Hong Kong : Pris au piège

Au Grand Palais du Peuple, 2 878 délégués chinois appuyèrent le 28 mai sur le petit bouton vert pour approuver la résolution sur la loi de sécurité nationale à Hong Kong. Un seul délégué vota « contre », tandis que 6 autres préférèrent s’abstenir. Ce projet de loi est destiné à lutter contre « les activités sécessionnistes, subversives, terroristes et les ingérences étrangères ». La prochaine étape consiste en la rédaction du projet de loi par le Comité Permanent de l’ANP, puis de son ajout à l’annexe III de la Basic Law, probablement d’ici août.

Certains observateurs interprétaient ce passage en force comme une démarche opportuniste de Pékin, profitant de la pandémie pour renforcer un peu plus son contrôle sur le turbulent territoire. En fait, la stratégie a été arrêtée et planifiée depuis le 4ème Plenum d’octobre 2019, pas par un excès de confiance, mais plutôt par peur de perdre le contrôle. Après plusieurs mois de chaos, la mise à sac du Parlement local (le « LegCo ») puis du siège de l’université polytechnique, il fallait absolument rétablir l’ordre et empêcher que Hong Kong ne se transforme en base de subversion pouvant à tout moment déstabiliser le sud du pays. Et il y a urgence à passer cette loi : les députés pro-démocratie pourraient bien remporter plus de 36 sièges lors des prochaines élections du Legco en septembre et donc remporter la majorité. Si l’épidémie a fait perdre à Pékin près de trois mois sur son programme initial (l’ANP devait avoir lieu début mars, et pas fin mai), l’interdiction des rassemblements de plus de 8 personnes à cause du coronavirus jusqu’au 4 juin, date de la veillée commémorative du printemps de Tiananmen et du vote au LegCo d’une autre loi controversée sur l’hymne national, tombe finalement plutôt bien pour Pékin.

Pourquoi ce projet de loi inquiète-t-il tellement Hong Kong et une partie de la communauté internationale ? Car toute déclaration publique en faveur de l’indépendance de la Région Administrative Spéciale (RAS) ou critiquant la Chine et le Parti communiste, pourra faire l’objet de poursuites pénales. Les autorités chinoises n’auront donc plus besoin de kidnapper des libraires hongkongais et de les faire réapparaitre de l’autre côté de la frontière, pour les punir de leurs ouvrages « subversifs ». En effet, la loi de sécurité nationale prévoit de poster à Hong Kong des agents des ministères chinois de la Sécurité publique et de la Sécurité d’État.

De nombreuses inconnues subsistent encore : quel sera le contenu exact de la loi (rétroactivité ou non), quand sera-t-elle promulguée et comment (probablement par le LegCo avant les élections législatives de septembre ou par Pékin directement), comment sera-t-elle appliquée et par qui (compétence des juges étrangers), et quelles seront les sanctions exactes imposées par les États-Unis ?

En effet, malgré son ton ferme, le Président Trump restait mesuré et surtout très vague le 29 mai lorsqu’il annonçait mettre fin aux exemptions accordées à Hong Kong au nom du principe « d’un pays, deux systèmes », l’autonomie de la RAS n’étant plus respectée. Une décision qui « aura un impact sur « l’ensemble des accords, même commerciaux, entre les deux parties », a précisé le locataire de la Maison-Blanche, avec quelques exceptions. Donald Trump promettait également des sanctions à l’encontre des dirigeants chinois et hongkongais impliqués directement et indirectement la perte d’autonomie de Hong Kong, sans citer de noms. Il révoquait également les visas de 3 000 étudiants chinois aux États-Unis en lien avec des écoles militaires chinoises, une infime partie des 360 000 étudiants aux USA. Le Président annonçait également mettre un terme au traité d’extradition passé avec Hong Kong et promettait un contrôle accru des compagnies chinoises cotées sur les marchés financiers américains – sans transparence, elles seront radiées.

Cette timidité dans les rétorsions démontre que Trump n’est pas prêt à sacrifier son accord commercial « phase 1 », durement négocié, pour la cause hongkongaise. Ainsi Pékin prend la mesure des limites de Washington, et se laisse le loisir de réfléchir aux propres sanctions qu’elle décrétera en réplique à celles américaines. Mais la Chine le sait, la plupart des mesures de représailles que pourrait décider Trump heurteraient Hong Kong et les États-Unis plus qu’elle-même. Xi Jinping semble donc avoir réussi à déjouer le coup de bluff américain, et va poursuivre son lent grignotage des libertés hongkongaises. Par contre, cela conduira sans aucun doute les relations sino-américaines à se dégrader davantage.

Pourtant, Pékin n’a aucune intention de « provoquer la mort de Hong Kong », comme le prédisent des députés pro-démocratie hongkongais. Au contraire, le régime espère que les différentes déclarations de ses leaders, de l’administration de Carrie Lam et d’autres personnalités hongkongaises, suffiront à apaiser les craintes des milieux d’affaires. D’autant que certains grands groupes chinois côtés aux États-Unis ont choisi Hong Kong pour lever des capitaux internationaux. Après Alibaba en septembre 2019, son grand concurrent dans le secteur du e-commerce, JD.com vient d’annoncer son projet de seconde cotation dans la RAS. Le moteur de recherche Baidu l’envisagerait également…

Toutefois, s’il le faut, la Chine préfère sacrifier la place financière internationale de Hong Kong plutôt que de permettre à Washington de lui extorquer des concessions. Le fait que Hong Kong ne pèse plus aussi lourd économiquement parlant, y est pour beaucoup. En 1997, la RAS contribuait pour 17% du PIB chinois, maintenant, Hong Kong ne pèse plus que 4%.

Pris au piège de la rivalité sino-américaine, ce sont les Hongkongais qui vont en payer le prix. La ville appréhende une sortie des capitaux et une vague d’émigration. En signe de soutien, le Royaume-Uni assouplissait ses mesures d’immigration pour les 2,9 millions de Hongkongais éligibles à un passeport « BNO » (British National Overseas, pour Britanniques d’outre-mer), document délivré aux résidents de l’ex-colonie britannique nés avant la rétrocession en 1997. Un geste que la Chine dénoncait, le qualifiant de « violation » de l’accord de rétrocession, Taïwan se prépare également à accueillir « les Hongkongais dont la sécurité est menacée pour des raisons politiques ». D’autres pays anglophones sont des destinations privilégiées, comme le Canada, l’Australie ou l’Irlande.

Sous le coup de la colère, de la peur, du désespoir, le mouvement de contestation pourrait se radicaliser. Aux côtés des slogans habituels, on peut désormais entendre : « l’indépendance de Hong Kong, la seule porte de sortie ». Une autre solution ne serait-elle pas plutôt de poursuivre un activisme créatif et pacifique, d’empêcher que le mouvement ne retombe dans la violence, de tirer profit du succès lors des élections de district de novembre 2019, et surtout de préparer les élections au LegCo de septembre en poussant la candidature de candidats modérés que Pékin aurait du mal à faire disqualifier ? 

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