Géopolitique : Une vague anti-japonaise en Chine accueille la décharge des eaux contaminés de Fukushima

Une vague anti-japonaise en Chine accueille la décharge des eaux contaminés de Fukushima

Quand, le 22 août 2023, le Japon a annoncé qu’il commencerait à rejeter dans l’océan Pacifique l’eau radioactive traitée de la centrale nucléaire de Fukushima, frappée par le tsunami de 2011, une vague de réactions négatives avait déjà submergé la sinosphère.

Cet épisode de réaction anti-japonaise en Chine restera sûrement dans les annales par sa profondeur et par sa systématicité, par sa diffusion via tous les canaux de la propagande étatique, des médias officiels et des réseaux sociaux individuels. L’iconographie des dessins satiriques fera sans doute l’objet de nombreux futurs travaux tant ils illustrent la manière dont la Chine voit le problème et dont elle a voulu qu’on le voit. Déjà, il y a deux ans, c’est Zhao Lijian, le porte-parole du Ministère chinois des Affaires étrangères entre 2020 et 2023, qui avait « tweeté » le dessin ci-contre. Jouant sur les codes d’un des dessins les plus connus de l’art japonais, La Grande Vague de Kanagawa (1830) de Hokusai, l’image diffusée par Zhao Lijian, reflétant donc le discours officiel sur le sujet et la stratégie chinoise de son traitement médiatique, remplace le Mont Fuji par une centrale nucléaire et le bateau de pêcheurs traditionnels par des hommes en combinaison déversant des eaux hautement contaminées dans l’océan.

Depuis 2023, les dessins satiriques publiés dans les journaux officiels ont redoublé de férocité et d’absence de finesse. En mars, China Radio International publiait le dessin suivant, épousant la thèse officielle en Chine que le Japon utilise l’océan, bien commun de l’humanité, pour se décharger de sa propre toxicité.

Le 24 août 2023, dans un éditorial titré subtilement : « I will never go to Japanese restaurants again », le Global Times publiait un « dessin » étendant le problème à la dimension de la Terre : la Tokyo Electric Power Company (TEPCO), l’entreprise japonaise en charge des centrales de Fukushima, est dépeinte comme la responsable d’une catastrophe écologique majeure.

Qu’en est-il maintenant si l’on évalue le problème sur des bases plus objectives ?

Un article de la revue scientifique la plus reconnue et fiable, Nature, fait le point sur le sujet. Tout d’abord, après l’explosion de la centrale suite au tremblement de terre et tsunami faisant surchauffer les cœurs du réacteur, plus de 1,3 million de mètres cubes d’eau de mer ont été pulvérisés sur les noyaux endommagés pour les empêcher de surchauffer, contaminant ainsi l’eau avec 64 éléments radioactifs, appelés radionucléides. Comme l’explique Bianca Nogrady, les plus préoccupants sont le carbone 14, l’iode 131, le césium 137, le strontium 90, le cobalt 60 et l’hydrogène 3, également connu sous le nom de tritium. Certains de ces éléments se sont déjà désintégrés au cours des 12 années qui ont suivi la catastrophe. Mais d’autres mettent plus de temps à se dégrader ; le carbone 14, par exemple, a une demi-vie de plus de 5 000 ans. C’est pourquoi l’eau contaminée a été collectée, traitée pour réduire sa teneur radioactive et stockée dans plus de 1 000 réservoirs en acier inoxydable sur le site ce qui a permis d’éliminer 62 des 64 radionucléides et de ramener leur concentration en dessous des limites réglementaires japonaises. Mais ce processus n’élimine pas le carbone 14 et le tritium, de sorte que l’eau traitée doit être diluée davantage à moins d’une partie pour 100 parties d’eau de mer. D’où la décharge dans l’océan.

La base scientifique posée, la question épidémiologique se pose : est-ce que le niveau radioactif des eaux contaminées relâchées par TEPCO dans les océans est particulièrement dangereux ou inquiétant ? Robert Richmond, biologiste à l’Université d’Hawaï rappelle les risques potentiels liés à la bioaccumulation des radionucléides et aux phénomènes de concentration dans la chaîne alimentaire, d’où la nécessité de contrôler la faune marine environnante. Selon l’Agence japonaise des pêches, les poissons capturés à 4 km du tuyau de rejet ne contenaient aucune quantité détectable de tritium. Ainsi Jim Smith, chercheur à l’Université de Portsmouth, estime que le risque que cela représente pour les pays riverains de l’océan Pacifique sera négligeable : « J’hésite toujours à dire zéro, mais proche de zéro ».

Tony Irwin, professeur à l’Université nationale australienne, met tout cela en perspective : « Le rejet d’eau de Fukushima ne constitue pas un événement unique. Les centrales nucléaires du monde entier rejettent régulièrement de l’eau contenant du tritium depuis plus de 60 ans sans nuire aux personnes ni à l’environnement, la plupart à des niveaux supérieurs aux 22 TBq par an prévus pour Fukushima. A titre de comparaison, la centrale nucléaire de Kori en Corée du Sud a rejeté 91 TBq en 2019, soit plus de quatre fois le rejet prévu de Fukushima et l’usine de retraitement française de La Hague a rejeté 11 400 TBq en 2018 dans la Manche, soit plus de douze fois le contenu total de tous les réservoirs de Fukushima, là encore sans nuire aux personnes ni à l’environnement. »

Or, la Chine, de ce point de vue, est sur un terrain un peu glissant : à alerter les internautes sur les risques alimentaires des déchargements japonais, ils pourraient aussi demander des comptes sur les déchargements chinois, plus nombreux et plus élevés. Ainsi, pour contre-attaquer sur le terrain médiatique, l’agence japonaise a donc diffusé la carte ci-contre qui se passe presque de commentaires (que les eaux déchargées aient été en contact avec le réacteur ou non, in fine, la mesure scientifiquement objective est celle de leurs radioactivités).

En outre, l’arbre radioactif de Fukushima ne doit pas cacher la forêt plastique chinoise. Sur les 300 millions de tonnes de plastique produites chaque année, plus de 14 millions de tonnes se retrouvent dans les océans. Or, la Chine est de loin la plus grande source de déchets plastiques mal gérés, ce qui contribue à en faire la plus grande source de plastique dans les océans. Certains évaluent que 44 % des déchets rejetés chaque année dans les océans proviennent de Chine. Les microplastiques étant désormais omniprésents dans les chaînes alimentaires aquatiques, la plupart des Chinois qui mangent du poisson mangent du plastique que ces poissons ont consommé : une étude a montré que sur les 21 espèces de poissons de mer et d’eau douce des eaux chinoises examinées, toutes avaient ingéré du plastique… En Chine (mais pas qu’en Chine), l’étranger est trop souvent le bouc-émissaire parfait permettant d’éviter de discuter des problèmes internes.

Par Jean-Yves Heurtebise

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