Monde de l'entreprise : « Le Marché », nouveau pari connecté de Carrefour

« Le Marché », nouveau pari connecté de Carrefour

Le 20 mai, Carrefour inaugurait à Shanghai « Le marché », la première déclinaison d’un nouveau concept, et réponse au défi lancé par les géants du e-commerce. Dans ses travées, caméras et écrans font parfois penser plus à la science-fiction qu’à une succursale de grande distribution.

Tianshan, site du magasin, n’a pas été choisi par hasard mais pour sa capacité à faire converger plusieurs types de clientèles physiques, au-delà des clients digitaux qui commandent via leurs smartphones.

Etabli au bas d’une tour de bureaux, « Le Marché » attire les 2000 employés qui viennent y faire leurs courses ou y déjeuner. Il attire aussi la clientèle des grands-parents du quartier, avec leurs petits-enfants. Le rayon jouets est là pour eux : au cours des emplettes, ces riverains grisonnants résistent rarement au plaisir d’offrir au petit empereur qui une poupée, qui une figurine de son héro préféré… Enfin, 30% des clients physiques viennent en voiture, profitant du parking sous-terrain.

Thierry Garnier le CEO de Carrefour Chine, commente : « tous ces clients sont attirés par la nouvelle ‘shopping experience », combinant achats, ludique et restauration. Pour rendre l’espace plus convivial, l’architecte l’a diminué de moitié, à 4000m² au lieu des 6000 à 8000m² d’une surface classique. Le nombre d’articles est aussi réduit (6000 références), mais de qualité souvent supérieure. Le rayon frais est largement fourni : poissons de mer, araignées de mer sur lits de glace. Pour la « french touch », pains, viennoiseries et gâteaux français sont là, près du café. À côté, l’espace restauration l’espace restauration permet au client de remettre au cuisinier ses achats crus : dix minutes plus tard, il peut les déguster sur place. A table ! 

Ce premier « Le marché » (en attendant celui de Shenzhen, prévu pour l’automne) révèle le lien étroit de Carrefour-Chine avec Tencent, n°2 de l’internet. La tour qui l’abrite, est le siège de Meituan Waimai, n°2 de la livraison de repas, filiale Tencent.

En décembre 2017, Tencent acquérait pour 636 millions de $, 5% des supermarchés Yonghui, qui entraient au capital de Carrefour-Chine. Sous la houlette de Tencent, les deux maisons devaient fusionner leurs 820 hypermarchés pour devenir ensemble n°2 national. Six mois plus tard, « Carrefour garde son autonomie », précise T. Garnier. Mais les technologies digitales du groupe sont développées avec Tencent :

– Les « big data » s’échangent, issues des centaines de millions d’utilisateurs de Tencent (WeChat, QQ) et des 30 millions de clients de Carrefour via leurs cartes de fidélité. Ces données privées reflètent leurs goûts et leurs habitudes, à partir de leurs achats. Cette connaissance permet à Carrefour de personnaliser les publicités qu’il lui adresse sur son smartphone : vins fins pour l’un, produits de beauté pour l’autre.

– Avec une offre spécifique pour chacun de ses magasins, le mini-programme « Carrefour » sur WeChat permet de générer du trafic. Grâce à  cet outil, Carrefour constate une hausse constante de ses commandes digitales. « Le marché en reçoit 650 par jour, déclare Sun Yibo, le directeur du magasin. « Par rapport à notre plus grand magasin à Pékin, qui en reçoit 2300, c’est peu, mais les chiffres augmentent tous les jours ».

– Fruit de la recherche Tencent, le paiement peut se faire en rayon directement en scannant l’article, ou bien à la fin des courses, en caisse. Là, il peut se faire par une multitude de moyens : carte bancaire, argent liquide, ou via son smartphone, par WeChat Pay ou Alipay le système concurrent. 

– Un crédit à la consommation est proposé par les services financiers de Tencent—les mauvais payeurs vont sur une liste noire unique ;

– Des nouveaux formats (de magasins ou de services) sont conçus et testés en commun.

– Des applications de reconnaissance faciale ou vocale sont étudiées, compatibles au réseau Alexa d’Amazon.

– Les données digitales de Carrefour peuvent être sauvegardées sur le réseau « cloud » de Tencent

On assiste donc à une interconnexion systématique entre e-commerce et grande distribution traditionnelle. Elle se retrouve partout en Chine, entre Alibaba et Auchan (sous la bannière de Sun Art), JD.com et Walmart—pour les mêmes raisons. Depuis 5 ans, la grande distribution classique recule devant le digital : Carrefour a régressé en Chine de 6,6% au premier trimestre 2018, grignoté par le commerce en ligne, qui peut livrer en quelques heures gratuitement par tricycle ou (déjà) drone. Mais le e-commerce se heurte à une résistance dans l’alimentaire : le client veut pouvoir vérifier visuellement la fraîcheur des produits qu’il achète. Pour briser la méfiance, Alibaba a créé en 2016 sa chaîne Hema Fresh, 1er magasin phygital (physique et digital), suivi en janvier 2018 par JD.com avec ses 7Fresh, puis par Carrefour avec « Le Marché ».

On voit donc une nuance dans l’approche entre « Le Marché » et ses aînés du « phygital », Hema Fresh et 7Fresh. Hema revendique déjà 50% de commandes à distance (avec un objectif à 90%), et met une priorité sur l’alimentaire frais, cru ou transformé, à consommer sur place ou bien livré. « Le Marché » préfère une approche plus équilibrée, laissant coexister les deux branches de la distribution classique, nourriture (fraîche) et non-alimentaire.

Derrière toutes ces expériences, se profilent autant de paris. Tous ne seront pas gagnants. Mais ce qui en ressort, est un mode de vie futur, applicable ici en Chine, mais probablement aussi à l’ensemble du monde urbain de demain.

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