Politique : Anti-corruption – La quadrature du cercle

Par Alex Payette, analyste politique*

Au 18ème Congrès de 2012, la CCID, police interne du Parti et son organe anti-corruption, passa aux mains de Wang Qishan, bras droit du Président Xi Jinping. Elle échappait désormais à l’ex-Président Jiang Zemin, l’homme fort de 1989 à 2002. Lors du 19ème Congrès de 2017, elle fut dévolue à Zhao Leji, autre fidèle du Président Xi.

Cinq mois plus tard en mars 2018, lors du Plenum de l’Assemblée Nationale Populaire (ANP), Yang Xiaodu, autre homme de Xi prenait la présidence de la toute nouvelle Commission Nationale de la Supervision. Zhang Jun (张军 ), l’ex-ministre de la Justice relayait Cao Jianming au poste de procureur suprême—Cao était un des derniers lieutenants de Zhou Yongkang, l’ex-patron de toutes les polices de l’empire, à la tête de la  Commission des Affaires politiques et législatives (zhèngfǎwěi, 政法委).

Ce qui pose la question de ce nouvel arrivant—qui est Zhang Jun, le nouveau procureur suprême ?

Né en 1956, Zhang Jun, dans l’orbite de Wang Qishan, gravite dans le circuit de la lutte anti-corruption depuis 2007 : il est un vétéran de la supervision du Parti. Juriste de formation, il est diplômé en droit de l’université de Jilin, titulaire d’une maîtrise de l’université de Hull (Grande-Bretagne) et docteur à celle de Wuhan (Hubei), Promu vice-Président de la Cour Suprême en 2005, position qu’il conserverait jusqu’en 2012, Zhang s’impliquait alors dans la campagne « anti-mafieuse »  (打黑运动, dahei yundong) des Triades de Chongqing. Ainsi, il choisissait alors clairement son camp, celui de Xi Jinping. Chongqing était à l’époque le fief de Bo Xilai.

En 2013, Zhang briguait discrètement le poste de Président de la Cour Suprême. Contre toute attente, c’est Zhou Qiang qui sortit de l’ombre pour prendre la place – un homme  de l’écurie de Zhang Chunxian, proche de Jiang Zemin. Secrétaire au Xinjiang de 2010 à 2016, Zhang emboîtait le pas à celui que l’on a connu sous le nom de « roi du Xinjiang », Wang Lequan. Zhang Chunxian sera toutefois mis de côté de par Xi en 2017 de par son allégeance à Jiang Zemin. Lors du 19ème Congrès de 2017, Zhang perdait son siège au Bureau Politique.

Comme lot de consolation, Zhang Jun devenait ministre de la Justice en 2017.

En mars 2018 lors de la session de l’ANP, les observateurs ne misent guère sur Zhou, candidat sortant, estampillé plutôt du bord politique de Jiang Zemin. D’autant que Shen Deyong, son n°2 est sur les rangs, et jouit d’un rapport personnel avec Xi Jinping, du temps où tous deux servaient à Shanghai. Ayant la confiance de Xi et la charge de publier les versions officielles de ses discours, il semblait bien parti. Or là encore, surprise : Shen n’obtient pas le poste, et sera transféré le 22 juin à la tête de la Commission sociale et juridique de la Conférence Consultative Politique nationale du Peuple Chinois (CCPPC).

Ainsi, Zhou Qiang rempile. Pour quelle raison ? Zhou a toujours derrière lui le poids de la « zhèngfǎwěi» , encore influente. Pour Xi, il n’était guère utile de déployer des efforts pour écarter Zhou – il lui suffisait de faire contrôler l’institution de facto par Zhang Jun. En ce sens, la nomination de Zhang Jun comme procureur suprême, est capitale. À ce poste, il va permettre à la CCID de contrôler tous les pouvoirs et toutes les prérogatives de la procurature suprême, y compris le Bureau de l’anti-corruption interne du Parti (fǎntānjú – 反贪局).

Avec de tels outils à sa disposition, le trio Zhao Leji – Yang Xiaodu – Zhang Jun  (cf photo) devient le nouveau bras armé de Xi Jinping contre toute opposition au sein du Parti. Une de ses missions sera de marginaliser la « zhèngfǎwěi », dont le secrétaire n’est autre que Guo Shengkun, allié de Zeng Qinghong, l’ex-fidèle exécutant de Jiang Zemin.

A cet effet, Xi Jinping annonçait lors du 19ème Congrès fin 2017, la création d’un « Groupe Central directeur de promotion d’une gouvernance selon la loi ». Sa tâche serait d’« améliorer la législation, renforcer l’application des lois, et habituer l’opinion publique à voir prévaloir le droit ». Les attributions de ce groupe central sont encore floues, mais sa fonction devra être essentiellement pratique – un outil de plus aux mains du Président pour affaiblir ses opposants en reprenant par exemple, toutes ou parties des compétences de la « zhèngfǎwěi ».

Dans cette optique, les regards se tournent vers Fu Zhenghua, nouveau ministre de la Justice depuis mars 2018 : Fu garde une position plus qu’ambiguë aux yeux de Xi. Ex-vice-ministre de la Sécurité publique, Fu a d’abord été chef de la police de Pékin, et doit sa promotion au fait d’avoir efficacement dirigé l’enquête de corruption sur son ex-patron Zhou Yongkang. Mais ce faisant, il est un transfuge – d’une loyauté peu sûre ! 

Ces nominations en série laissent donc présager le maintien de la campagne anti-corruption pour la durée du second quinquennat de Xi (2018-2023) – à tout le moins. Et une fois les instances politiques purgées, il faut s’attendre à voir arriver le tour des consortia privés, nouveaux milliardaires qui ont fait leur fortune grâce à l’appui du pouvoir précédent. En difficulté, privés du crédit bancaire, ces groupes commencent à rechercher un accès aux places financières extérieures. Exemple parmi d’autres, Meituan Dianping et Didi Chuxing, en attente d’introduction en bourse de Hong Kong, voient depuis l’an passé leurs efforts contrés par les autorités financières, qui tentent d’enrayer une fuite massive des capitaux.

*Cet article reflète les opinions de l’auteur, pas nécessairement celles de la rédaction

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