Le Vent de la Chine Numéro 35 (2018)

du 21 au 27 octobre 2018

Editorial : Une guerre commerciale qui commence à mordre

Partis du Golfe du Mexique et de la région de Seattle la semaine du 8 octobre, les vraquiers Star Laura et le Golden Empress débarqueront à Qingdao 135.000 tonnes de soja, malgré les 25% de taxes que la Chine a imposés en juillet, en rétorsion aux sanctions de D. Trump. En effet, ayant épuisé la totalité du soja en vente au Brésil et en Argentine, la Chine n’a plus d’autre choix que d’acheter l’oléagineux aux Etats-Unis…

Ailleurs en Chine, la guerre commerciale fait d’autres dommages. Depuis janvier, les bourses de Shanghai et de Shenzhen ont perdu 33%, grillant 3000 milliards de $ de valeur pour chuter (16 octobre) à 5336 milliards de $. Les firmes qui empruntaient aux banques en gageant leurs positions boursières, doivent revendre à perte. Selon Bloomberg, 613 milliards de $ de tels titres hypothéqués, sont menacés. A Hong Kong, la bourse a vu revendre en 8 jours pour 17 milliards de $ de titres chinois.

Standard & Poor’s évalue les dettes cachées des provinces à 5.780 milliards de $. La dette publique serait ainsi évaluée à 60% du PIB. S&P croit y voir « un iceberg de crédit, et un risque de naufrage à la Titanic ».

 Depuis janvier, la Banque Centrale chinoise a livré 492 milliards de $ aux banques d’argent frais. Pour Citigroup, cela signifie que la Banque Centrale a renoncé à désendetter les consortia publics et les provinces. La priorité désormais est de leur donner les moyens de poursuivre leurs projets d’infrastructures, telles ces dizaines de nouvelles lignes de métro à travers le pays. C’est le prix à payer pour sauver le maintien de la croissance à 6,5% cette année, et prévenir conflits sociaux et faillites en cascade.

Après avoir nié durant des mois l’internement d’un million de Ouighours en camps au Xinjiang, Pékin avalise leur existence (9 octobre), puis se lance (16 octobre) dans une offensive inédite d’ « explications » à la nation et au monde. Shohrat Zakir, Ouighour lui-même, Président du territoire autonome, qualifie ces camps de « centres de formation » (培训中心) et de « bouclier légal et humain contre le terrorisme ». Ils agiraient comme des écoles pour la minorité ouïghoure « et d’autres musulmans », leur enseignant langue et culture chinoise, civisme et différents métiers (couture, coiffure, cosmétique, cuisine régionale ou e-commerce). Ils auraient droit à repas gratuits, dortoirs climatisés, séances de cinéma et salles d’ordinateurs. « Une vie haute en couleurs », résume Zakir, reportage TV à l’appui, sans un mot toutefois sur leur liberté religieuse, ni sur les critères d’incarcération ou de remise en liberté.

D’ampleur historique, cette campagne reçoit ainsi sa tentative de justification, à 30 jours du meeting du Conseil des Droits de l’Homme à l’ONU, qui sera l’occasion pour les nations d’interpeller la Chine. Pour prévenir les critiques,  Pékin plaide l’urgence de barrer la route aux violences séparatistes en rééduquant et rectifiant les mentalités, en remplaçant dans les esprits l’extrémisme par le civisme et l’esprit patriote.

En même temps, sans donner de chiffres, le régime prétend poursuivre un effort important pour enrichir la région, « conformément aux directives du Comité Central avec le camarade Xi Jinping en son cœur ». Les quatre préfectures méridionales du Xinjiang seront « le champ de bataille » dans la lutte pour la croissance inclusive, tous leurs habitants devant avoir franchi d’ici 2020 le seuil officiel de pauvreté…

Mais peut-on changer la culture d’un peuple, et forcer malgré lui son entrée dans une ère nouvelle, sans son accord ni sa concertation ? En tout cas, une rumeur non confirmée circule : les camps pourraient durer des décennies jusqu’à ce que les reclus ait oublié leur Islam extrémiste. Une entreprise ambitieuse de reprogrammation d’un peuple, mais aux chances de succès aléatoires.


