Automobile : Le virage électrique

Incroyable, mais au fond prévisible : l’industrie automobile chinoise passe d’une euphorie permanente, presque sans transition, aux années de vaches maigres ! Après avoir connu une croissance turbo, avec des ventes qui explosaient de 45% en  2009, l’année 2018 pourrait basculer dans le rouge—une première depuis 30 ans. En 2018, selon CAAM l’association nationale des constructeurs, de juin à septembre, les ventes enregistraient une baisse de 7,7%, pire performance en 10 ans, et passaient à 11,7% en octobre. L’interprofession attend même une aggravation pour ce qui reste de l’année.

Logiquement, le recul des commandes s’accompagne d’une autre courbe maléfique : les concessionnaires doivent consentir à de substantiels rabais, sacrifiant leurs marges. Le marché chinois représentant un tiers du mondial (23 milliards de $ de chiffre par an selon Bain), sa récession induit celle du marché mondial pour la première fois depuis 2011.

Les constructeurs s’y attendaient. Yao Jie, vice-président de la CAAM, affirme que la première cause de mévente est la saturation du marché. L’une après l’autre, les villes congestionnées limitent la création de plaques d’immatriculation. Tablant sur un « mât de Cocagne » perpétuel, les constructeurs s’étaient lancés depuis 10 ans dans une course aveugle à l’équipement pour occuper le terrain « avant le déluge », espérant avoir  suffisamment grandi d’ici là pour laisser ledit déluge emporter la concurrence trop faible pour résister. Résultat, la capacité de production est de 40 millions de voitures par an, pour un marché de 28,5 millions. Aussi, le quart des chaînes reste à l’arrêt.  
Une seconde raison à la baisse des ventes tient à la décroissance en général, tronquant les budgets des ménages. Mais celle-ci va durer : les 6,5% de hausse de PIB attendus en 2018 ne seront atteints que par l’intervention massive de l’Etat, sans prendre en compte les besoins réels du marché.
Enfin en troisième position seulement selon Yao Jie, la guerre commerciale avec les Etats-Unis affaiblit elle aussi les ventes…

Face à cette crise, l’Etat hésite encore sur l’attitude à suivre : laisser fermer les usines « zombies », ou subventionner pour permettre un repli en douceur ? Quelle que soit la décision, elle impactera aussi les constructeurs étrangers. Souvent présents sur les deux marchés (chinois et américain), ils devront s’adapter au nouvel équilibre.
Paradoxalement, ce sont ceux les mieux implantés en Chine qui vont souffrir le plus : les griffes allemandes VW, BMW, Daimler voient leurs profits fondre, avec des ventes chinoises en baisse et des usines moins employées – celles d’Europe produisent à 80% de capacité, et sont plus rentables. Par contre, sont à la fête les constructeurs de véhicules utilitaires (aux meilleures marges) et ceux vendant plus en Europe (PSA) ou sur d’autres marchés encore porteurs tels Inde ou Japon (Renault-Nissan-Mitsubishi).

Bien sûr, la décélération de l’automobile chinoise impacte les équipementiers : XD Plastics de Harbin, 1er producteur de polymères auto, voit ses profits baisser de 40% au 3ème trimestre—et de manière intéressante, ouvre une filiale à Dubaï, proche des gisements pétroliers géants du Golfe Persique, capable de fournir les marchés américains sans payer la taxe de Trump à 25%.

Cette crise va donc accélérer une refondation du secteur. De longue date, les constructeurs, chinois comme étrangers, publics comme privés, réfléchissaient à la relève. Sur le tard, les groupes occidentaux parient sur la voiture « à énergie nouvelle » (NEV), voire électrique (EV).
Forts de leurs années d’avance et du plan d’Etat dédié aux NEV en route depuis 10 ans, les constructeurs chinois occupent le marché : les modèles électriques de BYD (Shenzhen) sont en plein boom avec 26.066 ventes pour le seul mois d’octobre (un record, +121% par rapport à 2017). Côté étranger, Tesla achète son terrain en zone franche à Shanghai à 145 millions de $, recrute 3000 employés pour sortir 500.000 voitures par an (contre 100.000 aux USA). BMW porte à 75% ses parts dans Brilliance – qui va sortir avec Renault deux fourgonnettes électriques. Renault sortira en 2020 son atout-maître : sa KZE faite à Xi’an avec eGT, JV Dongfeng et Nissan, d’une autonomie de 250 km, à moins de 10.000€ – peut-être la moins chère du pays. VW pour sa part annonce dès 2017 un investissement de 12 milliards de $ en Chine pour une future usine de 300.000 batteries et des modèles partagés avec Ford, SAIC… Le Néerlandais Lithium Werks délocalise à Shanghai, mettant 1,6 milliard d’€ dans une JV visant 160.000 batteries par an. Tesla n’hésite plus à prédire l’après automobile à moteur à combustion, qu’il décrit comme un « effet Kodak », firme de pellicules argentiques, poussée hors du marché par la technologie numérique…

En effet, deux évolutions pointent à l’horizon, faisant craindre aux constructeurs traditionnels la perte de 50 à 90% de leurs ventes. La voiture autonome s’apprête à réduire la conduite humaine et les accidents, et optimiser le trafic. Tout groupe automobile y pense, tel Daimler, premier étranger à avoir obtenu le droit de faire rouler dans Pékin ses véhicules tests.

D’autre part, le marché s’oriente vers l’auto partagée, réduisant le nombre de véhicules nécessaires pour desservir les centres urbains. Ce véhicule partagé va multiplier les fonctionnalités embarquées (commerciales, ludiques, culturelles), liées à l’internet et à l’intelligence artificielle. Associées, ces deux tendances convertissent la voiture en un taxi multi-usages. VW s’associe à Didi Chuxing en une « alliance stratégique ». Volvo (filiale Geely) s’associe à Baidu, champion de la navigation connectée, pour produire des voitures autonomes de niveau 4, au moyen de la plateforme d’auto-conduite Apollo…

Ce secteur à l’état natif promet donc de connaître encore bien des remous. À l’été, l’administration homologuait 428 nouveaux modèles « EV » issus de 118 firmes – beaucoup trop pour le marché, et promettant bien des faillites. Mais cela fait partie du plan !

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1 Commentaire
  1. severy

    On imagine déjà des auto-masseuses (avec ou sans vitres polarisantes s’opacifiant à souhait afin de sauvegarder l’intimité des passagers) ou des auto-cuiseuses où l’on pourra prendre un sauna de derrière la batterie pendant le trajet du bureau à la maison… Quelles perspectives éclectiques nous offrent les voitures électriques!

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