Depuis 1990, les hobbies du 3ème âge ont bien changé : toujours plus nombreux, papis et mamies se rassemblent dans les salons de courtage, pour spéculer en bourse, surveillant l’évolution des cours au grand écran mural.
L’activité a du sens économique, et aussi social : échanger les tuyaux, se faire des amis, et faire passer le temps. A faire d’incessants calculs mentaux, on entretient la mémoire. Et en faisant prospérer leur petit capital, ils obtiennent « de la face », vis-à-vis de leurs enfants. Car à long terme, leur bilan est souvent positif : les crashs de l’été et automne ont grillé 40% de la valorisation boursière, mais comme depuis 2014, elle a grimpé de 150%, il leur reste jusqu’à 110% de hausse nette – sans compter celle de leur estime de soi.
Mais pour le gouvernement, quel casse-tête ! Ces « traders en pyjama » investissent sans rationalité et sans garantie aucune, sur des positions « au feeling ». Par instinct grégaire et effet boule de neige, ils bouleversent la bourse, qui devient imprévisible.
Le 31 janvier, en un étonnant remake de l’affaire Madoff, 21 escrocs dirigés par un certain Ding Ning (cf photo) furent arrêtés dans l’Anhui pour avoir piégé jusqu’à 900.000 petits joueurs, souvent du 3ème âge. Depuis 2014, par la promesse de rendements mirifiques, leur plateforme internet Ezubao de crédit « P2P » avait ratissé 50 milliards de ¥ (7,6 milliards de $). L’arnaque était celle du « système de Ponzi » : aucun placement n’étant fait, les intérêts se payaient avec l’argent des derniers entrants. Cette fraude révèle l’immaturité du système financier chinois : Ezubao faisait sa promotion à la télévision, qui diffusait la publicité sans avoir été vérifiée, tandis que les banques vendaient cette dette sans garantie. Il n’y avait aucun encadrement légal ni corps d’inspecteurs pour protéger l’investisseur…
Les complices se partageaient le butin en villas à Singapour, limousines, diamants roses ou montres suisses… Quand les choses tournèrent mal, début décembre, ils enterrèrent 80 sacs de leur archive en banlieue de Hefei, à 6m de profondeur, espérant décamper sans laisser trace –plan déjoué par la police qui déterra le pot aux roses, grâce à l’opiniâtreté de deux pelleteuses durant 20 heures.
Selon la tutelle CSRC, cette affaire n’est que la pointe visible de l’iceberg. Ayant levé 400 milliards de ¥ d’épargne privée, les sites de prêts P2P sont 3600, dont 1000 douteux. Selon Iresearch, le volume des emprunts non protégés triplera d’ici 2019, à 1700 milliards de ¥, qui risquent de disparaître dans un projet mal « ficelé » ou une carambouille.
Sommaire N° 5 (2016)