Economie : Quand l’économie chinoise se refermera

Par Sébastien Le Belzic

La guerre froide commerciale qui oppose cette année la Chine et les Etats-Unis pourrait avoir un effet inattendu : le retour en grâce des entreprises d’Etat. Ces mastodontes, promis en 2012 par le régime à une cure de concurrence du privé et de l’économie de marché, ont plus que jamais le vent en poupe au sein de l’aile conservatrice.

Alors que la croissance accumule les difficultés (baisse des exportations, reprise de l’inflation, consommation intérieure en berne…), les firmes privées sont celles qui prennent la tempête de plein fouet. Sur le premier semestre, les profits cumulés des industriels privés ont chuté de 28% par rapport à 2017. Au même moment, les conglomérats d’Etat voyaient leurs profits augmenter en même proportion, et leur croissance s’accélérer.

Ce vase communiquant est dû en partie au fait que l’effort public pour réduire surcapacités et pollution s’est porté, de façon inéquitable, sur les usines privées. Ce sont aussi elles qui souffrent le plus des surtaxes américaines. Mais pas seulement.

La réalité est que les courbes se croisent, ranimant un débat que l’on croyait clos parmi les économistes internationaux : le secteur privé sert-il encore à quelque chose ? Des théoriciens et chercheurs proches du pouvoir prédisent  en effet que les faillites vont se multiplier dans les secteurs les plus exposés aux taxes compensatoires américaines. Elargir le secteur public en englobant des groupes privés, pourrait les protéger de tels aléas et mettre la deuxième économie mondiale à l’abri des mauvais vents de la mondialisation. Les dernières taxes de Trump visent déjà 253 milliards de $ de produits chinois.

Aujourd’hui, le secteur privé assure près des deux tiers de la croissance et neuf dixièmes des nouveaux emplois. Les sanctions américaines pourraient donc créer une sérieuse onde de choc pour les firmes privées chinoises.

Le Président Xi Jinping qui n’a de cesse de renforcer le contrôle du Parti sur l’armée, les médias et la société civile, se concentre donc désormais sur les entreprises privées, pour les faire passer sous le «chapeau rouge» (红帽) du secteur public. Le pouvoir envisage de prendre des participations directes dans plusieurs consortia privés, dans la finance, l’internet et l’énergie. Cette nationalisation qui ne dit pas encore son nom passe dans un premier temps par le renforcement des comités du Parti dans la gestion des entreprises (y compris celles à capitaux majoritairement étrangers).

Cette évolution est soutenue par l’aile conservatrice du Parti, tel Zhou Xincheng, professeur de marxisme à l’Université Renmin qui affirmait début 2018, dans un texte très médiatisé, que la propriété privée devait même disparaître. Cet été encore, l’écrivain gauchiste Wu Xiaoping soutenait que « le secteur privé ayant accompli sa mission historique en Chine, peut quitter la scène ».

Un rien polémiques, telles positions font fonction de ballons d’essais pour le compte du pouvoir. Elles expriment aussi le besoin aigu de Pékin de collecter l’impôt pour financer certains de ses chantiers sociaux telle l’assurance santé, ou le contrôle renforcé des risques environnementaux et des mouvements de masse.

Dans ce cadre, la grande réforme fiscale annoncée pour le 1er janvier 2019 devrait porter un coup dur aux PME, généralement privées et aux marges bénéficiaires diaphanes. En effet, prestations sociales et taux d’imposition vont bouger, écornant les profits d’affaires de 2,5%, à en croire Nomura Securities (Hong Kong).

En même temps, le privé a de plus en plus de mal à se financer, quand les entreprises d’État n’ont nul problème à contracter de nouveaux emprunts. Même Li Keqiang, le Premier ministre, admet récemment une « ligne cachée » entre l’accès public et privé aux prêts bancaires. Du coup, on voit les premiers groupes privés, quand ils ne sont pas purement acculés à la faillite, réduits à céder des participations à l’Etat, ce qui était impensable 20 ans en arrière.

