Le Vent de la Chine Numéro 9-10 (2016) « Spécial Deux Assemblées »

du 14 au 20 mars 2016

Editorial : Vol au-dessus d’une session parlementaire

Du point de vue de l’Etat, la session de l’Assemblée Nationale Populaire a eu un but majeur : rassurer les élus et le peuple, sur le fait que le frein à la croissance est voulu et sous contrôle. 

La surprise a été la résistance constatée par des élus pas aussi complaisants que prévu, opposant leurs objections et doléances. 

Lai Xiaomin, Président de Huarong, une des quatre structures de défaisance ouvertes en 1999 pour écouler les actifs faillis, avertit que ces compagnies commencent à manquer de fonds, vu la multiplication des faillites, et d’emplois perdus dont les titulaires doivent être recasés. Ce qui fait réfléchir : l’Etat parle de « 1,8 million » en 2 à 3 ans. Mais des cadres anonymes évaluent l’objectif réel d’emplois à supprimer à six millions (le seul Hebei doit « dégraisser » 60% de ses aciéries, et des experts européens, sur base des dettes connues des conglomérats publics, estiment que ce dernier chiffre ne ferait que 10% du total réel).

Zhou Liqun, n°2 d’une firme d’investissements, n’a « jamais cru à l’objectif de commerce extérieur de +6% pour 2015 », dont le bilan avait fini par s’élever à -8% en $. Avis de Zhou : « l’Etat a fort sous-estimé les difficultés de l’économie mondiale » et devra « réfléchir en profondeur, pour éviter la répétition du même échec cette année ». C’est un avertissement sans frais, d’un homme du sérail : Zhou Liqun est conseiller spécial du Conseil d’Etat.Fan Yun, femme d’affaires shanghaienne, restaure l’image de semi-liberté du Parlement en osant s’indigner contre la CSRC, tutelle de la bourse. Fan l’accuse de « détruire la classe moyenne » en jouant avec son épargne. Xiao Gang, Président de cette instance, vient d’être limogé suite au dernier dévissage de la bourse de Shanghai, implicitement pour incompétence. Mais Fan Yun force peut-être un peu le trait : seulement 14% de la population est concernée par ces pertes en bourse – laquelle en tout état de cause, est loin d’être coupable de tous les maux de l’économie du pays… 

Le rendez-vous des édiles a aussi été l’occasion d’un fugace regard sur les luttes internes du Parti. Pas de nouvelles de la mouvance de Jiang Zemin, mais plutôt de celle de la Ligue de la Jeunesse, fief traditionnel de Hu Jintao (prédécesseur de Xi Jinping), que la CCID (police du Parti) dénonçait comme « bureaucratique, rond-de-cuir, autocentré et hédoniste ». Ces accusations sont graves — elles s’adressent collectivement au corps de ses membres, qu’elles taxent de style de vie extravagant, et de corruption. Pour se défendre, la Ligue a livré un vibrant plaidoyer : Luo Mei, secrétaire du Comité Central de la Ligue tenta de faire valoir que la « Tuanpai » (nom chinois de la Ligue) serait la réserve du Parti et non celle des mandarins, et sa raison d’être, le service du Peuple. 

Ce sont des grands mots, de circonstance sans doute, mais qui s’inscrivent dans un combat pour la survie de cette organisation historique, la plus audacieuse et réformatrice au sein du PCC. Au nom de la Tuanpai, Mme Luo signala ses prochaines priorités : les migrants, les jeunes entrepreneurs, et ceux qu’on appelle « la tribu des fourmis », les jeunes diplômés appauvris et sans travail, massés par millions à l’orée des grandes villes. Ce n’est pas un mauvais calcul, car cette population est peut-être pauvre aujourd’hui, mais sera la classe la plus dynamique et formée de demain—le prochain groupe d’influence.


Politique : Assemblées – par le petit bout de la lorgnette…

Chaque année, les « deux Assemblées » (两会 Liǎnghuì), CCPPC et ANP sont le rendez-vous des députés des provinces et cadres du pouvoir central. Inquiétudes, suggestions, explications sont à l’agenda. Cette année, crise oblige, l’Etat a averti les élus de s’abstenir de « commentaires futiles » contre le régime. Il en résulte une atmosphère particulière, cousue de débats tantôt ingénus, tantôt retors et « langue boisée »… Voici notre sélection de scénettes de cette session : 

De meilleures cuiseuses à riz ! 

