Petit Peuple : Wuning (Jiangxi) – L’inoubliable Saint-Valentin de Liu Beihong (2ème partie)

Résumé 1ère Partie : Liu Beihong, n’avait jamais rien fait de sa vie, se reposant sur son épouse Baohua pour survivre. Il quittait régulièrement le domicile conjugal, soi-disant pour affaire, mais retournait toujours au foyer conjugal en piteux état, ayant trainé ça et là, et toujours fauché… Cette fois, de retour après deux mois de vadrouille, durant le sommeil de son époux, Baohua, ouvrit son porte-monnaie, et constata qu’il revenait encore sans un sou en poche. Hors d’elle, elle le menace d’aller se plaindre au commissariat…

Furieux à son tour, Liu Beihong tenta de faire valoir qu’on ne traitait pas un mari comme ça, que de l’argent, il en aurait – demain ! Il était sur un coup en or. Qu’elle lui fasse un peu confiance, pour une fois !
Mais pour Baohua, la coupe était pleine. Ayant passé son manteau, muette de rage, elle partait pour le commissariat. 

Voyant sa détermination inébranlable, il la suivit, l’implorant – en vain- de renoncer. Arrivés au poste de police, afin de sauver la face, Beihong la précéda en entrant dans l’établissement, espérant ainsi donner aux gendarmes l’impression d’être maître de la situation, en toute dignité, d’être même l’auteur de la démarche. 

Mais Baohua ne l’entendait pas de cette oreille : s’adressant à la cantonade des hommes désœuvrés – un dimanche matin, à 10h, heure creuse, et plus encore un 14 février, jour de la Saint-Valentin – elle déballa tout leur linge sale, les incessants abandons du mari pour courir le guilledou, son habitude de se faire entretenir à son retour. Ils l’écoutaient, ravis du divertissement, déjà tous acquis à sa cause. Puis elle conclut fièrement : « messieurs les policiers, je vous en conjure, vous êtes mon dernier espoir : pourriez-vous causer avec mon homme, lui apprendre une fois pour toutes à se calmer un peu, à apprendre enfin ses devoirs de mari ? » 

Il faut préciser ici que cette visite au commissariat pour régler la querelle de ménage, qui apparaitrait incongrue en Europe ou en Amérique, est parfaitement banale en Chine où le rapport avec l’autorité est totalement différent, la police étant redoutée, mais aussi vécue comme « au service du peuple ». 

Ayant patiemment écouté jusqu’au bout la petite harangue, l’officier de service s’apprêta à adresser aux deux époux un petit prêche sur les responsabilités du couple, l’ordre public, le tout agrémenté du sel et du poivre de la peur du gendarme. 

Cependant, selon le règlement, l’officier devait dresser d’abord un constat : il invita alors chaque époux à décliner son identité. Mais alors que Baohua récitait d’une voix scolaire et mécanique son nom et prénom, Beihong se troubla et balbutia un nouveau nom de famille, manifestement faux. Comme le commissariat entier, d’un air goguenard, l’invitait à dire la vérité, voilà qu’il explosa : « Chérie, en voilà assez maintenant, la plaisanterie a assez duré, rentrons à la maison » – et la prenant par la main, il tenta de prendre la tangente – sans courir, mais d’un pas nerveux. Mais sur signe du lieutenant, les autres lui tombèrent alors dessus à bras raccourcis. 

Après l’avoir fouillé en vain—comme par hasard, il n’avait pas ses papiers sur lui– ils demandèrent à Baohua le nom du mari, et reportèrent son nom dans le fichier central. Dix secondes plus tard, celui-ci tomba – accompagné d’une petite surprise : un flash clignotant rouge, sur écran, signifiant que l’homme était l’objet d’un avis de recherche, comme instigateur d’un réseau de paris clandestins. 

« Et bien mon gaillard, conclut le chef du poste, se frottant le menton tandis que les sbires lui passaient les menottes, tu as bien gagné ta journée. Tu vois, c’est la preuve qu’il faut jamais enquiquiner sa femme, surtout un jour de Saint-Valentin » – et à ces mots, tout le commissariat de se tordre de rire ! 

Sauf le malheureux Beihong qui, refusant de s’avouer vaincu, tentait de lutter : «  M’enfin, pourquoi vous m’arrêtez ?! Nous sommes venus de notre plein gré pour régler une affaire familiale, vous n’avez aucun droit… je me plaindrai… je vous attaquerai au tribunal ! » 

Atterrée, la pauvre Baohua, tenta maladroitement de refermer la boîte de Pandore qu’elle avait si imprudemment ouverte : « Camarades agents, défenseurs de la loi et de l’harmonie, ne pourriez-vous pas oublier tout ça ? Je retire ma plainte… Laissez-nous partir, et je promets, on ne se disputera plus, jamais de jamais, on viendra plus vous embêter »…

« Hélas, ma petite dame, lui fit l’officier cessant de rire, plein de commisération, vous devez rentrer seule. Votre mari devra rendre des comptes à la justice et notre devoir est de le garder – ce qui est fait ne peut être défait ». 

Et c’est ainsi que Baohua repartit chez elle en pleurant. Un peu tard, elle se rendait compte qu’à « se croire trop maligne », (夜郎自大 – Yèláng zì dà), elle avait causé la catastrophe. Pour tenter de se disculper, elle cherchait à se convaincre que son Beihong, avec son état de malfaiteur recherché par la police, qu’elle ignorait, eût été pincé tôt ou tard…

Elle pourrait désormais venir le voir une fois par semaine, lui porter des oranges au parloir, des raviolis, ou bien tout ce que les geôliers voudraient bien laisser passer.

Mais elle le sentait bien, viendrait désormais la tarauder chaque nuit le regret de n’avoir su se retenir : elle aurait dû le savoir, à tout prendre, un mauvais mari en liberté vaut mieux qu’un mauvais mari emprisonné !

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