Petit Peuple : Yaoba : le pieux retour du fils prodigue

Yaoba : le pieux retour du fils prodigue

Ces dernières années à plusieurs reprises, le législateur s’est efforcé d’imposer aux jeunes d’assurer aux parents un soutien matériel et même affectif (quelques visites).  Ceci pourrait suggérer une dérive des « petits empereurs » vers l’égocentrisme et l’oubli des principes confucéens.

Il y a sans doute du vrai, surtout dans les cas où ces jeunes ont migré en ville, laissant les vieux au village. Mais les apparences sont trompeuses, et la réalité s’avère souvent plus nuancée, comme l’illustre le cas de Deng Qiming, 27 ans, de retour à sa ville natale de Yaoba (Sichuan) pour s’occuper de sa mère, après avoir quitté une situation en or à l’étranger. 

En octobre 2012, Deng posa ses valises pour reprendre la pâtisserie de son père. Depuis, une à deux fois par semaine, il se lève aux aurores pour confectionner ses 黄粑  « huangba« , petits gâteaux de riz gluant parfumé au sucre de palme, feuilles de galangal ou pousses de bambou. C’est un travail fastidieux : le huangba ne supporte pas l’approximation. 

Chaque fois, Deng doit faire tremper le riz gluant, le sécher et le faire cuire à la vapeur. Il lave les feuilles de galangal, les découpe en lanières et les plonge dans le riz. A côté, il prépare son sirop, par réduction du jus tourné à la spatule de bois en son chaudron. Une fois la pâte faite, il l’étale sur un marbre, la découpe en cubes propres et nets, puis les emballe avec dextérité dans des feuilles de banane (notre photo). En moyenne, chaque fournée prend 72h. Certes, le labeur est récompensé par les acheteurs venus de loin acquérir cette succulente rareté. En basse saison, Deng vend 2000 huangba par jour et 50.000 pendant le chunjie – les Sichuanais raffolant de leur gâterie locale. 

Jusqu’en octobre 2012, Deng vivait à Pontianak, métropole indonésienne où il dessinait des applications locales pour les smartphones de Huawei. La vie était douce et son salaire avantageux, à 200.000¥ par an sans compter les primes d’expatriation (repas, logement) allouées par sa société.
A l’issue de sa scolarité, un bon score au Gaokao lui avait permis d’intégrer la faculté d’architecture de Jilin (Nord-Est). 3 ans après, il s’était réorienté vers un master d’électronique à Chengdu, avant de rejoindre en 2011, l’équipe de Huawei, géant des télécoms qui l’avait d’abord envoyé à Londres puis en Indonésie, tremplin d’une prometteuse carrière. 

Si Deng décidait subitement en 2012 de tout briser pour rentrer au pays, c’était suite à un tournant dramatique dans sa vie : son père venait de décéder. Ce départ prématuré, à 55 ans, causa chez le jeune hom-me une tempête de remise en cause. Aux obsèques, il vit sa mère seule et de santé fragile, mais qui insistait pour tenir la pâtisserie de son mari, par piété. La ville entière ne le connaissait plus que sous ce sobriquet de « huangba Deng », pour le délice de ses gâteaux. Deng repartit à Pontianak, le cœur rongé de remords. Il réalisait soudain la vérité du dicton « quand les enfants pensent aux parents, c’est souvent trop tard  » (子欲养而亲不待, zǐ yù yǎng ér qīn bù dài). 

Après Proust, Deng découvrait le dédale secret des intermittences du cœur, du temps retrouvé, des odeurs d’enfance. Il revoyait le père touillant son riz gluant et lui en donnant parfois une cuillérée -la meilleure du monde. Toutes ces images le poursuivait dans ses songes. Jusqu’à ce qu’il arrive à sa décision : il démissionna en septembre pour retourner à la maison aux côtés de sa mère. Il le faisait sans la prévenir, pour lui épargner des efforts désespérés pour tenter de le dissuader. 

Soit dit en passant, il reçut à l’arrivée des monceaux de critiques de la bourgade, choquée de voir un des rares ayant réussi à se faire accepter des lumières de la ville, retourner à cet univers inconfortable du Sichuan. Mais Deng n’en a cure : en bon technicien doublé d’un entrepreneur, il a formulé son projet, qui tient la route. Retourner au pays n’est pas nécessairement venir s’y réenterrer dans sa pauvreté. Deng veut réinventer le métier du père, selon les moyens modernes, pour un marché rémunérateur. Voilà un défi à sa mesure, et qui pourrait faire sa fortune. 

D’autant que la publicité du projet est gratuite, les médias étant éblouis par ce cas de piété filiale conjuguée à une vision éco-technique moderne : « il ne faut pas laisser la technique du huangba en friche, conclut Deng, et à condition de s’y mettre à fond, on peut réussir n’importe où et dans n’importe quel domaine ». Les vœux du Vent de la Chine l’accompagnent !

NDLR: Notre rubrique « Petit Peuple » dont fait partie cet article raconte l’histoire d’une ou d’un Chinois(e) au parcours de vie hors du commun, inspirée de faits rééls.

Ce « Petit Peuple » a été publié pour la première fois le 5 janvier 2014 dans le Vent de la Chine – Numéro 1 (2014)

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