Curieux de vérifier le bien-fondé de la qualité supérieure prêtée par la foi populaire aux produits made in Japan, Lei Jun, PDG de Xiaomi (dernier-né des groupes de smartphones bon marché), étudia de près une cuiseuse à riz nippone et présenta ses conclusions lors d’une session parlementaire. « Elle est mieux construite que celle de chez nous », a-t-il admis avec fair-play. « En Chine, on étuve le riz jusqu’à ce qu’il soit cuit, au Japon, ils le font cuire jusqu’à ce qu’il soit bon ». Lei d’en conclure qu’en cette Chine qui se prémiumise et peut payer davantage désormais, les industriels n’ont d’autre choix que de se dépêcher d’améliorer la qualité de leurs produits.

Le fantôme de l’Assemblée 

Ren Zhiqiang, ce bloggeur millionnaire (en euros, et en nombre de suiveurs sur internet) risque une punition pour avoir critiqué la campagne officielle de recadrage des media.
À l’ANP, en attendant la décision au sommet, on préfère éviter un sujet si risqué. Plutôt que répondre à une question, Feng Xiaogang, le réalisateur de cinéma et défenseur de la liberté de création, a préféré quitter la salle, posant l’index sur ses lèvres en signe de « chut ! ». Le prix Nobel chinois de littérature fit une réponse du même acabit et illustra ainsi son propre nom de plume, Mo Yan ( 莫言), qui signifie « se taire ». 

 

Fièvre de philatélie… 

Dans l’hémicycle, les élus en costumes noirs somnolent sous les discours. Mais dans le hall, le guichet postal est pris d’assaut par une foule anarchique d’édiles et de visiteurs, impavides aux appels d’un employé dépassé par les événements : à 3,5¥ voire 5 ¥/pièce, il vend les enveloppes timbrées commémoratives de la session, au cachet du Grand Palais du Peuple. Certains repartent avec des sacs entiers, « pour des amis », ou comme placement. 

… et de pin’s ! 

En plus du badge de sécurité porté par tous, quelques élus à l’ANP, sans doute parmi les 40% de membres du Parti, arborent le badge de Mao ou (mieux encore), de Xi Jinping ! À ce jeu, les Tibétains remportent la palme : sur le cœur, ils portent non un mais deux badges, l’un dédié à « Xi-dada » et l’autre à Xi entouré de ses quatre prédécesseurs (cf photo). Questionnés sur les raisons de ce choix vestimentaire, les édiles du Toit du Monde firent une réponse candide et pieuse : c’est de leur plein gré qu’ils portaient ces images pieuses, par reconnaissance, par loyauté, et « parce qu’ils y croyaient » ! 

École d’héritage 

Yuan Guiren, le ministre de l’Education, a donné sa vision de la raison d’être des écoles : loin d’être une chance de dispenser aux enfants une culture générale ou de préparer à un métier futur, le but serait de « rendre nos élèves qualifiés pour hériter et construire le socialisme aux couleurs de la Chine ».
Yuan s’était déjà fait remarquer en janvier 2015, en instruisant les enseignants de bannir dans leurs classes toute référence aux valeurs occidentales et tout usage de manuels scolaires étrangers. Sur internet, les commentaires allèrent bon train : « pourquoi envoyez-vous vos propres enfants étudier à l’étranger plutôt qu’au pays ? Pour apprendre le marxisme ? »…

Sexisme dès la maternelle? 

À la CCPPC, un autre universitaire, Zhu Xiaojin, plaide pour que les garçons débutent l’école primaire à 8 ans et non à 6 ans comme les filles. La raison invoquée ? Le manque de maturité. Selon Zhu, ils feraient mieux de rester jouer, attendant « l’âge de raison », à 8 printemps… Avec tels propos, Zhu ne pense pas être sexiste, au contraire : partant du constat des différences de croissance mentale à âge égal entre les deux sexes, il veut simplement éviter aux petits gars de « de se trouver hors course dès le départ » et de perdre confiance en eux.

Sentiment antijaponais, à travers les âges 

Tandis que Wang Yi, le ministre des Affaires étrangères, voit l’Empire du Soleil Levant comme un Janus à deux visages, aimable parfois mais cherchant aussi à la Chine « des ennuis »,
Yan Chenzhong, professeur shanghaïen, propose de rebâtir l’antijaponisme en puisant dans l’expérience des dynasties Ming et Qing, jusqu’à 500 ans en arrière. Il ne faut pas non plus se limiter aux méfaits nippons contre la seule Chine, mais aussi monter en épingle celles envers toute l’Asie. Prenez l’époque Ming, l’exemple de Qi Jiguang qui vers 1550, boutait hardiment le pirate japonais hors des côtes du Fujian… Un tel héros méridional mériterait d’être remis à l’honneur !

Cependant, des internautes perplexes s’interrogent : si les élus propagent des messages contraires à l’amitié parmi les peuples, quand viendra la réconciliation entre les Empires du Ciel et du Soleil Levant ? Surtout, quand la télévision cessera-t-elle d’ennuyer son public avec des feuilletons guerriers aux scénarios improbables, où les Chinois ont toujours le beau rôle face aux Japonais ?