Cette année, selon Shanghai Securities News, 46 entreprises privées ont vendu des parts à des groupes d’Etat, plus de la moitié cédant leur contrôle majoritaire. Le nombre est faible au vu de l’échelle du pays, mais il inverse une tendance que l’on croyait inexorable, la victoire du capitalisme « à la chinoise ». Parmi ces firmes, Changchun Sinoenergy Corporation, société pétrolière et gazière qui se retrouvait incapable de rembourser une obligation, a dû céder la majorité de ses parts à une société publique du Hunan, contre promesse d’injecter 150 millions de $ dans l’entreprise par le gouvernement du Hunan, qui devenait ipso facto le patron.

Quand elle n’est pas capitalistique, la nationalisation se fait stratégique. Tencent, le géant de l’internet voit également s’avancer cette nationalisation masquée. Sous couvert de campagne nationale contre la myopie, de nouvelles règles d’approbation des jeux vidéos viennent de conférer au département de la Propagande un rôle direct dans sa gestion, ce qui l’a contraint à retarder la sortie de ses derniers jeux : Tencent a perdu en bourse le tiers de sa valeur. Cependant notoirement, depuis janvier, l’Etat anxieux de contrôler la valeur autant que les contenus des produits circulant sur Internet, fait pression sur Tencent, Alibaba et d’autres, pour obtenir des sièges aux conseils de direction.

En conclusion, la tendance à la renationalisation du privé est nette, décision idéologique sous prétexte de guerre commerciale. Mais est-ce le seul objectif ? Pas forcément. En favorisant ce type de rachats trans provinciaux (Changchun Sinoenergy racheté par le gouvernement du Hunan à 2000 km de là), Xi Jinping ne serait-il pas en train de réaliser un vieux rêve réformiste : mettre un terme à cette structuration autonome des économies provinciales, pour faire naître un grand marché national ?


Défense : USA : La charge effrénée des espions chinois

Par Liu Zhifan 

En une semaine, deux affaires d’espionnage mettant en cause la Chine, ont éclaté aux Etats-Unis, aggravant des relations déjà tendues par le conflit commercial entre Pékin et Washington. La Chine tente plus que jamais de renforcer son effort de pénétration tous azimuts des secrets du nouveau monde—petits et grands, publics et privés.

Le 4 octobre, Bloomberg Businessweek prétendait que des agents de l’Armée Populaire de Libération (APL) auraient installé des microprocesseurs de la taille d’un grain de riz dans les carte-mères de l’entreprise informatique taïwano-américaine Supermicro (l’un des plus grands fabricants de serveurs au monde) dont l’assemblage était confié à des sous-traitants installés en Chine. Dans le carnet de commandes de Supermicro, se trouve une trentaine d’entreprises américaines comme les grands noms de l’internet Amazon ou Apple, mais également des agences de renseignement comme la NSA, la CIA ou le Département de la Défense.

Une fois la fracassante annonce publiée, les compagnies concernées ont démenti, pointant la faiblesse d’une accusation sans preuve, ni autre référence que 17 témoignages anonymes de « sources proches du monde du renseignement et des affaires ». De plus, plusieurs experts ont exprimé leurs doutes : si l’infiltration des réseaux de groupes commerciaux américains est plausible, celle des plus hautes sphères de la sécurité du pays est impensable.

En tout cas, l’article met en lumière la dépendance de l’économie américaine aux composants made in China, dont sortent 75% des smartphones et 90% des ordinateurs portables de la planète.

L’avenir permettra de trancher : si l’affaire s’avérait juste, elle tuerait toute chance pour les géants chinois tels Huawei ou ZTE de s’imposer hors frontières. Dans le cas inverse, cette accusation explicite une méfiance mutuelle entre USA et Chine, sous l’angle de l’espionnage—car les Etats-Unis ne sont pas en reste…

L’affaire intervient dans un contexte de raidissements des relations, illustré le 4 octobre par un vice-président américain Mike Pence à Washington, accusant la Chine d’interférer dans les élections de mi-mandat prévues le 6 novembre, en « mobilisant acteurs cachés, groupes de pression et média propagandistes ». Ces accusations faisaient écho à celles de Donald Trump fin septembre, sans preuves les unes comme les autres.

