Taiwan : Belligérance chinoise et résilience taïwanaise

Belligérance chinoise et résilience taïwanaise

En quatre jours entre fin septembre et début octobre, la Chine a envoyé près de 150 avions militaires (avions de chasse, bombardiers, avions de reconnaissance, etc.) traverser la « zone de défense aérienne » de Taïwan (ADIZ en anglais) qui coupe le détroit de Taïwan en deux (cf carte).

La pratique n’est pas récente et constitue même une constante de la stratégie chinoise de pression militaire sur l’archipel chaque fois qu’un événement international place Pékin sur la défensive quant à ses prétentions irrédentistes envers Formose.

Un jour après que le G7 a déclaré qu’il fallait protéger la paix dans le détroit, la Chine envoie 28 avions ; 24h après que Taïwan demande à faire partie du CPTPP (accord de partenariat transpacifique), la Chine envoie 24 avions ; pour l’anniversaire de la fondation de la République Populaire de Chine, le 1er octobre, 10 jours avant celui de la République de Chine (Taïwan), 38 avions sont détachés par Pékin ; enfin, au moment où des sénateurs français (dont notamment Alain Richard, ancien ministre français de la Défense) ainsi que l’ancien Premier ministre australien (Tony Abbott) sont à Taipei, et qu’on apprend que des militaires américains ont entraîné pendant un an des soldats taïwanais sur place, la Chine envoie, le 4 octobre, 56 avions…

En réponse à cette escalade, le 5 octobre, la Présidente Tsai Ing-wen publie dans Foreign Affairs une tribune où elle défend la résilience démocratique de l’île et souligne son importance dans l’équilibre mondial, que ce soit au niveau économique de par son industrie de semi-conducteurs (la première au monde grâce notamment au leader TSMC) ou au niveau géopolitique de par son positionnement clef dans la région indo-pacifique. La tribune étant signée : « Tsai Ing-Wen, President of Taiwan », une formule, bien entendu, inacceptable pour Pékin et qui n’est pas non plus du goût du parti de l’opposition, le KMT, qui souhaite que l’on s’en tienne au terme de « République de Chine ».

Le lendemain, Antony Blinken, Secrétaire d’État de l’administration américaine, réaffirme l’importance de la paix dans le détroit et dénonce « des actions provocatrices et potentiellement déstabilisantes ».

Le 9 octobre, la veille du discours de Tsai Ing-wen à l’occasion de la fête nationale de la République de Chine (dans lequel elle a essentiellement repris les éléments de sa tribune dans Foreign Affairs), le leader chinois Xi Jinping, dans un discours marquant le 110ème anniversaire de la fin de la dynastie Qing, déclare, face à un portrait géant de Sun Yat-sen (cf photo), que la « réunification » avec l’archipel est « historiquement » et « ethniquement » juste et nécessaire. La référence à Sun Yat-sen, fondateur de cette République de Chine qui existe encore de fait à Taïwan, qui pensait le retour de Taïwan à la Chine dans le cadre de l’opposition à l’occupation japonaise, est quelque peu ironique : cela signifierait donc Pékin considère le gouvernement démocratique de Formose comme une force d’occupation dont il faudrait « libérer » l’île.

C’est toujours le paradoxe de la Chine par rapport à Taïwan dont les habitants sont à la fois des « compatriotes » et des « ennemis », Pékin cherchant à persuader les Chinois que les « ennemis sécessionnistes » seraient une petite minorité alors que dans les faits, il s’agit d’une majorité : non seulement celle qui a porté deux fois Tsai Ing-wen à la présidence du pays, mais aussi celle qui considère son identité nationale « exclusivement taïwanaise » (et non « chinoise ») à 66%.

Les relations entre la Chine et Taiwan sont de fait prises dans un double paradoxe.

Paradoxe côté chinois : plus Pékin menace Taipei par la force, plus l’attention internationale est portée sur l’archipel, et plus le coût économique et diplomatique qu’aurait à payer Pékin pour une telle aventure militaire grandit (sans parler du coût humain).

Paradoxe aussi côté taïwanais : plus Taïwan cherche à nouer des partenariats extérieurs pour renforcer sa visibilité et affirmer sa différence sociopolitique, plus la Chine se cabre et accentue la pression. Pression qui se relève aussi contreproductive pour Pékin qui fait face aujourd’hui à un record de perceptions négatives dans l’ensemble des pays occidentaux.

Paradoxe temporel également : d’un côté, il est évident que, dans un monde en accélération constante, dans un monde où tout change, le statu quo ne saurait être éternel et est nécessairement périssable ; d’un autre, toute altération du statu quo serait catastrophique pour l’équilibre mondial, qu’elle vienne de Taipei (ce qui est peu probable, car les États-Unis veillent) ou de Pékin, qu’elle soit directe (militaire) – ou indirecte (psychologique ou économique, notamment à travers les embargos sur différents types de produits particulièrement agricoles afin de toucher la population du Sud de Taïwan traditionnellement « verte » et DPP – le Parti démocratique progressiste de la Présidente).

Quant au maintien du statu quo, difficile de savoir à qui il profite le plus dans la durée : à Pékin, qui a le temps de s’armer pour pousser les États-Unis à penser qu’une entrée en guerre pour défendre Taïwan serait trop onéreuse (en matériel militaire et soldats américains) ? Ou bien à Taipei, qui a le temps de nouer des alliances, de renforcer le sentiment d’identité de sa population, d’attendre simplement que la Chine fasse l’erreur de trop dans la mer de Chine du Sud (face à l’Indonésie ou le Vietnam) ou dans la mer de Chine du Nord (face au Japon), ou alors que son économie cale de façon assez soudaine pour menacer l’hégémonie du Parti ? 

Entre un gouvernement qui fait pression sur les femmes pour renforcer sa natalité et sur les hommes pour « viriliser » son contingent en cas de conflit, et une société qui profite de ses trois jours de vacances pour se mettre au vert, sans se préoccuper des avions chinois ou même de sa fête nationale, c’est un peu l’opposition de Mars et de Venus. Dans la mythologie, Venus arrive à séduire Mars qui délaisse les armes de la bataille, pour le lit douillet de la déesse – et c’est cette victoire qui assure la paix à la civilisation. Et si plutôt que l’unification (par la force, si besoin est) dont Xi Jinping dit qu’elle est « historiquement nécessaire », ce n’était pas plutôt cela qui marque le vrai sens, la vraie direction de l’Histoire ?

Par Jean-Yves Heurtebise

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