Politique : Quatre dossiers brûlants

Corée du Nord  

Sujet diplomatiques du moment, le Pays du Matin Calme fut évoqué en marge de la session (7 mars) par Wang Yi, ministre des Affaires étrangères, suite aux lourdes sanctions de l’ONU dont il est frappé (à l’initiative sino-américaine) en rétorsion de ses récents essais nucléaires. Pékin applique pour l’instant ces sanctions destinées à forcer son voisin à revenir à la table des négociations.

Depuis mars, la Chine a cessé ses importations de charbon et ses transferts bancaires vers la Corée du Nord, et a déjà refoulé au moins trois cargos nord-coréens (dont le « Grand Karo » à Rizhao, Shandong). Mais Wang Yi le réaffirme, la manière forte voulue par Washington ne marchera pas. Pyongyang est trop immergée dans sa vision autiste d’elle-même pour reculer, et n’a rien à perdre. Si la situation devient incontrôlable, la Chine « ne restera pas les bras croisés ». Son souci s’est renforcé suite aux manœuvres USA-Corée du Sud (7 mars, 315.000 hommes), et au projet d’installation anti-missile américaine THAAD en Corée du Sud. Quoique d’accord avec B. Obama sur l’objectif de dénucléarisation de la péninsule, Pékin est en désaccord avec les méthodes, s’inquiète et ne contrôle rien.

Libérations discrètes ! 

L’Assemblée bruissait de la rumeur : Chen Taihe, l’avocat arrêté en juillet 2015 (avec 200 collègues de son cabinet) pour avoir réclamé la création d’un jury d’assises, a été libéré, envoyé rejoindre sa femme à San Francisco. Ainsi se concluait un incident de l’an passé.

Deux des cinq libraires hongkongais disparus depuis des mois, sont réapparus sur le Rocher. Mais c’était seulement pour repasser chez eux dire que « tout allait bien », puis à la police, lui demander de lever l’enquête sur leur disparition, avant de refranchir la frontière chinoise… En dépit de leurs dénégations, il apparaît toujours aussi invraisemblable que la saga dont ils font l’objet, se déroule de leur plein gré. D’autant qu’un des cinq libraires (qui lui, n’est pas retourné au pays) est passible d’une sérieuse peine d’emprisonnement.
Cette crise n’apparaît donc pas prête à se dénouer. Quelle que soit son issue future, le principe gérant les relations entre Hong Kong et sa maison-mère, « un pays, deux systèmes », risque d’en sortir assombri de brume…

Mer de Chine du Sud 

Réponse des Etats-Unis à l’installation chinoise de radars de défense (après celle d’aérodromes) sur au moins un atoll de la zone : un porte-avion, deux croiseurs, deux destroyers… cette armada de l’US-Navy traversa début mars la mer de Chine du Sud.Voilà qui met les deux pays d’accord sur un point au moins : cette mer se militarise vite. L’Inde et le Japon vont d’ailleurs se livrer à des manœuvres conjointes d’ici l’été. 

Ainsi, Luo Baoming, secrétaire du Parti de Hainan, à 300km des Paracels et 1000km des Spratleys, déclarait à l’ANP, subventionner les pêcheurs et leur gazole, pour leur permettre d’opérer autour de ces archipels, et de profiter d’une ressource halieutique qu’ils ne trouvent plus dans leurs propres eaux. Le gouvernement peut ainsi justifier d’une occupation « civile » et « coutumière » de ces eaux.

A la CCPPC, Han Fangming, propose de donner à l’île Woody (Yongxing en chinois) et à sa ville Sansha (créée en 2012), le statut de paradis fiscal, à la façon des Iles Vierges britanniques. Subtile, cette action attirerait des aventuriers chinois mais aussi étrangers, et les métiers liés à la finance – hôtels, banques, cabinet d’avocats… Seul obstacle : la géographie. Cette île de 1000 habitants, la plus grande des Paracels, ne fait que 2,13km². Mais une extension par dragage est sans doute possible… 

Budget militaire

Sous quels arguments Pékin a-t-il pu limiter la dotation de l’APL en 2016 à +7,6% (154 milliards de $) ? Mystère. De 2011 à 2015, l’armée n’avait jamais reçu moins de 10%. Le maintien de l’effort avait été réclamé au nom de la modernisation accélérée (balistique, aviation, marine, infanterie), du déploiement maritime, et de la mise en solde de 300.000 personnels, souvent gradés, que l’APL doit recaser ou compenser. 