Puis le 11 octobre, Xu Yanjun, barbouze chinois, arrêté à Bruxelles six mois plus tôt, était extradé vers les Etats-Unis – premier espion du Céleste Empire à s’envoler menottes aux poignets vers les USA pour y faire face à la justice. Haut cadre à la Sécurité d’Etat dans le Jiangsu, Xu aurait tenté depuis 2013 de soudoyer les employés d’importantes firmes aérospatiales américaines parmi lesquelles GE Aviation, filiale de General Electrics, un des géants de l’avion militaire. Son arrestation à Bruxelles aurait résulté d’un piège du contre-espionnage américain, qui l’aurait attiré dans une souricière dans la capitale de l’Union Européenne.

De telles interpellations d’espions chinois par les Etats-Unis se multiplient ces derniers temps. Fin septembre, le ministère fédéral de la justice annonçait l’arrestation à Chicago de Ji Chaoqun, citoyen chinois de 27 ans qui poursuivait ses études en ingénierie électrique en tant que réserviste de l’US Army, attendant sa naturalisation. Ji était en contact avec trois « correspondants » dont l’un, se faisant passer pour son professeur, a également été appréhendé. Moyennant une rétribution non déclarée, il avait été chargé de vérifier les CV de huit ingénieurs et chercheurs dans la défense et l’aérospatiale et avait sollicité une documentation technique, secrètement envoyée à Pékin ensuite.

De la sorte, le renseignement chinois recrute généralement parmi les 3,8 millions de sino-américains récemment immigrés. La plupart d’entre eux sont des universitaires chez qui brûle encore la flamme de la patrie d’origine, et accèdent de par leurs bonnes études à des postes à responsabilités en des secteurs de pointe.

Fin août, William Evanina, un des patrons du contre-espionnage américain s’inquiétait de la prolifération de faux comptes Linkedin (filiale Microsoft), ouverts par des espions chinois pour recruter des Américains  ayant accès aux dossiers secrets commerciaux ou gouvernementaux. Christopher Wray, directeur du FBI, va plus loin : la cybermenace chinoise serait « de loin, la plus large, la plus puissante et significative à laquelle est exposée notre nation ».

En réaction, le gouvernement fédéral resserre les restrictions aux investissements étrangers sur les secteurs sensibles tels la haute-technologie ou les télécommunications. A partir du 10 novembre, le Comité pour l’investissement étranger aux USA (CFIUS), dépendant du département du Trésor, pourra bloquer tout investissement extérieur « portant atteinte à la sécurité nationale ». C’est nouveau : jusqu’ici le comité n’avait droit de regard que sur les « acquisitions étrangères » et les « participations majoritaires » dans les firmes américaines. Désormais son champ d’action s’élargit aux joint-ventures et à des financements plus modestes. Implicitement, la mesure vise surtout la Chine. En 2017, 56% des investissements chinois aux Etats-Unis (+25% par rapport à 2016) ont visé  des secteurs tels aviation, biotechnologie, véhicules à énergie nouvelle… Ces investissements figurent parmi les dix secteurs déclarés stratégiques au programme « Made in China 2025 », en cours depuis 2015. Par ce plan aussi mystérieux que puissamment doté, la Chine de Xi Jinping compte s’approprier les technologies qui lui manquent, et s’imposer au plus vite comme première nation technologique mondiale. Mais il semble que les Etats-Unis rendent désormais coup pour coup. Et même les plus ardents adversaires de Trump, le soutiennent dans cette croisade.


Religion : Marathon papal

Les deux bords du détroit de Formose se pressaient aux portes du Vatican le 14 octobre : Chen Chien-jen, vice-Président de Taiwan remettait au Saint-Père une invitation à fouler le sol de l’île nationaliste en mars 2019 pour un Congrès eucharistique organisé par Jean Hung Shan-chuan, archevêque de Taipei. Ce serait une première.

