Diplomatie : « AUKUS » versus Pékin

« AUKUS » versus Pékin

En diplomatie, chacun sait que le timing a toute son importance. Quelques heures avant que l’Union Européenne ne dévoile le 16 septembre sa nouvelle stratégie indo-pacifique, l’Australie, le Royaume-Uni et les États-Unis, lui ont volé la vedette en annonçant la création d’un pacte trilatéral de sécurité, prénommé « AUKUS », ayant pour mission de contrer la montée en puissance de la Chine dans la région, sans jamais la désigner directement.

L’alliance AUKUS va bien au-delà de la vente de huit sous-marins américains à Canberra*, dont la propulsion atomique devrait leur permettre de mener des patrouilles bien loin des cotes australiennes (jusqu’en mer de Chine du Sud ou au large de Taïwan, zones revendiquées par Pékin). Il s’agit d’offrir aux forces américaines un plus grand ancrage en Australie (notamment au nord du pays) et d’élargir la coopération dans des domaines stratégiques tels que la cybersécurité, l’intelligence artificielle, les technologies quantiques…

Sans surprise, le porte-parole de la diplomatie chinoise Zhao Lijian, a présenté ce nouveau pacte comme formé par une « petite clique »** animée par une « mentalité dépassée datant de la guerre froide ». Le diplomate a également souligné que l’AUKUS va « intensifier la course aux armements » et dénoncé le « double langage » des États-Unis sur la question de la prolifération nucléaire. Un argument repris par le leader nord-coréen Kim Jong-un.

Le sommet QUAD, le 24 septembre à Washington.

Malgré cette ferme condamnation, le leadership chinois n’a encore fait aucune déclaration, potentiellement pris de court par cette annonce. Aucune mesure de rétorsion à l’encontre des membres de l’alliance AUKUS n’a été prise pour le moment. Pékin a déjà frappé l’Australie de plusieurs boycotts commerciaux (charbon, orge, vin…) pour avoir refusé la 5G de Huawei et réclamé une enquête indépendante sur les origines du Covid-19…

Alors que la Chine a officiellement déposé sa candidature au traité de libre-échange transpacifique (CPTPP), dont l’Australie, mais aussi le Canada, le Japon et le Vietnam, font partie, avoir recours aux habituelles mesures de « coercition économique » pourrait s’avérer contreproductif pour Pékin.

Quoique la Chine ait nié tout lien entre l’AUKUS et sa demande d’adhésion au CPTPP (annoncée le même jour), Pékin a saisi l’occasion de se présenter en championne du multilatéralisme, en opposition à la mentalité belliqueuse des membres de l’AUKUS : « le public ne peut que constater que la Chine œuvre à la coopération économique et à l’intégration régionale, tandis que les USA et l’Australie poussent à la guerre et à la destruction », a taclé Zhao Lijian.

La Chine n’est pas le seul pays à être irrité par l’AUKUS.

Avec environ 7000 soldats, près de 2 millions de ressortissants, et 2,6 millions de km2 de zone économique exclusive (ZEE) dans la région indo-pacifique, la France se considérait comme le partenaire européen le plus crédible et déplore n’avoir pas été informée au préalable du pacte par Washington, Canberra ou Londres.

De surcroît, l’AUKUS est venu torpiller le « contrat du siècle » pour la France, qui avait conclu en 2016 la vente de douze submersibles à propulsion diesel à l’Australie, pour près de 40 milliards d’euros. Ni une, ni deux, le quai d’Orsay a rappelé ses ambassadeurs à Washington et Canberra. Mais la dispute transatlantique a été de courte durée, puisqu’un coup de téléphone quelques jours plus tard du Président Biden à son homologue français, a suffi à rabibocher les deux pays, du moins en apparence.

La volte-face d’Emmanuel Macron n’a pas échappé aux internautes chinois : certains soupçonnent une colère savamment calibrée du leader français pour obtenir des concessions américaines ; d’autres notent que le chef d’État français n’a pas perdu le sens des affaires puisqu’il s’est entretenu dès le lendemain avec son homologue indien, à qui l’hexagone a vendu 36 avions de combat Rafale en 2016.

Lu Shaye, ambassadeur de la RPC en France, ne se fait pas d’illusion : si le diplomate chinois voit d’un bon œil l’évolution de la relation bilatérale, il rappelle que la France reste l’alliée des Américains.

Néanmoins, de nombreux analystes chinois interprètent cet accrochage franco-américain comme une raison de plus pour l’UE d’exercer son « autonomie stratégique », elle qui s’est remise à discuter de la création d’une armée européenne après le retrait brutal des troupes américaines d’Afghanistan. Ironie de la situation, Bruxelles négocie actuellement un traité de libre-échange avec… l’Australie.

Il est pourtant peu probable que la Chine tire un quelconque bénéfice de cette dispute éclair. Même pendant les quatre ans au pouvoir de Donald Trump, fenêtre d’opportunité inédite, Pékin ne s’est pas donné les moyens d’un rapprochement avec l’Europe, obnubilée par ses relations avec les États-Unis. 

Toutefois, le fait que l’AUKUS soit négocié dans le plus grand secret est révélateur d’une différence fondamentale de perception entre l’Amérique et le « Vieux Continent ». Alors que l’UE considère la Chine à la fois comme « un partenaire, un concurrent et un rival », Washington a qualifié le pays de Xi Jinping de« plus grande menace stratégique du 21ème siècle ».

En faisant fi des considérations européennes, l’administration américaine a fait preuve d’un scepticisme évident quant à la posture de l’UE. Washington a déjà déploré le manque de coordination lorsque Bruxelles a conclu un accord d’investissement (aujourd’hui suspendu) avec la Chine en décembre 2020. En même temps, les États-Unis poussent le bloc européen à durcir sa position, sachant pertinemment que les alliés transatlantiques partagent un objectif commun : défendre la liberté de navigation en indo-pacifique.

Quelle sera la réaction chinoise ? Jusqu’à présent, elle n’a montré aucun signe de modération, tant dans sa diplomatie que dans sa posture militaire. Cela ne devrait pas changer à l’avenir. Il est pourtant clair que, plus l’armée populaire de libération (APL) bandera ses muscles en indo-pacifique, plus les pays riverains seront enclins à se regrouper pour former un front commun, sous la houlette américaine. L’accueil relativement enthousiaste d’une partie des membres de l’ASEAN (Philippines, Singapour, Vietnam) et d’autres puissances régionales (Japon, Inde) réservé à l’AUKUS, le démontre. Mais la partie est loin d’être gagnée, une partie des nations redoutant de se retrouver prises en tenaille entre les deux camps.

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* À titre de comparaison, la Chine posséderait actuellement 10 sous-marins nucléaires (tous types confondus), les États-Unis, 68, le Royaume-Uni, 11, la France, 10.

** Ce qualificatif est également utilisé par Pékin pour désigner l’alliance QUAD, sorte « d’OTAN asiatique » qui a rassemblé pour la première fois en présentiel, à la Maison-Blanche, les leaders américain, australien, indien et japonais le 24 septembre, afin de discuter 5G, vaccins, réchauffement climatique… La Chine était pourtant dans tous les esprits.

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1 Commentaire
  1. severy

    Très bonne analyse. On se demande quand tout ça va péter dans la mer occidentale des Philippines, … la mer septentrionale de Malaisie, … la mer orientale du Vietnam… enfin, l’extension du golfe du Tonkin, quoi.

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