Petit Peuple : Dazu (Chongqing) – Tan perd la boule (1ère partie)

Le 17 octobre à Dazu (à 80km de Chongqing), le commissariat de police vivait le train-train d’un lundi après-midi, avec les affaires habituelles… Trois prostituées prises dans un salon de massage, une Toyota Corolla grise en fuite après avoir renversé une moto (l’homme était à l’hôpital, dans le coma entre vie et mort). En isolation surveillée par une policière, une jeune femme l’air hagard, œil poché et bras dans un plâtre, tentait de faire croire que ces dégâts provenaient d’une chute dans l’escalier.

Dès son arrivée toutefois, un agent à qui on ne la fait pas, avait fait aux collègues des signes discrets pour leur signifier qu’il s’agissait selon toute vraisemblance d’un cas de violence conjugale. Dans un couloir, poignet menotté à un radiateur, un petit voleur à la tire attendait un interrogatoire qui ne viendrait jamais—le soir venu, on le relâcherait, sa pénitence expiée.

Soudain vers 17h, sonna l’appareil d’alerte, arrachant l’officier de garde à sa routine. Au bout du fil, un homme au timbre juvénile et à l’élocution confuse, portait contre lui-même une accusation rare. La nuit précédente, à l’en croire, il aurait braqué une femme et à présent, en pleine contrition, il prétendait se rendre. « Bien ! » répliqua le policier avec calme professionnel, « calmez-vous, et dites-moi, où êtes-vous à présent ? ». L’homme les attendait au feu du carrefour, à deux kilomètres à l’Est. Qu’il ne bouge surtout pas, lui dit-on, on arrivait de suite ! Déjà, la position du suspect s’affichait à l’écran GPS.

Quelques minutes plus tard, gyrophare allumé, le véhicule bleu et blanc de la brigade municipale jaillit au point de rendez-vous. À moulinets de bras, un jeune grand et mince héla ceux qui venaient l’appréhender, vêtu comme il l’avait décrit, en blouson et jeans, mais l’ensemble détonnait, peu au style que l’on attendait d’une petite frappe. L’anorak rouge était neuf, de marque américaine. Pour se donner le genre sportif, il cachait ses yeux derrière des fausses lunettes Ray-ban. En dépit de la tension du moment, il arborait un petit sourire curieusement satisfait. Quand les hommes l’abordèrent, il leur tendit un billet de 100 ¥ : « voilà, c’est l’argent que j’ai volé. Je le rends– je n’ai rien dépensé  » ! Il n’avait nullement l’air stressé que l’on pouvait attendre chez un homme sur le point d’être arrêté. Instinctivement respectueux, les agents évitèrent de le saisir à bras le corps, et l’invitèrent à monter au panier à salade pour regagner le poste de police.

En salle de fouille, à la visite corporelle réglementaire, ils trouvèrent le couteau à cran d’arrêt, ou plutôt, ils virent le suspect le sortir de sa poche et le leur tendre replié, avec ce commentaire : « c’est avec ça que j’ai braqué la fille hier ».

Célibataire, chômeur de son état, Tan (c’était son nom) avait la veille claqué la porte du domicile parental suite à un différend avec son père qui lui reprochait amèrement son incapacité à se trouver un emploi stable. Toute la journée, il avait erré à travers les rues. Tenaillé par la faim, et privé de tout argent, il s’était planqué le soir même en pleine rue piétonne commerçante pour se fondre dans la foule. 

Bientôt, une proie potentielle s’était présentée, jeune femme d’allure plutôt aisée, blonde ombrée (d’une coloration qui, en ce pays, n’avait évidemment rien de naturel) et vêtue à la dernière mode. Il l’avait suivie sans s’en faire remarquer. À l’abri des regards, il l’avait menacé avec la lame de son couteau, lui intimant de lui abandonner tout l’argent du sac à main. Il ne contenait que cette somme ridicule, qu’il avait prise de sa main libre, puis la laissa s’enfuir, en sanglots.

A peine sa victime détalée, Tan avait été effrayé par la portée de son acte. Ayant sans faire de bruit regagné sa chambre au domicile familial, il avait vainement cherché le sommeil, tourmenté par sa conscience et les remords. « Après le festin de la faute, vient le remède du remords » (吃后悔药,chī hòu huǐ yào ). Il avait passé l’essentiel de la journée en tergiversations, avant de réaliser qu’il n’avait d’alternative à se livrer à la justice – « et quand-est-ce que j’irai en prison ? », demandait-il avec insistance.

Oui mais… dans la police nationale chinoise, on ne fait pas les choses comme cela ! On a des normes, on suit les procédures. On a des fichiers aussi, à jour. Le sommier national des délinquants en fuite ne présentait aucune entrée anthropométrique au nom de Tan—il devait donc en être à son premier larcin. Fait bizarre, le poste de police à 50m du forfait, n’avait enregistré aucune agression la nuit dernière, ni le lendemain, ni aucun autre poste de Chongqing, tout autour de cette ville de 33 millions d’habitants.

Bref, conclurent les pandores, il avait peut-être fait une grosse bêtise, mais il s’était dénoncé – faute avouée était à demi-pardonnée. Et surtout, sans plainte, on ne pouvait pas le poursuivre : Tan était donc libre, la porte était là. Et qu’il ne s’avise pas de recommencer – la prochaine fois, on serait certainement moins clément !

Mais c’est alors que le jeune homme stupéfia son monde, en refusant la bonne fortune d’être remis en liberté : « Ah mais non, s’écria-t-il,  vous n’allez pas vous débarrasser de moi comme cela ! Je suis un danger public, attendez-vous que j’aille récidiver, assassiner pour me mettre hors d’état de nuire ? Au service du peuple, vous n’avez pas le droit de prendre un tel risque ! J’appartiens à la prison, mettez-y-moi ! »

Mais quel était donc cet étrange cinglé qui déboulait du ciel pour revendiquer sa jetée en prison ? On le saura au prochain numéro.

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
0.75/5
4 de Votes
Ecrire un commentaire