Trois arguments ont pu jouer pour convaincre le Bureau Politique de tailler dans l’enveloppe kaki : 

– Xi Jinping n’a pas oublié qu’une part de l’armée a hésité à le soutenir en 2012, lors de la tentative de coup par Bo Xilai et Zhou Yongkang, 

– Trop dotée, l’APL est un foyer de corruption notoire. Wang Wu, contre-amiral (à la logistique de la flotte du Sud) et député, vient de quitter l’ANP, accusé de concussion.

– D’autres secteurs ont besoin d’argent : des pans entiers du PIB doivent être réaffectés en priorité à la relance, à la dotation de 200 millions de nouveaux citadins… 

La réaction des militaires à l’ANP est édifiante : suite à l’annonce de la hausse affaiblie, ils ont clamé leur mécontentement, donnant ainsi l’image d’une armée sûre de ses droits historiques, et finalement tout, sauf « grande Muette ».

Enfin, par amendement de l’ANP à la loi de défense, la police armée (武警, 650.000 hommes) aura plus de travail à l’avenir, et sera dirigée directement par la CMC (Commission Militaire Centrale), à savoir par Xi Jinping. Grande perdante : l’APL. Signe possible de doutes sur la loyauté de l’armée conventionnelle vis-à-vis du Chef de l’Etat…


Transports : Deux liaisons ferrées « électorales »

En lignes de chemin de fer, le 13ème Plan est richement doté avec 30.000 km de voies à créer d’ici 2020. 

Quoique ne mesurant que 126km, la ligne Pingtan ( Fujian) – Taipei ( Taiwan) prendra du temps (prévue pour 2030) et sera coûteuse — si jamais elle voit le jour. C’est qu’elle ambitionne de relier par tunnel « la partie continentale du pays à sa région insulaire ». Zhang Zhaoming, Président de la zone expérimentale de développement de Pingtan, se targue de cet axe qui sera le plus long du monde (plus du double de celui sous la Manche). Les études de faisabilité menées depuis 10 ans, sont achevées côté chinois : on n’attend plus que la réponse de la partie insulaire…

Elle risque de tarder. En effet, dans la présentation, il manque la mention du prix – en dizaines de milliards d’euros – et sa déclinaison technique : les rames chargeront-elles camions, voitures et fret, ou seulement des passagers ? Et surtout, manque dans l’évaluation l’opinion taïwanaise, à commencer par celle du DPP indépendantiste, et de sa leader Tsai Ing-wen, qui succédera le 20 mai au Président sortant Ma Ying-Jeou, du Kuo Min Tang, grand perdant aux élections de janvier. Si le projet apparaissait comme mûr, un débat vif s’engagerait dans l’île, sur la réunification – pour l’instant, il suscite l’incrédulité. 

Autre projet inscrit au 13ème Plan, une deuxième ligne de chemin de fer vers le Tibet. Après la première ligne ouverte en 2006 entre Golmud (Qinghai) et Lhassa, la nouvelle liaison Chengdu-Lhassa, plus directe, franchira 1630 km en 15 heures (au lieu de 3070 km en 44 heures). Dans les deux cas, le parcours sur un relief fragile (permafrost) et extrême (à des altitudes dépassant les 5000m) est tourmenté, exigeant de coûteuses infrastructures. Padma Choling, vice-secrétaire du territoire, promet un respect total de l’environnement. Pour Chengdu, tête de pont vers le Tibet, l’axe permettra de prolonger vers l’Inde et le Bengladesh, dans le cadre du plan « une ceinture, une route ».

À noter : Tibet comme Taiwan sont les régions sur lesquelles le pays exprime la plus forte sensibilité nationale. Pas par hasard, elles héritent d’un investissement fort, destiné à renforcer l’arrimage à la Chine, et à les enrichir. Dans le débat au Parlement, le régime a réitéré ses positions : pour la réunification au plus vite (avec Taiwan), et contre le Dalai Lama (au Tibet). « Business as usual ! »


Société : Contre le déficit en compassion..

En 2015, les n°1 et 2 au palmarès des fortunes, Wang Jianlin et Jack Ma ne donnent que 0,3% de leurs biens à des œuvres philanthropiques. Plus généralement, pour la Charities Aid Foundation, la Chine se classe avant-dernière des 155 pays au palmarès des œuvres caritatives. Or la Chine s’enrichit, avec 568 milliardaires en $ (selon Hurun) et 109 millions de moyens-riches (selon Crédit Suisse). Ce déficit en compassion se paie au prix fort pour les plus vulnérables, et risque d’exacerber l’insécurité – car plus de misère, équivaut à plus de délinquance. Aussi pour inverser la tendance, le Conseil d’Etat soumet, et l’Assemblée étudie, le premier projet de loi sur les œuvres de bienfaisance.

