi pas en répliquant leur formule gagnante à Hinkley Point C dans le sud-ouest de l’Angleterre ?
Sommaire N° de fin d'année (2019)