Editorial : Le « mooncake » de la discorde

Le 13 septembre, les Chinois célébraient la « fête de la mi-automne » (中秋节), une occasion de se retrouver en famille autour de gâteaux de lune (月饼, yuèbǐng). Or, deux fabricants de ces « mooncakes » se faisaient remarquer, non pas pour leurs recettes, mais pour leurs opinions politiques. Garic Kwok, le fils du fondateur de la chaîne Taipan Bread and Cake aux 100 points de vente en Chine, était mis au pilori le 2 septembre par le Quotidien du Peuple. Sa faute ? Avoir affiché sur Facebook son soutien aux actions des « t-shirts noirs » hongkongais (militants pro-démocratie), et avoir diffusé des images ridiculisant le gouvernement et la police de la région administrative spéciale (RAS). Cette publication valait aux fameuses pâtisseries couleur blanc-neige la mise au ban des plus grandes plateformes d’e-commerce comme Tmall ou JD.com et le boycott par les clients… Quelques jours après, le même journal était beaucoup plus élogieux concernant Annie Wu, 71 ans, fille du cofondateur de la chaîne Maxim’s, qui avait mis en garde les élèves et les professeurs de son collège, d’éviter de participer aux manifestations secouant l’île. Elle regrettait d’ailleurs que l’histoire chinoise ne soit pas obligatoire au programme des écoles hongkongaises…

Dans l’ancienne colonie britannique, l’économie est à la peine, marquée par trois mois de protestations. En août, la fréquentation des visiteurs à Hong Kong reculait de 40% par rapport à l’an dernier. C’est le pire résultat depuis 2003, année marquée par l’épidémie du SRAS. Les avions sont à moitié vides, et les hôtels cassent les prix pour attirer les quelques voyageurs qui s’aventurent à Hong Kong.

Sur le continent, le rythme ralentit aussi, mais pas pour les mêmes raisons. Sous la contrainte des taxes américaines, les producteurs chinois cassent leurs prix pour avoir une chance de remporter des commandes. En août, l’indice des prix à la production (IPP) chutait de 0,8% par rapport à 2018 – baisse la plus importante depuis trois ans. Le mois dernier, les ventes d’automobiles continuaient leur lente dégringolade pour la 14ème fois en 15 mois, à 1,564 million d’unités (-9,9% comparé à l’an dernier). Ainsi, le 27 août, le Conseil d’Etat appelait les gouvernements locaux à assouplir les restrictions d’achats de véhicules, contredisant ainsi leurs objectifs anti-pollution et de lutte contre la congestion routière… Le prix des denrées alimentaires gonflait de 10%, accentué par celui du porc, viande de base dans l’assiette des Chinois, dont le prix explosait (+46,7% par rapport à 2018) suite à l’épidémie de fièvre porcine. Pour faire face, villes et provinces piochent dans leurs réserves de porc congelé pour les vendre à prix cassés aux supermarchés. Elles espèrent de cette manière apaiser le mécontentement de la population, surtout à l’approche des fêtes.

Pour le gouvernement, il devenait urgent de prendre une décision plus radicale pour tenter d’enrayer le ralentissement économique. En recourant à la planche à billets ou en procédant à des coupes fiscales ? Finalement, la Banque Centrale chinoise annonçait le 6 septembre l’abaissement du taux de réserves bancaires (RRR) de 0,5% pour libérer 900 milliards de yuans de crédit. Pour Iris Pang de la banque ING, cette coupe n’aura pas l’effet escompté : les firmes préféreront rembourser leurs dettes avec un nouveau crédit à plus bas taux, et cela ne boostera pas l’activité économique.

Il n’y a pas que l’élite qui s’inquiète. Le pessimisme gagne la classe moyenne urbaine avec des perspectives économiques moins brillantes qu’hier. Une guerre commerciale qui s’éternise, un yuan et un pouvoir d’achat qui s’affaiblit, le marché de l’immobilier qui n’augmente plus, des capitaux difficiles à sortir du pays… On parle déjà de « stagflation », combinaison d’une croissance qui s’essouffle et d’une inflation galopante. Elle craint aussi que la détérioration des relations de la Chine avec le reste du monde (surtout avec les puissances occidentales), nuise à sa liberté de voyager à l’étranger. Dans ces conditions, puissent les « mooncakes » calmer les faims et faire oublier les craintes, au moins le temps d’un week-end prolongé !

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