L’objectif est de vaincre la méfiance. La Chine de la base veut bien donner, mais le monopole public de cette gestion, l’en décourage. En 2014, les dons s’élevaient au niveau national à 15 milliards de $, dont 80% allaient à des organisations étrangères. Ces dons étaient en forte hausse (dix fois plus qu’en 2004), mais très peu comparé aux pays étrangers (2% du PIB des Etats-Unis contre seulement 0,1% du PIB chinois). Néanmoins, l’argent donné est bien insuffisant face aux besoins des démunis, 85 millions d’handicapés, 160 millions de vieillards et d’enfants « laissés pour compte » au village. 

C’est que l’organisation de la charité est anarchique, à tout le moins : en été 2011, la vaporeuse Guo Meimei, 23 ans, se disant « fille » de Wang Jun, Président de la Croix Rouge chinoise, défrayait la chronique par ses photos osées et ses 850 millions de $ sur son compte en banque. Autre exemple : la moitié des 7 milliards de $ collectés pour les victimes du séisme du Sichuan en 2008, a été détournée. 
Aussi le projet de loi s’efforce d’empêcher toute fraude, encadre et supervise les ONG caritatives. Une fois adoptée, la loi leur facilitera la tâche, en supprimant l’obligation d’un « parrain » dans l’administration pour être agréée. De plus, tous dons d’entreprise au-delà de 12% de ses profits, pourront être exonérés dans les 2 ans qui suivent. Mais elle ne va pas assez loin pour Zong Qinghou, PDG de Wahaha : tout don de la part d’une société devrait être entièrement exonéré !

De même, la proposition de loi plafonne à 15% les frais de management des organisations caritatives. Selon certains députés, cette limite est trop élevée et ne ferait qu’encourager les abus : en Occident, ces frais tournent autour de 3%.
Enfin, plusieurs provisions sont là pour permettre aux autorités de faire pression sur, ou de faire fermer toute ONG caritative à tout moment, pour raison par exemple de « sécurité nationale »…
A ce qui nous semble, le premier obstacle aux œuvres de charité en Chine est historique et culturel. Il tient à l’absence de formation aux devoirs envers la collectivité, ce type de tâche étant, dans l’inconscient collectif, plutôt du domaine de l’Etat, du Parti. Pour rouvrir la vanne naturelle du cœur, il faut laisser s’exprimer, dès la prime enfance, la responsabilité civique.


Société : Deuxième enfant… mais pas trop vite !

Depuis l’entrée en vigueur du planning familial révisé le 1er janvier 2016, une question hante les couples chinois d’âge fertile : faire ou non un second enfant

La question est stratégique pour le planificateur, qui escompte de cet assouplissement 3 millions de bébés en plus par an.

Mais du rêve au berceau, le chemin est parsemé d’embûches. La première n’est autre que… le premier enfant ! Lui ventant l’affaire comme l’offre d’un petit compagnon, les parents sollicitent son avis… et tombent sur un « niet » catégorique, qui enterre souvent le projet pour de bon. Pour des raisons troubles, cette génération de parents semble considérer son enfant-roi détenteur d’une opinion adulte, plus valable que la leur. 

Due à l’âge, aggravée par diverses formes de pollutions (chimique, sonore, stress), la baisse de fertilité est un autre souci. Elle peut se combattre en cliniques spécialisées : actuellement, 700.000 interventions ont lieu par an en Chine, mais le chiffre va augmenter, avec les 90 millions de femmes désormais éligibles à un deuxième enfant, dont la moitié quadragénaire. 

À l’Assemblée, Ma Xiaowei, vice-ministre du Planning, promet à partir de 2017 dans chaque province, au moins un centre d’obstétrique pour grossesses tardives.

Autre problème, en tout et pour tout, les hôpitaux chinois n’ont que 93.400 pédiatres. Pour les experts, il en faudrait le double ! Le déficit en pédiatres, impose à ceux en place des cadences démentielles, devant traiter jusqu’à 180 petits patients par jour, à cinq minutes la « consultation » ! 

Pour les parents, c’est un calvaire, ponctué de disputes et de frustrations. Pour le pédiatre, c’est un enfer stressant, mal payé de surcroît, ce qui torpille les vocations. Depuis 1999, cette spécialité (pourtant charmante) était rayée du premier cycle d’études des facultés chinoises de médecine. L’erreur vient d’être corrigée par l’Etat qui, pour pallier la pénurie, encourage également les généralistes à suivre une formation express sur 10 mois – ils peuvent aussi tout bonnement, assurer le service au pied levé…

Dernier obstacle au second enfant, et sans doute le plus important : le coût. Un enfant coûte cher, 600.000¥ dans les villes de second rang, le triple à Pékin ou Shanghai. Le train de vie en souffre – les vacances disparaissent. Face à cette dure réalité, Lou Jiwei, ministre des Finances, n’a pour l’instant qu’une révision de la fiscalité à offrir, favorisant les foyers avec deux enfants, et défalquant du revenu un prorata des frais spécifiques (emprunt immobilier, frais scolaires, personne âgée à charge…).

