Routes de la soie : Les BRI avant l’épreuve du feu

Par Jean Charles Galli, analyste

Dénoncé cette année par plusieurs pays en développement et l’Union Européenne, un risque fréquent des projets « BRI » des nouvelles routes de la soie tient à l’absence de réciprocité dans la gestion, à l’opacité des subventions chinoises et la faible rentabilité de chantiers facturés à prix trop élevé.

Cependant d’autres problèmes se posent, moins bien connus. Ils sont d’autres conséquences de la conception d’origine des BRI, de leur définition politique et volontariste faisant abstraction des obstacles de terrain, géo-climatiques, juridiques, économiques et sécuritaires. Laissés pour compte, ces points pèseront pourtant dans la balance du succès. 

Premier point faible : l’échelle démesurée des distances. Ouverte en 2016, la liaison ferrée Wuhan-Lyon s’étend sur 11 300 km, qui se parcourent en 15 jours, contre 35 jours par bateau via Suez, pour un coût double. Gain de temps appréciable donc, mais qui sera contrebalancé par un besoin lourd en infrastructures, gares de triage, entrepôts conditionnés, zones douanières informatisées. Soutenus par Pékin, les consortia chinois vont s’assurer l’essentiel des travaux, vu l’avantage évident pour la Chine – la perspective d’exporter vers les pays du continent eurasiatique une partie de ses surplus industriels. Mais pour la maintenance, qui paiera ? Autre faiblesse : comparée au transport maritime, la capacité ferroviaire  est faible : 200 conteneurs par train, contre plus de 20 000 pour les porte-conteneurs les plus performants, soit un rapport de 1 à 100. 

Le réchauffement climatique aussi peut jouer un mauvais tour aux routes terrestres Asie-Europe. Le passage maritime du Nord-Est le long de la côte russe arctique, est chaque année accessible plus longtemps : en janvier 2018, un méthanier réussit la traversée sans brise-glace, promettant pour l’avenir un accès ininterrompu. Sous 10 ans, la route Rotterdam-Shanghai va se raccourcir d’un quart du trajet à 14.000 km, pour une durée comparable à celle du train via la Sibérie, éliminant tous les risques cités plus haut. Elle entraînera une baisse spectaculaire des coûts en fuel, maintenance, assurance et taxes. Mais alors,  quel attrait restera-t-il aux « routes terrestre de la soie » ?

Autre vulnérabilité, la sécurité ! Devenant soudain une source permanente de biens de valeur, ces routes vont réveiller des appétits, dans les régions à troubles endémiques. Pas par hasard, Pékin se montre déterminé dans la répression des foyers d’insécurité qui pourraient compromettre l’existence de ces lignes, en pillant les convois.

Ici viennent s’ajouter les risques-pays. Enclavés et dotés d’administrations souvent surannées, les pays d’Asie centrale ploient sous une corruption endémique. Ils souffrent aussi de niveaux d’endettement importants et croissants, notamment envers la Chine, et de fortes tensions ethniques  et frontalières.

Le summum du risque-pays, est bien sûr la guerre, régionale ou civile, causant la destruction massive des infrastructures économiques. A plusieurs reprises durant les deux dernières décennies, la Chine a souffert d’incidents sérieux au Moyen-Orient ou en Afrique, la contraignant à organiser des opérations urgentes d’évacuation de masse et/ou à subir des pertes d’actifs en milliards de $. Ces incidents  ont conduit Pékin à envisager la remise en cause de sa doctrine de sécurité extérieure.

Dès 2015, une loi de protection de ses intérêts à l’étranger est votée, suivie en 2016 d’une loi antiterroriste autorisant le déploiement extérieur de l’Armée populaire de Libération — sous forme notamment de force d’intervention rapide, calquée sur celle des États-Unis. Ce sont autant de signes que Pékin s’apprête à abandonner son dogme jusqu’alors intangible de non-ingérence

Les télécommunications auront besoin de normes communes pour l’interconnectivité. Les contrats ont toute chance d’être confiés aux géants chinois du secteur, faute de concurrents locaux crédibles. Mais la « billetterie » du service, et le contrôle de ces réseaux stratégiques pourrait poser problème aux pays traversés, du fait du manque à gagner pour leurs opérateurs, d’une crainte de perdre la souveraineté et voir détourner leurs données. Ici, le précédent de la mise sur écoute du siège de l’Union Africaine bâti gracieusement par la Chine à Addis Abeba (Éthiopie), sonne comme un avertissement.   

Alors, comment maîtriser les coûts de sécurisation des routes de la soie ? Cette question, comme d’autres, se posera toujours plus. Plusieurs outils contemporains sont à la disposition du régime, comme des sociétés privées chinoises ou locales de gardiennage (de véritables milices), et/ou un maillage de satellites et des flottes de drones. On peut penser qu’il ne pourra se permettre de négliger aucun. La diplomatie aura son rôle à jouer, au sein de l’Organisation de Coopération de Shanghai (OCS), mais aussi d’autres structures régionales telles l’ASEAN et l’imminente RCEP, permettant les signatures d’accords multi- ou bilatéraux de protection spécifiques. 

Ainsi, de nombreux défis structurels pèsent sur les axes que Pékin veut étendre à travers les cinq continents. En définitive, le pays de Confucius va devoir se colleter avec les réalités, détecter le degré exact de risque à travers des pays à faible intégration nationale et à Etat faible comme la Birmanie. La Chine devra aussi associer davantage aux bénéfices (et aux emplois) les régions traversées, pour obtenir leur coopération active au maintien de l’ordre et à la maintenance.

Le fait qu’elle ne l’ait pas fait sur son propre sol, pour le partage de l’eau du canal Sud-Nord, comme pour celui du gaz de l’Asie Centrale convoyé par pipeline vers la côte, en dit long sur le chemin qui reste à faire pour assurer l’adhésion du monde aux routes de la soie.

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2 Commentaires
  1. Christian Vicenty

    Merci bien pour cet article publié, de la part de Jean-Charles GALLI, analyste…

    Regrettable, simplement, que la « pensée française » sur le projet BRI/OBOR n’ait décidément pas plus d’ampleur que celle se limitant à l’évocation ultra-court-termiste, comptable et statique des problèmes inévitablement rencontrés par la Chine pour la réalisation à long terme (d’ici 2049) de ce type de projet …

    Décidément, il nous faut vraiment, et pendant qu’il en est encore temps, changer de « logiciel de pensée » sur la Chine depuis 1978, sur sa place dans le monde, sur ses projets multilatéraux (qui nous dérangent, bien sûr), sinon les « mauvaises surprises idéologiques » ne pourront pas être anticipées, ni parées en Europe et en Occident, bien avant 2049, justement …

    • Le Vent de la Chine

      Merci de vos commentaires sur ce sujet très important et d’actualité.
      L’initiative « Belt & Road » (BRI) mérite toute notre attention.
      Les difficultés évoquées dans Le Vent de la Chine apparaissent comme inhérentes aux projets eux-mêmes (de par leur ampleur notamment) et non pas au pays qui en a l’initiative. Cela ne remet pas en cause le bien fondé de la démarche chinoise :  » le plan BRI reste perçu par la majorité comme un outil d’avenir « .
      Toutefois, comme l’a déclaré Emmanuel Macron à Xian en janvier, ces routes ne peuvent pas être « à sens unique ». Ce qui peut être interprété comme une incitation à la Chine, de modifier sa pratique du bilatéralisme, pour passer au multilatéralisme. Et nous sommes également convaincus que cela pourrait être un des gages de réussite des BRI.

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