Pas plus tard que le lendemain, Joseph Guo Jingcai et Jean-Baptiste Yang Xiaotin, les tous premiers prélats chinois autorisés à assister au synode des évêques au Vatican, frappaient à leur tour à l’huis pontifical, proposant une visite en Chine. Leur invitation ne manquait pas de sel : depuis de longues années, Joseph avait vécu sous le coup d’une excommunication pour avoir porté l’anneau d’améthyste des évêques sans l’accord du Saint Siège, et le verdict n’avait été levé par le Pape François que le 22 septembre, jour de l’accord de réconciliation avec la Chine. Par ailleurs, la simultanéité des offres n’avait rien de fortuit, et le Pape François pouvait ne plus savoir à quel saint se vouer : quelle église choisir, la petite qui lui fut toujours fidèle, ou la grande avec qui il venait de se réconcilier ?

En tout cas, l’agenda du Saint-Père pour 2019 s’annonce dense et complexe : trois autres visites asiatiques sont au programme, au Japon, en Corée du Sud et même en Corée du Nord sur invitation de Kim Jong-un. La demande était remise le 18 octobre par Moon Jae-in, Président de Corée du Sud, de passage en la cité de Saint-Pierre. Le Pape a déjà fait savoir qu’il l’envisageait d’un œil favorable. Tandis qu’à la requête présentée par le vice-Président taïwanais, le Pape s’est gardé de répondre sur le fond, se bornant à lui déclarer qu’il prierait pour l’île.

À vrai dire, entre Chine et Taiwan, le combat pour la visite papale n’est pas égal, car le Pape n’a pas vraiment le choix : il ne peut que préférer Pékin, au nom des 12 millions de fidèles qui l’attendent (en comptant l’église de l’ombre), et en mémoire du long et glorieux passé commun. Ce fut en Chine que Saint François-Xavier débarqua en 1552, miné d’une maladie dont il devait décéder sur le champ. Le missionnaire appartenait à la Compagnie de Jésus, comme l’actuel Pape. Une solution pour le Saint-Père consisterait à mettre toutes les étapes de son périple asiatique sur pied d’égalité, débutant par Japon et Corées, pour passer à Pékin puis à Taipei, histoire de ne pas faire de jaloux… Si Pékin, toutefois le tolère, ce qui est loin d’être acquis.


Agriculture : L’incontrôlable virus porcin

Depuis l’été, le virus porcin ASF (fièvre porcine africaine) envahit la Chine pas à pas. Trois foyers ont été découverts mi-octobre, portant le total à 42 à travers 11 provinces (dont le Yunnan, au Sud du pays). La plus lourdement frappée est le Liaoning avec 15 foyers. Le virus est venu de Russie, par camion.

Après avoir interdit le transport de porcs vivants (parfois sur des distances de 2000 km) dans les provinces touchées par l’ASF, le virus a continué à progresser sur le territoire chinois. C’est que le gouvernement a voulu éviter un vent de panique, tant du coté des consommateurs (ce qui provoquerait une chute brutale des prix), que du côté des éleveurs. Un facteur de propagation est d’avoir laissé arriver sur les marchés des viandes contaminées, issues d’abattages massifs. De plus, nombre de petits élevages ont été touchés après avoir nourri leurs bêtes avec des restes de porc mal cuits, récupérés dans des restaurants. Le cas le plus grave intervint le 16 octobre à Jinzhou (Liaoning), dans une méga-ferme du groupe Dabeinong : pas moins de 19.900 porcs furent abattus, portant à 100.000 en Chine le nombre des verrats sacrifiés à titre préventif. Comme d’autres acteurs du capitalisme agraire, pressés de prendre la place abandonnée par les petits paysans, Dabeinong, n°15 national (600.000 têtes en 2017), ne possède que 40% de l’élevage de Jinzhou (Liaoning).