Les experts appellent les autorités à s’inspirer des politiques natalistes étrangères les plus performantes : comme la Suède ou le Japon, qui ont réussi à briser la spirale de la dénatalité, avec un savant mélange non seulement de mesures financières (allocations…) mais aussi sociales (congés parentaux rallongés, garderies en entreprise…) – conditions pour une « revanche des berceaux » chinoise réussie !


Chiffres de la semaine : 50% y sont favorables, un tiers n’a pas confiance, 6701 yuans…

La Chine s’éveille doucement à l’ économie du partage : à Pékin, Shanghai et Canton, ils sont 50% à avoir une opinion favorable des services de location d’appartements entre particuliers, tel Airbnb, contre  15% seulement  d’opinions négatives. 

Les principaux problèmes énoncés sont l ‘insécurité (55%), le manque de confiance (30%) et l’ incompréhension du fonctionnement de ce type de services (15%).

Concernant les applications pour commander un taxi ou un chauffeur privé comme Didikuadi et Uber, ils sont déjà 20% à s’en servir régulièrement, 52% occasionnellement, et 28%, jamais. 38% pensent qu’il faudrait légaliser ce secteur et 28% déclarent qu’il devrait être mieux supervisé par les autorités.
(source : Horizon Research Consultancy Group, 921 sondés).

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6701 yuans, c’est le salaire mensuel minimum que devrait gagner l’homme idéal, selon 15.000 femmes chinoises sondées par le site de rencontre sur internet Jiayuan ! Ce qui correspond tout de même à plus de 2 fois le salaire national moyen masculin (2808 yuans). Il semble également que plus jeunes sont les femmes, plus leurs attentes sont élevées. 

Les hommes sont moins exigeants et attendent de leur conjointe qu’elle gagne 3398 yuans par mois.


Petit Peuple : Wuning (Jiangxi) – L’inoubliable Saint-Valentin de Liu Beihong (2ème partie)

Résumé 1ère Partie : Liu Beihong, n’avait jamais rien fait de sa vie, se reposant sur son épouse Baohua pour survivre. Il quittait régulièrement le domicile conjugal, soi-disant pour affaire, mais retournait toujours au foyer conjugal en piteux état, ayant trainé ça et là, et toujours fauché… Cette fois, de retour après deux mois de vadrouille, durant le sommeil de son époux, Baohua, ouvrit son porte-monnaie, et constata qu’il revenait encore sans un sou en poche. Hors d’elle, elle le menace d’aller se plaindre au commissariat…

Furieux à son tour, Liu Beihong tenta de faire valoir qu’on ne traitait pas un mari comme ça, que de l’argent, il en aurait – demain ! Il était sur un coup en or. Qu’elle lui fasse un peu confiance, pour une fois !
Mais pour Baohua, la coupe était pleine. Ayant passé son manteau, muette de rage, elle partait pour le commissariat. 

Voyant sa détermination inébranlable, il la suivit, l’implorant – en vain- de renoncer. Arrivés au poste de police, afin de sauver la face, Beihong la précéda en entrant dans l’établissement, espérant ainsi donner aux gendarmes l’impression d’être maître de la situation, en toute dignité, d’être même l’auteur de la démarche. 

Mais Baohua ne l’entendait pas de cette oreille : s’adressant à la cantonade des hommes désœuvrés – un dimanche matin, à 10h, heure creuse, et plus encore un 14 février, jour de la Saint-Valentin – elle déballa tout leur linge sale, les incessants abandons du mari pour courir le guilledou, son habitude de se faire entretenir à son retour. Ils l’écoutaient, ravis du divertissement, déjà tous acquis à sa cause. Puis elle conclut fièrement : « messieurs les policiers, je vous en conjure, vous êtes mon dernier espoir : pourriez-vous causer avec mon homme, lui apprendre une fois pour toutes à se calmer un peu, à apprendre enfin ses devoirs de mari ? » 

Il faut préciser ici que cette visite au commissariat pour régler la querelle de ménage, qui apparaitrait incongrue en Europe ou en Amérique, est parfaitement banale en Chine où le rapport avec l’autorité est totalement différent, la police étant redoutée, mais aussi vécue comme « au service du peuple ». 

Ayant patiemment écouté jusqu’au bout la petite harangue, l’officier de service s’apprêta à adresser aux deux époux un petit prêche sur les responsabilités du couple, l’ordre public, le tout agrémenté du sel et du poivre de la peur du gendarme. 

