Des « gongxi facai » (vœux de bonne fortune) en veux-tu en voilà, des plats qui défilent sur les tables tournantes (de quoi dire adieu à sa ligne) et des pétards et feux d’artifices qui résonnent du matin jusqu’au soir (sauf dans les grandes villes)… Les congés du nouvel an chinois, ont enfin retrouvé leur atmosphère d’antan, après quatre années impactées par le Covid-19.
Même le traditionnel gala de la CCTV diffusé le veille du Nouvel An semble avoir réussi à conquérir le cœur des téléspectateurs puisqu’il enregistre une hausse notable de son audimat (1,5 milliard de vues à la TV, 13% de plus par rapport à 2023 et 420 millions de vues sur les réseaux sociaux, un bond de 60%). Ceux qui ont eu le courage de visionner les 4h30 de show ont eu la surprise d’entendre « Belle », la chanson-phare de la comédie musicale « Notre-Dame de Paris », reprise en l’honneur de 60ème anniversaire des relations diplomatiques entre Paris et Pékin et de l’année du tourisme culturel franco-chinois.
Les chiffres officiels semblent venir confirmer cet engouement. Selon le ministère de la culture et du Tourisme, 474 millions de voyages (dont 100 millions en train, un tiers de plus qu’en 2019, et 18 millions en avion) ont été effectués du 10 au 17 février (8 jours), soit 19% de plus qu’en 2019 et +34,3% par rapport à 2023. Les analystes interprètent ces résultats comme une volonté de rattraper le temps perdu en voyageant.
Autre tendance intéressante : le chassé-croisé entre les habitants du sud du pays qui « remontent » dans le nord (Dongbei, Xinjiang, Mongolie Intérieure) pour contempler les festivals de glace et s’adonner aux joies des sports d’hiver et ceux du nord qui « descendent » dans le sud pour profiter d’un climat plus doux et découvrir d’autres types d’activités touristiques.
En sus, 3,6 millions de Chinois se sont envolés hors frontières durant les vacances (à peine 60% des niveaux de 2019) contre 3,23 millions d’étrangers (dont une probable majorité de Chinois de la diaspora) venus en Chine durant la fête du Printemps. Les destinations plébiscitées par les Chinois sont proches géographiquement et offrent souvent une exemption de visas. C’est le cas de la Thaïlande, la Malaisie ou encore de Singapour qui ont vu leur afflux de voyageurs augmenter de 30% par rapport à 2019, selon Trip.com. D’autres ont préféré des destinations plus lointaines comme la Nouvelle Zélande, la Russie, les Etats-Unis ou encore l’Egypte, rapporte la plateforme Fliggy (Alibaba). En flux aérien, la première destination européenne est le Royaume-Uni, suivi par la France, puis par l’Allemagne. Mention spéciale pour Hong Kong qui fait un tout petit peu mieux qu’en 2018 en attirant 1,25 million de touristes chinois (90% du total) notamment venus admirer le retour des feux d’artifices sur la baie Victoria et la parade nocturne.
Certes, les Chinois se remettent à voyager, mais mettent-ils la main au portefeuille ? Durant les vacances nationales, 632,7 milliards de yuans ont été dépensés, en hausse de 7,7% par rapport à 2019 et de 47,3% par rapport à 2023. De quoi faire couler le Maotai à flot ? Pas si vite…
Outre le fait que ces congés ont duré 1 jour de plus par rapport aux autres années, ce qui biaise les comparaisons, le montant moyen dépensé par voyageur (1334 yuans) reste en dessous des niveaux de 2019 : -9,5%, d’après les calculs de Goldman Sachs, ce qui suggère que les Chinois restent prudents à la dépense. Dans ces circonstances, pas étonnant que les « enveloppes rouges » (virtuelles comme papiers) se soient faites plus rares cette année, comme l’observe le blogueur Xiang Dongliang.
Pour autant, les données du box-office sont encourageantes : 8 milliards de yuans de tickets de cinéma ont été vendus (37% d’augmentation comparé à 2019). dont 2,72 milliards pour le film chinois « YOLO » (热辣滚烫), qui relate l’histoire d’une trentenaire en surpoids qui poursuit son rêve de devenir boxeuse*.
Même le marché boursier a repris des couleurs sous l’action de « l’équipe nationale », surnom donné aux grandes institutions financières et aux entreprises d’Etat qui ont été mobilisées début février pour faire remonter des cours au plus bas depuis 5 ans. Ainsi, lors de leur réouverture le 19 février, les places de Shanghai et de Shenzhen ont respectivement gagné 1,6% et 0,9%. Une embellie qui a duré une semaine.
Tous ces chiffres ont probablement été bien accueillis (enjolivés, diraient certains) par le leadership, alors que le pays fait face à de multiples challenges tels qu’un marché de l’immobilier en berne, un taux de chômage des jeunes inquiétant, des investissements étrangers qui dégringolent ou encore une baisse des prix à la consommation. Plus largement, le problème tient à la perte de confiance du public dans la capacité du gouvernement à inverser la tendance. La censure des commentaires négatifs sur l’état de l’économie chinoise n’arrange rien…
Pour Yu Minhong, fondateur du conglomérat New Oriental qui a vu son chiffre d’affaire s’effondrer en 2021 suite à la reprise en main du secteur des cours particuliers, « le gouvernement doit respecter les règles d’une économie de marché, permettre au bon sens de s’imposer, réparer les relations entre les autorités et les entrepreneurs, et l’économie (locale) décollera », a-t-il déclaré le 22 février au Forum de Yabuli, en une critique à peine voilée des politiques actuelles. Justement, une loi sur la promotion du secteur privé est en préparation, mais les experts n’en attendent rien de révolutionnaire. La prochaine session parlementaire qui s’ouvrira le 5 mars à Pékin ne devrait pas non plus donner lieu à des annonces fracassantes.
Tous les espoirs reposent alors sur le 3ème Plenum du Comité Central, rendez-vous politique traditionnement porté sur l’économie, reporté sans aucune explication depuis novembre dernier. Suite à la réunion de la Commission centrale sur l’approfondissement global de la réforme présidée par Xi Jinping le 21 février, l’agence Xinhua a toutefois annoncé que l’année à venir serait à marquer d’une pierre blanche. On ne demande qu’à y croire.
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*La transformation physique de la réalisatrice de YOLO, Jia Ling (connue pour son premier film « Hi, Mom »), qui a perdu plus de 50 kg pour ce rôle, a fait l’objet de nombreux débats sur les réseaux sociaux, certains internautes arguant qu’elle allait à l’encontre du « body-positivisme ».
1 Commentaire
severy
26 février 2024 à 21:28Si j’ai bien compris, tout va bien: tout va mal.