Diplomatie : Œil pour œil, Trump pour Trump

Le 6 juillet, les taxes dont D. Trump menaçait la Chine ont pris effet : des centaines de produits made in China seront taxés à 25% pour un total de 34 milliards de dollars. 16 milliards de marché suivront 8 jours plus tard. Ces sanctions résultent des conclusions d’une enquête au titre de l’article 301 du règlement commercial fédéral : la Chine « vole » les secrets industriels américains, ou contraint les groupes US à les lui céder.

La liste frappe divers produits de base, biens d’équipement, pièces auto et pneus dont la Chine exportait aux USA un total de 11 milliards de $ en 2017. Notoirement, 46% de ces biens « chinois » sont produits par des firmes expatriées et 20% par des américaines. Pékin conclut donc que Trump « se tire une balle dans le pied ». La liste évite tout de même les produits de consommation courante, dont l’enchérissement indisposerait les électeurs de Trump.

La Chine répond par la loi du Talion : deux séries de taxes pour un montant de 50 milliards de $ sont prêtes, la première d’application immédiate, taillée sur mesure contre l’électorat conservateur du Middle-West : soja, agrumes, maïs, bœuf, porc, poulet « grown in USA ».

En face, la Chine pare comme elle peut, avec des attitudes parfois incohérentes. D’une part, elle tente d’amollir Washington en signalant que ses exportations ont baissé de 23,8% en un an. D’autre part, elle tente de le punir en décourageant ses touristes de visiter ce pays « où l’insécurité est forte et la santé chère ». Elle met en quarantaine les contingents de fruits américains, les laissant pourrir.

Mais sa faiblesse, c’est le dollar, dont elle est le plus gros détenteur extérieur avec 1190 milliards en bons du trésor. De plus, son yuan ne compte que pour 1,16% des paiements internationaux contre 42,7% au dollar. Aussi l’attaque américaine fait tout de suite mal : en bourse de Shanghai depuis janvier, la liste des investisseurs étrangers stagne à 287 groupes, dont pas une seule nouvelle compagnie américaine.

Le sort des consortia publics chinois aux Etats-Unis est tout sauf assuré. Après avoir réglé au fisc de l’oncle Sam 1,4 milliard d’amende pour fraude, ZTE l’équipementier des télécoms recouvre le droit de commander des pièces aux USA, mais pour un mois seulement, jusqu’au 30 juillet. Pour après, rien n’est dit, et le Congrès pourrait révoquer le deal ! Quant à China Mobile, premier opérateur de la planète, il se voit interdire l’établissement aux USA : « trop dangereux », car firme d’Etat, douteuse donc sous l’angle de la sécurité de ses réseaux.

Pour gérer l’agression potentiellement catastrophique, l’équipe de Xi Jinping s’est doté d’un Comité de Stabilisation et de Développement financier, qui tenait le 4 juillet sa réunion fondatrice. Détail rarissime : pour contrer toute accusation d’opacité, il publiait in extenso la liste de ses membres, tous du plus haut niveau. Auprès de Liu He le « pape » de l’économie chinoise (ayant supplanté en ce rôle Li Keqiang le 1er ministre), siège Ding Xuedong pour le Conseil d’Etat, Guo Shuqing patron des banques et assurances, Liu Shiyu de la tutelle boursière, Pan Gongsheng  de la SAFE (devises), Han Wenxiu de la Commission des affaires économiques et sociales, Lian Weiliang de la NDRC et Liu Wei, vice-ministre des finances.

Pour tenter de redonner confiance au marché désarçonné, le Comité affichait sa certitude de pouvoir piloter le navire au-delà des écueils et se targuait aussi d’avoir maté « l’expansion barbare de quelques institutions », allusion aux consortia privés (Anbang, HNA) que Xi sèvre de crédit afin de rétablir la préséance des monopoles publics. On est loin d’un recul d’intervention de l’Etat dans l’économie. Pourtant c’est ce que Trump et l’Europe attendent pour retrouver confiance en leur partenaire ! 

La suite du conflit ne pourra désormais être que l’escalade. Trump prévient : une fois lancées ces contre-rétorsions chinoises (le 6 juillet), deux nouveaux trains de sanctions américaines s’ébranleront, de 200 et 300 milliards de $ – volume énorme, proche du total des exportations chinoises vers le nouveau monde ! Cette phase imminente, Trump la justifie d’une boutade : « l’Empire du Milieu s’est refait une santé sur le dos de l’Amérique, en lui volant 500 milliards de $ par an »…

Conclusion d’Eswar Prasad, de la Cornell University, « nul ne peut désormais douter que les menaces tarifaires de Trump doivent être prises avec le plus grand sérieux par les partenaires » chinois. Elles mettent un terme historique à 25 ans d’intégration des deux économies et même si elles sont suspendues par la suite, elles marqueront une rupture.

Et l’Union Européenne dans cette crise sans précédent ? La Chine l’approche, pour lui demander son soutien, dans une contre-attaque coordonnée. Mais Bruxelles, de façon un peu surprenante, se défausse avec une fermeté inhabituelle. « La Chine nous a dit ce qu’elle attendait de nous, et nous lui avons répondu que nous ne le ferions pas » déclarait un diplomate. En effet, elle partage à 90% les griefs de Trump – et s’il l’avait bien voulu, c’est derrière lui, en une plainte à l’OMC contre la Chine, que les Etats membres de l’UE se seraient rangés. De plus, les Européens se soucient de l’action chinoise de lobby sur leur flanc oriental, avec les 6 et 7 juillet à Sofia (Bulgarie) ce Sommet « 16+1 » entre Chine et 16 Etats d’Europe de l’Est, dont 11 membres de l’UE.

Pékin tente de rassurer, mais Bruxelles n’y croit pas—pas plus qu’à une volonté chinoise de créer un changement systémique dans ses relations commerciales avec le Vieux continent.

Autant dire que le sommet Chine-UE à Pékin le 16 et 17 juillet, s’annonce plus que difficile, quasi une « mission impossible »  pour la partie organisatrice.

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1 Commentaire
  1. severy

    Ça se corse… La Chine n’a plus la possibilité de « fermer la porte ». Bienvenue dans les affres du capitalisme libéral. Il va falloir réécrire la version chinoise de Marx et Engels pour faire passer le goût de la sauce communiste dans les rangs des membres du Parti. Finies, les baguettes. Les Chinois vont devoir se mettre aux couverts pour avaler ce brouet de l’économie de marché. Ça va fermenter dur dans les tripes célestes.

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