Cependant, selon le règlement, l’officier devait dresser d’abord un constat : il invita alors chaque époux à décliner son identité. Mais alors que Baohua récitait d’une voix scolaire et mécanique son nom et prénom, Beihong se troubla et balbutia un nouveau nom de famille, manifestement faux. Comme le commissariat entier, d’un air goguenard, l’invitait à dire la vérité, voilà qu’il explosa : « Chérie, en voilà assez maintenant, la plaisanterie a assez duré, rentrons à la maison » – et la prenant par la main, il tenta de prendre la tangente – sans courir, mais d’un pas nerveux. Mais sur signe du lieutenant, les autres lui tombèrent alors dessus à bras raccourcis. 

Après l’avoir fouillé en vain—comme par hasard, il n’avait pas ses papiers sur lui– ils demandèrent à Baohua le nom du mari, et reportèrent son nom dans le fichier central. Dix secondes plus tard, celui-ci tomba – accompagné d’une petite surprise : un flash clignotant rouge, sur écran, signifiant que l’homme était l’objet d’un avis de recherche, comme instigateur d’un réseau de paris clandestins. 

« Et bien mon gaillard, conclut le chef du poste, se frottant le menton tandis que les sbires lui passaient les menottes, tu as bien gagné ta journée. Tu vois, c’est la preuve qu’il faut jamais enquiquiner sa femme, surtout un jour de Saint-Valentin » – et à ces mots, tout le commissariat de se tordre de rire ! 

Sauf le malheureux Beihong qui, refusant de s’avouer vaincu, tentait de lutter : «  M’enfin, pourquoi vous m’arrêtez ?! Nous sommes venus de notre plein gré pour régler une affaire familiale, vous n’avez aucun droit… je me plaindrai… je vous attaquerai au tribunal ! » 

Atterrée, la pauvre Baohua, tenta maladroitement de refermer la boîte de Pandore qu’elle avait si imprudemment ouverte : « Camarades agents, défenseurs de la loi et de l’harmonie, ne pourriez-vous pas oublier tout ça ? Je retire ma plainte… Laissez-nous partir, et je promets, on ne se disputera plus, jamais de jamais, on viendra plus vous embêter »…

« Hélas, ma petite dame, lui fit l’officier cessant de rire, plein de commisération, vous devez rentrer seule. Votre mari devra rendre des comptes à la justice et notre devoir est de le garder – ce qui est fait ne peut être défait ». 

Et c’est ainsi que Baohua repartit chez elle en pleurant. Un peu tard, elle se rendait compte qu’à « se croire trop maligne », (夜郎自大 – Yèláng zì dà), elle avait causé la catastrophe. Pour tenter de se disculper, elle cherchait à se convaincre que son Beihong, avec son état de malfaiteur recherché par la police, qu’elle ignorait, eût été pincé tôt ou tard…

Elle pourrait désormais venir le voir une fois par semaine, lui porter des oranges au parloir, des raviolis, ou bien tout ce que les geôliers voudraient bien laisser passer.

Mais elle le sentait bien, viendrait désormais la tarauder chaque nuit le regret de n’avoir su se retenir : elle aurait dû le savoir, à tout prendre, un mauvais mari en liberté vaut mieux qu’un mauvais mari emprisonné !


Rendez-vous : Semaine du 14 au 20 mars 2016
Semaine du 14 au 20 mars 2016

14-16 mars, Pékin : China Attractions Expo, Salon chinois des parcs d’attraction

15-17 mars, Shanghai : Electronica China, Salon international des professionnels des composants électroniques

15-17 mars, Shanghai : Laser Photonics China, Salon de la photonique d’Asie

15-17 mars, Shanghai : SEMICON China, Salon international de l’équipement et des matériaux pour les semi-conducteurs

16-17 mars, Shanghai : MEDTEC China, Salon et Conférence des constructeurs chinois de matériel médical

Chicshanghai16-18 mars, Shanghai : CHIC, Salon international de l’habillement et des accessoires

16-18 mars, Shanghai : INTERTEXTILE Guangzhou / Shanghai Home Textiles, Salons des textiles d’ameublement et des accessoires

16-19 mars, Pékin : BUILD + DECOR, Salon des matériaux de construction et de la décoration

Petsuppliesexhibition

17-20 mars, Pékin : CPSE, Salon de l’alimentation et des produits pour animaux de compagnie

18-20 mars, Canton : China PET Fair, Salon international de l’animal de compagnie

18-21 mars, Shanghai : OPIIS Be


Vent de la Chine : Trois livres, regards du dehors
Trois livres, regards du dehors

Le Vent de la Chine vous présente trois livres dédiés à la Chine, ses professionnels, ses pratiques d’affaires, et ses anecdotes.

