Petit Peuple : Jinan – la révolution de Shi Moulong (2ème partie)

Résumé de la 1ère partie : fils de millionnaire à Jinan, (Shandong), Shi Moulong étouffe dans son existence oisive. A 16 ans en 2017, il décide de dynamiter sa coquille dorée, pour monter une mystification aux dimensions nationales.

Depuis l’enfance, Shi Moulong s’était habitué à voir défiler en permanence chez son père des kyrielles d’importuns venant offrir leurs services en tous genres. Peu après avoir abandonné le lycée, en septembre 2017, Moulong approcha un journaliste, ami de la famille, et lui confia un papier de sa plume, lui demandant de le publier dans son journal. Amusé, l’homme parcourut les lignes puis sentit l’inquiétude le gagner, et tenta de refuser : sa déontologie le lui interdisait, et puis, c’était trop risqué !

D’un ton badin, l’adolescent le calma en lui montrant sur WeChat le virement à quatre chiffres qu’il s’apprêtait à lui faire —et qui lui fit immédiatement voir l’affaire sous une autre lumière. « De toute manière, ajouta Moulong, l’article sera signé sous le nom fictif de Shi Runlong ». Finalement, le journaliste accepta la mission et reçut le cachet qui fit taire ses scrupules…

Une semaine plus tard, l’article parut : Shi s’était mué en tycoon néo-zélandais de 22 ans, au curriculum éblouissant. Après Harvard, il avait décroché son doctorat en finances à l’université Northeastern de Boston. Venture capitaliste de haut vol, il avait racheté 4 conglomérats privés. Sur la photo, son minois aux traits graciles était contredit par sa posture impérieuse, dans une ambiance officielle, saisi en train de dévisager d’un air de patron politique des centaines de cadres, qui se tenaient en respectueuse soumission.

Désormais, plus une seule semaine ne se passa sans que ne paraissent sur la toile des portraits d’un Shi Runlong qui montait chaque fois en grade. Un jour, il était Chef de section du Centre de recherche économique en Chine de l’Est. Un autre, il était à Chicago chez Barack Obama. La semaine d’après, Donald Trump le recevait à son tour à la Maison Blanche. Puis, Shi Runlong s’envolait pour Berlin, où on le retrouvait  sur le perron du Bundestag en grande conversation avec Angela Merkel. Après de telles rencontres, Emmanuel Macron n’avait plus qu’à l’inviter à son tour d’urgence : on les photographiait ensemble à la sortie de l’Elysée.

Face à de tels prodiges et coups médiatiques récurrents, la Chine de la rue s’émerveillait de la beauté et de l’intelligence du jeune sino-étranger si prometteur, et qui portait aux antipodes la gloire de la nation !

Éclectique dans ses talents, Runlong s’intéressait aussi aux moyens de mettre l’économie au service du social. Un thuriféraire publia son discours sous ce titre ronflant quoiqu’un peu indigeste : « penser la société et la lutte contre la pauvreté : comprendre la pensée du camarade Shi Runlong sur l’assistance conjointe et multiple ». Dans sa harangue aux paysans de Lizuo (Hunan), le jeune théoricien exposa une technique inédite de greffe de leurs théiers. Dès lors, nul ne put plus douter que le Parti n’ait décidé de recruter un tel talent, car très peu de jeunes s’intéressaient à la lutte anti-pauvreté, l’une des priorités du Chef de l’Etat…

Le dernier article renforçait l’engagement de Shi Runlong dans cette croisade : il venait d’être nommé au bureau exécutif de la Croix Rouge japonaise. Suite à cette promotion, les médias les plus compassés, tel China News Service, n’hésitèrent plus à republier les articles retraçant ses succès. C’est à Chine Nouvelle qu’on doit ses dernières citations,  où Shi Runlong réagissait à la reconnaissance des paysans de Lizuo, recevant le procédé de greffe du thé qui allait bouleverser leurs vies : « quand je vois ces pauvres gens jetant vers moi leurs regards d’adoration, je ne peux que renforcer ma détermination de les arracher tous à leur misère » !

Hélas, cet article fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Jusqu’à présent, tout avait marché. Plus c’était gros, et plus cela passait. Mais ici, les propos prêtés à Shi Runlong sentaient trop la mégalomanie, l’arrogance d’un jeune né la cuillère en argent dans la bouche, qui « se donnait des airs et regardait le monde de haut » (趾高气扬, zhǐgāoqìyáng)…

En septembre 2018, la sécurité d’Etat ne mit que quelques heures à remonter au chômeur de 17 ans qu’était Shi Moulong, sous les oripeaux bidonneurs dont il s’affublait dans la presse.

Mais une fois dévoilé le pot aux roses, les censeurs se trouvèrent dans de petits souliers : après avoir gardé le silence depuis 12 mois sur cette mascarade, ils devaient à présent arrêter l’escroc et admettre au grand jour qu’ils s’était laissés berner dans les grandes largeurs.

Pire : même en cherchant bien, il n’y avait, sous l’angle pénal, aucun crime. Nul argent n’avait été détourné, personne n’avait été calomnié, le régime n’était pas non plus attaqué… La seule victime était le système, une certaine mentalité arriviste et hypocrite de personnes que Shi Moulong n’avait fait qu’imiter, tout au plus en forcissant un peu le trait. Et il n’avait même pas cherché à se cacher : sa photo était toujours véridique, et son nom authentique—à un idéogramme près, comme s’il avait tout du long cherché à se faire prendre.

On en est là : alors que la Chine entière n’a pas fini d’en rire, l’ex-lycéen est timidement critiqué par la presse pour sa « vanité », et l’Etat réfléchit toujours à envoyer ou non Shi Moulong derrière les barreaux. Il risque tout de même, pour son canular de potache, trois ans de prison !

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1 Commentaire
  1. severy

    Bref, c’est l’histoire d’un mec qui forcissait la dose en farcissant la presse de ses pseudo-exploits. Finira au ministère de la propagande.

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