Petit Peuple : Wu’an (Hebei) – La folie des grandeurs de Li Lijuan (1ère partie)

En février 2016, nous racontions les tribulations de Li Lijuan, héritière d’une mine de fer par la grâce de son père, secrétaire du Parti à Wu‘an (Hebei). En 1989, à 20 ans, la fille la plus riche de la ville avait été mal mariée par ses parents, vite divorcée, et avait résolu depuis, de consacrer sa vie au sauvetage de tous les enfants abandonnés qu’elle trouverait au bord des chemins.

En 1993 à 24 ans, elle rattrapait in extremis son bébé que son ex-mari venait de vendre à des passeurs. En 1995, elle rachetait sa « première petite fille de la rue » de 7 ans. En décembre 2007, elle fondait Village d’amour, son orphelinat privé qui se remplissait bientôt de dizaines de mômes, la plupart handicapés. En 11 ans, Lijuan affirme avoir reçu 118 garçons et filles, les avoir scolarisés, parfois jusqu’à l’université. Certains ont réussi le concours de l’administration—la gloire.

Aussi exaltante qu’elle puisse paraître, sa croisade l’entraînait sur une pente dangereuse. Elle devait assumer des charges bien lourdes pour ses frêles épaules, se faire « la colonne et la poutre faitière » (栋梁之材, dòng liáng zhī cái). En tout temps, elle dut trouver la ressource pour payer une trentaine d’infirmières, puéricultrices et nourrices pour soigner ces enfants handicapés – un adulte s’occupant de deux petits.

Dès lors, une course contre la montre s’instaura entre les forces volontaires pour soutenir son œuvre et celles travaillant sournoisement à la détruire. En 2007, à l’hôpital de Shijiazhuang où elle s’était faite admettre pour des douleurs cutanées, on lui trouva un lymphome cancéreux. Mais le coût annoncé des soins fut si élevé qu’elle préféra quitter l’hôpital après 8 jours, pour consacrer ses ressources aux enfants, sa priorité.

Malheureusement, cette même année, la mairie l’expropria de sa mine de fer pour y développer de nouveaux quartiers. Au bord de la ruine, Lijuan se mettait à découvert de deux millions de ¥ pour installer sa tribu à Shangquan, trou perdu en rase campagne. Depuis lors, éducateurs et enfants se nourrissaient des potagers qu’ils cultivaient. La mécène gagnait encore 3 sous par le magasin de chaussures qu’elle tenait en ville, et de plus en plus d’aides lui venaient d’institutions civiles—un hôpital qui suivait les enfants, la mairie qui offrait 100 à 400¥ par enfant abandonné, et quelques quintaux mensuels de farine et de riz… 

Mais voilà que le 5 mai 2018, les événements se précipitèrent : la mairie donna soudain l’ordre de fermer l’orphelinat privé. Quant à Lijuan, en cours de soins dans un hôpital pékinois, elle fut arrêtée. Son personnel dispersé, les 74 petits frères et sœurs du Village d’amour furent répartis entre 21 hôpitaux pour des bilans de santé. Commença alors la litanie des explications officielles sur les raisons impérieuses pour dynamiter cette œuvre altruiste comme il y en a si peu en ce pays.

Formellement, lui sont reprochés des délits de chantage, trouble d’ordre public, défaut d’enregistrement de l’orphelinat depuis 2014 et irrespect d’une liste sans fin de normes et règlements, ainsi que d’un refus de transférer selon la loi ses protégés à des établissements publics.

La réalité est un peu plus complexe, mais sur le fond, les imputations contre notre héroïne sont malheureusement indiscutables.

Voyons donc, au cas par cas : en 2016, une compagnie de télécom a voulu faire passer sa ligne de fibre optique à haut débit par l’orphelinat : Lijuan avait prétexté des « ondes négatives » pour les petits, exigeant 70.000¥ de pretium doloris. Incapable d’obtenir un arrangement raisonnable, la compagnie finit par déplacer le tracé via le terrain adjacent. Mais Lijuan, pressée par ses créanciers, imagina le tour diabolique de lancer ses 74 enfants comme des soldats sur ce champ de bataille : de guerre lasse, la compagnie a payé.

Enhardie par ce succès, Lijuan réclama poliment à un hôtel quatre étoiles des environs une obole de 140.000¥. Suite au refus sec du directeur, elle débarqua dans le lobby accompagnée de sa horde d’orphelins  – qui fit vite fuir les voyageurs… La réaction ne tarda pas : le soir-même, l’hôtel fit livrer l’argent demandé.

Suivant le même principe, Lijuan racketta l’hôpital du même montant -ingratitude, s’agissant de médecins qui soignaient gracieusement ses petits depuis des lustres.

Dès lors, elle se mit à lancer ça et là sa petite armée, contre le bureau des affaires civiles, la mairie en plein conseil municipal, bloquant la sortie des édiles. Ce spectacle embarrassant lui permit toujours de recevoir en un temps record, la subvention exigée, la livraison de vivres, la levée d’une interdiction, et de l’argent sonnant et trébuchant !  

Cette stratégie agressive plongea ses victimes dans le désarroi. En effet, par ses sit-in sauvages, Lijuan renvoyait ces ronds-de-cuir à l’échec de toute une société, de toute une politique. Elle les forçait à payer, « mais c’était pour la bonne cause » ! C’était une charité demandée, une main forcée, mais comment aller embastiller la bienfaitrice du Village d’amour, comme un vulgaire escroc ? Impossible ! 

Comprenant vite son impunité de facto,  Lijuan s’enhardit. Toujours   plus impunément, elle exploitait cette faiblesse qu’elle venait de découvrir. Quand elle fut arrêtée, la police constata plusieurs appartements et villas à son nom entre Wu’an et Handan, dont elle fut incapable de justifier l’origine. Elle avait aussi en banque plus de 20 millions de ¥ – elle affirma qu’ il s’agissait de la compensation de l’Etat pour l’expropriation de la mine. Mais est-ce bien exact ? L’enquête en cours tentera d’établir la vérité, à travers la meule de foin de deux décennies de fonctionnement sans comptabilité du Village d’amour.

Mais qu’est-il vraiment arrivé à Lijuan, pour déraper de la sorte ? On le saura, la semaine prochaine !

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