Suite à quoi, Yu Kangzhen, vice-ministre de l’Agriculture, avertissait dès le 17 octobre que la supervision devrait être renforcée, surtout dans les grands élevages qui se sont multipliés ces dernières années. En effet, les mesures dites de « biosécurité » y sont largement insuffisantes. Les modes de transmission sont multiples : dans l’eau, l’air, ou la nourriture souvent contaminée par du lisier épandu comme engrais. Mais encore par les pneus des tracteurs qui pénètrent dans les halles, ou par le personnel des élevages, porteurs sains du virus. Pour maitriser le virus, des mesures de quarantaine, de filtration de l’air ou encore de désinfection systématique, des lieux comme des équipements, est nécessaire.

Autre alarme du vice-ministre : il adjure la collectivité de dénoncer les éleveurs pratiquant en secret l’éradication sélective, pour espérer épargner les bêtes n’ayant pas été en contact direct avec les porcs infectés. En effet, si un élevage se déclare touché, il est interdit de vente pendant 6 semaines. Une manière de prévenir la fraude, serait de dédommager systématiquement les éleveurs. Finalement selon un expert du secteur, « si la Chine s’en donne les moyens, cette épidémie peut être l’opportunité d’un bond en avant dans la biosécurité ». Mais à ce jour, ces trous au bouclier épidémiologique, font pendre une épée de Damoclès sur un élevage porcin chinois représentant 50% du total mondial.


Petit Peuple : Jinan – la révolution de Shi Moulong (2ème partie)

Résumé de la 1ère partie : fils de millionnaire à Jinan, (Shandong), Shi Moulong étouffe dans son existence oisive. A 16 ans en 2017, il décide de dynamiter sa coquille dorée, pour monter une mystification aux dimensions nationales.

Depuis l’enfance, Shi Moulong s’était habitué à voir défiler en permanence chez son père des kyrielles d’importuns venant offrir leurs services en tous genres. Peu après avoir abandonné le lycée, en septembre 2017, Moulong approcha un journaliste, ami de la famille, et lui confia un papier de sa plume, lui demandant de le publier dans son journal. Amusé, l’homme parcourut les lignes puis sentit l’inquiétude le gagner, et tenta de refuser : sa déontologie le lui interdisait, et puis, c’était trop risqué !

D’un ton badin, l’adolescent le calma en lui montrant sur WeChat le virement à quatre chiffres qu’il s’apprêtait à lui faire —et qui lui fit immédiatement voir l’affaire sous une autre lumière. « De toute manière, ajouta Moulong, l’article sera signé sous le nom fictif de Shi Runlong ». Finalement, le journaliste accepta la mission et reçut le cachet qui fit taire ses scrupules…

Une semaine plus tard, l’article parut : Shi s’était mué en tycoon néo-zélandais de 22 ans, au curriculum éblouissant. Après Harvard, il avait décroché son doctorat en finances à l’université Northeastern de Boston. Venture capitaliste de haut vol, il avait racheté 4 conglomérats privés. Sur la photo, son minois aux traits graciles était contredit par sa posture impérieuse, dans une ambiance officielle, saisi en train de dévisager d’un air de patron politique des centaines de cadres, qui se tenaient en respectueuse soumission.

Désormais, plus une seule semaine ne se passa sans que ne paraissent sur la toile des portraits d’un Shi Runlong qui montait chaque fois en grade. Un jour, il était Chef de section du Centre de recherche économique en Chine de l’Est. Un autre, il était à Chicago chez Barack Obama. La semaine d’après, Donald Trump le recevait à son tour à la Maison Blanche. Puis, Shi Runlong s’envolait pour Berlin, où on le retrouvait  sur le perron du Bundestag en grande conversation avec Angela Merkel. Après de telles rencontres, Emmanuel Macron n’avait plus qu’à l’inviter à son tour d’urgence : on les photographiait ensemble à la sortie de l’Elysée.

Face à de tels prodiges et coups médiatiques récurrents, la Chine de la rue s’émerveillait de la beauté et de l’intelligence du jeune sino-étranger si prometteur, et qui portait aux antipodes la gloire de la nation !