« Les nouveaux éclaireurs de la Chine »

« Les nouveaux éclaireurs de la Chine », d’Edith Coron et Anne Garrigue (éditions Manitoba/Les Belles Lettres) traite de l’interculturel, observant comment les milieux professionnels chinois et étrangers s’hybridisent par la découverte des modes de fonctionnement respectifs.
On y retrouve le métier d’Edith Coron qui a « coaché » des centaines d’experts et techniciens expatriés et chinois pour les aider à mieux vivre ensemble.
Anne Garrigue, est l’auteur de plusieurs livres sur l’Asie où elle a vécu pendant plus de 20 ans.

Elles ont passé 5 ans à enquêter et interviewer en Chine, des profils on ne peut plus divers, de tous métiers et de tous âges qui décrivent leurs vécus, leurs opinions, leurs espoirs, leurs déceptions – sur cet univers pluriculturel. Ils sont Chinois ou Français, mais aussi Japonais, Coréens ou Américains. On croise parmi eux une journaliste chinoise, partie étudier à l’étranger, qui ne se retrouve plus dans ce métier de retour en Chine ; le manager américain devenu président de Huawei ; le « returnee » des Etats-Unis, fondateur de Sina.com ; un ancien n°1 du groupe Michelin en Chine…

Le style journalistique est celui de l’observation au quotidien. A tous ces êtres, les auteurs demandent de confier leur regard sur l’Autre. 

En épilogue, le livre tente une définition de l’hybridation : pour les auteurs, c’est la planète en cours de mondialisation ultrarapide, qui découvre à travers l’éveil chinois, la complexité infinie de sa société, ses différences, et qui les « digère ». Les hommes étant passés par l’expérience interculturelle peuvent alors « se penser hybrides, se choisir et se revendiquer comme tels ».

« International Business Ethics-Focus on China »

« International Business Ethics-Focus on China » (Springer Verlag) de Stephan Rothlin et Dennis McCann est un ouvrage universitaire, traitant des brûlantes questions d’éthiques, gardant en filigrane cet axiome : le « bon comportement » est le plus court chemin vers la réussite, dans le monde, comme en Chine. 

Citoyen helvétique, Stéphane Rothlin SJ est Directeur de l’Institut Ricci de Macau et PDG d’une entreprise de consulting en RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises), enseignant dans des écoles de commerce de Chine, dont l’UIBE. Il anime aussi une revue de droit des affaires éthiques, et un master en chinois sur internet, comptant 5000 étudiants. 

La force de l’ouvrage, fruit de 20 ans de recherche, est de mettre en résonnance des concepts de l’économie mondialisée, d’autres de la sagesse chinoise antique, et des situations tirées de l’actualité la plus brûlante. Le thème de la fraude est introduit à partir du scandale de la FIFA, et compare les dégâts d’une carambouille géante, à la déchéance d’un Sepp Blatter. 
Ici, l’économie entière est vue comme un jeu avec terrain, ballon, équipes en lutte. Historiquement, le jeu est la pensée stratégique et le fondement de la stratégie commerciale. En philosophie antique, Mencius voit dans ce jeu une forme de « culture de soi » développant le sens de la propriété (比 bi), de l’intelligence (知 Zhi) et de la bonté (仁 ren). Mais il y a des limites morales, et légales, contraignantes pour les joueurs, pour rester dans le jeu, et gagner : c’est le vieil adage de Confucius de la Voie (道 dao), « ce que tu ne veux pas souffrir pour toi même, ne l’inflige pas aux autres ».

À travers cette trame, le livre analyse dans une perspective chinoise les différents éléments du jeu : la technologie de l’information, la philanthropie, les coopératives de crédit, la responsabilité sociale d’entreprise ; l’éthique face à la protection de l’environnement, et la taxe Tobin envisageant de ponctionner comme outils de gouvernance les profits spéculatifs.
A travers tous ces horizons, les auteurs n’oublient pas de rappeler discrètement leur propre message, ce que la Bible a à dire sur ces sujets…

Pour McCann et Rothlin, en ce sport propre que doivent les affaires, apparaît un personnage idéal : le « top notch manager », chef d’entreprise hors pair capable de concilier une compétence technique sans faille et un leadership moral incontesté. 

« Pop-corn et Chine pop »

Après ces deux plats de résistance, le lecteur se verra proposer un petit dessert d’une légèreté bien appréciée : « Pop-corn et Chine pop », par Anne Depaulis (auto-édition, c/o depaulisanne@gmail.com) est le récit d’un semestre d’études en 1986 à l’université Beida de Pékin, avant l’explosion consumériste de la Chine du XXIème siècle. 

Ce petit livre regorge d’anecdotes charmantes sur cette époque où tout manquait, le thé comme l’eau chaude dans les douches ; sur le resto « U » où chacun prend ses baguettes dans un pot commun et les rend après usage, sans les laver. Et le grand hall de l’hôtel Pékin « sombre, vieillot, à l’odeur de musc »…. Une Chine dont on ne peut être que nostalgique !