Diplomatie : Une « Meng » contre « deux Michael »

Une « Meng » contre « deux Michael »

Après 1019 jours de détention dans des conditions précaires, les deux Canadiens arrêtés par la Chine en représailles de l’interpellation à Vancouver, fin 2018, de la fille du fondateur de Huawei Meng Wanzhou, ont finalement été relâchés.

Ce dénouement heureux a pu avoir lieu après le retrait le 24 septembre de la demande d’extradition de la justice américaine à l’encontre de la directrice financière de Huawei. La fille de Ren Zhengfei s’est alors vu retirer son bracelet électronique qui contrôlait jusqu’à présent ses déplacements, puis a quitté sa villa de Vancouver – où elle vivait avec son mari et ses enfants – pour s’envoler pour la Chine, dans un avion affrété pour l’occasion.

Moins de 24h plus tard, l’ancien diplomate canadien, Michael Kovrig, et le consultant-spécialiste de la Corée du Nord, Michael Spavor, ont pu quitter leurs prisons respectives pour embarquer dans un avion les ramenant au Canada, accompagné de leur ambassadeur Dominic Barton. Ils ont été accueillis en comité restreint sur le tarmac de l’aéroport de Calgary par le Premier ministre Justin Trudeau, tout juste réélu.

L’arrivée des deux « Michael » à Calgary, le 25 septembre.

Officiellement inculpés pour « espionnage » six mois après leur arrestation début décembre 2018, tous deux avaient été jugés à huis clos en mars dernier. Si Michael Kovrig attendait toujours son verdict, Michael Spavor avait été condamné à 11 ans d’emprisonnement le 11 août, avec une éventuelle déportation à une date indéterminée…

La vitesse à laquelle les ressortissants canadiens ont été relâchés, quelques heures seulement après la fin du feuilleton judiciaire contre Meng Wanzhou, a surpris de nombreux observateurs. En effet, en libérant sans délai les deux Canadiens, Pékin ne peut plus continuer à affirmer que les deux affaires n’avaient aucun lien entre elles.

Certains commentateurs regrettent le fait que Washington cède à cette « diplomatie des otages » en acceptant d’abandonner toute poursuite judiciaire contre Meng Wanzhou au 1er décembre 2022.

En échange, la directrice financière de Huawei a été contrainte de reconnaitre les faits détaillant la manière dont son groupe a contourné l’embargo américain lors de son audition virtuelle devant un tribunal fédéral de Brooklyn (New York). Elle a notamment admis avoir sciemment menti à la banque HSBC sur les liens entre Huawei et Skycom, sa filiale en Iran. Sa déposition pèsera sans doute dans les poursuites judiciaires contre Huawei, qui perd 30 milliards de $ par an depuis les sanctions américaines décrétées par l’administration Trump.

Pour autant, Meng Wanzhou s’en sort sans avoir plaidé coupable aux quatre chefs d’accusation qui étaient retenus contre elle. Une victoire qui vient confirmer aux yeux du public chinois son statut d’innocente victime. « Les faits ont prouvé que cet incident est un cas de persécution politique à l’encontre d’un citoyen chinois, avec l’objectif de nuire à une entreprise high-tech chinoise », a déclaré la porte-parole de la diplomatie Hua Chunying.

Le sauvetage de Meng Wanzhou vu par l’artiste nationaliste Wuheqilin.

En Chine, l’héritière de l’empire Huawei a été accueillie telle une héroïne, sauvée grâce aux efforts diplomatiques de sa patrie. La presse officielle chinoise interprète cet épisode comme la preuve que la Chine est devenue assez « forte » pour tenir tête aux États-Unis et remporter le bras de fer.

Signe de l’importance de l’évènement, son arrivée à l’aéroport de Shenzhen (siège de Huawei) a été retransmise en direct à la télévision et suivie par 100 millions de personnes. Le tapis rouge a même été déroulé pour l’occasion. Vêtue comme à son habitude d’une élégante robe, aux couleurs du drapeau national, Meng n’a pas manqué de formuler d’émouvants remerciements au gouvernement chinois et au Parti, avant de disparaître pour se conformer au protocole sanitaire. Ses détracteurs ont souligné que cette quarantaine sera la détention la plus stricte que la directrice ait connue durant ces trois dernières années.

Quoi qu’il en soit, la ferveur nationaliste orchestrée par les autorités pour célébrer le retour de Meng Wanzhou offre un saisissant contraste avec le manque d’explications officielles sur les raisons qui ont conduit Pékin à libérer les deux Canadiens, outre de prétendues « raisons médicales ». Le quotidien nationaliste Global Times s’est contenté de souligner que la nature de leur libération était différente de celle de Meng, puisque les deux « Michael » ont été jugés coupables d’offenses criminelles alors que Meng était une simple victime « politique » de Washington. Selon Pékin, il s’agirait plutôt d’un « échange de prisonniers », en aucun cas « une prise d’otages ».

Victorieux aux yeux de son opinion publique, le gouvernement chinois a néanmoins vu la réputation à l’international de son pays fortement écornée par cette crise diplomatique sans précédent entre Pékin et Ottawa. L’environnement d’affaires en Chine en a également pris un coup. Pékin aurait sans aucun doute pu obtenir le même résultat sans emprisonner deux Canadiens (ou deux Américains).

Pour le Canada, victime collatérale de la rivalité entre la Chine et les États-Unis, l’épisode laissera des traces… Malgré les multiples tentatives d’Ottawa de souligner l’indépendance judiciaire de ses tribunaux, Pékin a fait la sourde oreille, lui laissant le soin de négocier avec Washington. En conséquence, le gouvernement canadien s’est bien gardé de provoquer davantage la Chine, notamment en ne prenant pas officiellement position contre la 5G de Huawei. Le Canada est également absent du nouveau pacte AUKUS. Mais les choses pourraient changer. Le Canada est l’un des membres que la Chine va devoir convaincre si elle veut réellement intégrer le pacte transpacifique de libre-échange (CPTPP).

Surtout, cet épisode va servir d’avertissement à tous les autres pays, qu’ils aient choisi leur camp ou qu’ils tentent de rester non-alignés. Le reste du monde doit garder à l’esprit que cette sortie de crise ne va pas nécessairement de pair avec un réchauffement des relations entre Pékin et Washington. Elle ne signifie pas non plus que la Chine renoncera à avoir recours à de telles pratiques à l’avenir, lorsqu’elle estimera ses intérêts menacés (comme son champion Huawei). Seul moyen d’y faire face : afficher un front commun.

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