Éclectique dans ses talents, Runlong s’intéressait aussi aux moyens de mettre l’économie au service du social. Un thuriféraire publia son discours sous ce titre ronflant quoiqu’un peu indigeste : « penser la société et la lutte contre la pauvreté : comprendre la pensée du camarade Shi Runlong sur l’assistance conjointe et multiple ». Dans sa harangue aux paysans de Lizuo (Hunan), le jeune théoricien exposa une technique inédite de greffe de leurs théiers. Dès lors, nul ne put plus douter que le Parti n’ait décidé de recruter un tel talent, car très peu de jeunes s’intéressaient à la lutte anti-pauvreté, l’une des priorités du Chef de l’Etat…

Le dernier article renforçait l’engagement de Shi Runlong dans cette croisade : il venait d’être nommé au bureau exécutif de la Croix Rouge japonaise. Suite à cette promotion, les médias les plus compassés, tel China News Service, n’hésitèrent plus à republier les articles retraçant ses succès. C’est à Chine Nouvelle qu’on doit ses dernières citations,  où Shi Runlong réagissait à la reconnaissance des paysans de Lizuo, recevant le procédé de greffe du thé qui allait bouleverser leurs vies : « quand je vois ces pauvres gens jetant vers moi leurs regards d’adoration, je ne peux que renforcer ma détermination de les arracher tous à leur misère » !

Hélas, cet article fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase. Jusqu’à présent, tout avait marché. Plus c’était gros, et plus cela passait. Mais ici, les propos prêtés à Shi Runlong sentaient trop la mégalomanie, l’arrogance d’un jeune né la cuillère en argent dans la bouche, qui « se donnait des airs et regardait le monde de haut » (趾高气扬, zhǐgāoqìyáng)…

En septembre 2018, la sécurité d’Etat ne mit que quelques heures à remonter au chômeur de 17 ans qu’était Shi Moulong, sous les oripeaux bidonneurs dont il s’affublait dans la presse.

Mais une fois dévoilé le pot aux roses, les censeurs se trouvèrent dans de petits souliers : après avoir gardé le silence depuis 12 mois sur cette mascarade, ils devaient à présent arrêter l’escroc et admettre au grand jour qu’ils s’était laissés berner dans les grandes largeurs.

Pire : même en cherchant bien, il n’y avait, sous l’angle pénal, aucun crime. Nul argent n’avait été détourné, personne n’avait été calomnié, le régime n’était pas non plus attaqué… La seule victime était le système, une certaine mentalité arriviste et hypocrite de personnes que Shi Moulong n’avait fait qu’imiter, tout au plus en forcissant un peu le trait. Et il n’avait même pas cherché à se cacher : sa photo était toujours véridique, et son nom authentique—à un idéogramme près, comme s’il avait tout du long cherché à se faire prendre.

On en est là : alors que la Chine entière n’a pas fini d’en rire, l’ex-lycéen est timidement critiqué par la presse pour sa « vanité », et l’Etat réfléchit toujours à envoyer ou non Shi Moulong derrière les barreaux. Il risque tout de même, pour son canular de potache, trois ans de prison !


Rendez-vous : Semaine du 22 au 28 octobre 2018
Semaine du 22 au 28 octobre 2018

22-25 octobre, CATF, Changsha : Salon chinois de l’Agriculture

 23-25 octobre, Qingdao : OI – Oceanology International China, Forum International de l’offshore et des industries maritimes

 23-25 octobre, Shanghai : SEATRADE CRUISE Asia Pacific, Salon asiatique dédié à l’industrie de la croisière

 23-26 octobre, Shanghai : China Brew and Beverage, Salon international des procédés, technologies et équipements de la bière et des boissons 

 24-26 octobre, Dalian, SHIPTEC China, Salon de la construction navale

 24-28 octobre, Shanghai : ALL IN PRINT China, Salon des technologies et équipements de l’imprimerie

 25-27 octobre, Chengdu : China Food & Drinks Fair, Salon chinois de l’alimentation et des boissons

25-28 octobre, Pékin : ICCIE – Beijing International Cultural & Creative Industry Expo

 26-28 octobre, Wuhan : CIAME, Salon asiatique des machines agricoles