Défense : Duterte s’en-va-t-en guerre

Quelle drôle de menace vient d’ émettre Rodrigo Duterte, Président des Philippines, par la voix de son secrétaire aux Affaires étrangères Alan Cayetano ! A Manille le 28 mai, Cayetano avertissait tout net qu’en cas d’exploitation chinoise unilatérale d’hydrocarbures en mer de Chine du Sud, l’archipel philippin « irait en guerre » – tout simplement.

Cayetano tentait de blanchir son supérieur d’accusations de rester trop mou dans la défense des droits souverains, face à l’expansion chinoise irrésistible dans des eaux classifiées philippines par le droit international.

Le fait est que les derniers pas de la marine chinoise ont de quoi préoccuper les esprits les plus sereins. De source américaine militaire citée par le CSIS (Centre d’études internationales et stratégiques, Washington), l’APL venait d’équiper 3 des 7 atolls qu’elle occupe depuis 5 ans, de missiles terre-air YI-12B capables de frapper tout navire à 300km, et de HQ-9B pouvant atteindre avions, drones et missiles de croisières à 500km à la ronde. Et avec 190 baraquements et structures permanentes, elle pouvait loger et déployer jusqu’à 2400 soldats. De la sorte, concluait l’amiral américain Philip Davidson, la Chine disposait des moyens de tenir la mer de Chine du Sud en tout cas de figure, sauf en cas de conflit armé avec les Etats-Unis.

Pékin, ombrageusement, répondait que ces aménagements ne servaient qu’à la défense – en tout état de cause, elle avait le droit d’agir comme elle l’entendait « sur son territoire »…

On aura noté que Duterte, l’homme qui a réconcilié son pays avec la Chine, contre une série de projets d’infrastructures pour une vingtaine de milliards de $, s’est gardé de faire directement cette tonitruante menace. De la sorte si nécessaire, il pourra se démentir. En public, à Cebu (au sud du pays) le 19 mai, il soutenait même plus ou moins le contraire : il n’avait pas les moyens de provoquer la Chine, ni de l’affronter militairement. Même décollant du continent, les supersoniques chinois pouvaient frapper Manille « en 7 à 10 minutes », et Duterte n’avait aucune garantie que les Etats-Unis le soutiendraient en cas de conflit.

Telles confidences sont intéressantes, pour leur part d’aveu et de vérité. Oui, Trump est bien imprévisible. Quant à Duterte, après avoir insulté publiquement son prédécesseur Obama et renié 60 ans d’alliance avec les USA, il peut redouter des retrouvailles fraîches, s’il s’avisait d’appeler Washington au secours.

Confronté à son absence d’options, avant l’appel de Cayetano, il plaidait pour lancer avec Pékin des campagnes conjointes d’exploration, quitte à se partager le pétrole et le gaz. Primesautier, il allait même droit au but, sans rien négocier, offrant aux chinois  « 40% » des hydrocarbures qui pourraient être découverts. 

Pourtant dès ce moment, il apparaissait évident que le leader philippin n’avait pas que cette stratégie en tête. Dès le 27 avril à Singapour, il rassurait le leader vietnamien Nguyen Xhan Phuc. Évoquant le verdict favorable que son pays avait obtenu à la cour arbitrale de La Haye sur l’occupation chinoise de ses îles, verdict que Duterte enterrait depuis lors, il promettait de le ressortir « au moment opportun », pour d’exiger un règlement intégral du litige, dans le cadre de la Convention de l’ONU du droit de la mer : s’il le faisait, ce serait un retournement à 180° !

Parallèlement, on voit apparaître chez lui d’autres plans « B » contre cette montée en puissance de la flotte chinoise gris-argent. Au cours du mois de mai, des images satellites montrent, près de l’île de Thitu (la base avancée philippine en mer de Chine du sud), deux navires de chantier philippins en train de réhabiliter une piste d’atterrissage et de bâtir sept baraques et structures défensives.

Que peut signifier tout ceci ? On croit y voir une fermeté nouvelle des Philippines, enfin déterminées à faire respecter leurs droits souverains. Le message s’adresse aussi à l’opinion de l’archipel, en demande de davantage de fermeté face à la Chine.

Un autre destinataire de ces gestes timides, est le Président Trump : en vocalisant une volonté de se défendre, les Philippines préparent les Etats-Unis au dégel de ce traité de défense philipino-américain que Duterte avait mis implicitement sur la touche trois ans plus tôt.

Signalons au passage que le Vietnam subit la même pression et la même contradiction. Comme les Philippines, il se trouve confronté à un géant voisin qui occupe ses îles, prétend le priver de son patrimoine maritime, mais qui est aussi le poumon économique, technique et financier dont dépend primordialement sa croissance et sa modernisation. Sous tel cahier de charges, son attitude est peu différente. Rares sont les protestations, même quand la marine chinoise vient mouiller sous des îles qui sont les siennes d’après l’ONU. Par contre, Hanoï ne se prive pas de  lancer discrètement ses travaux de poldérisation d’un atoll, et de construction d’infrastructures de défense…  L’Amérique aussi, joue un rôle majeur. Pas par hasard, deux navires de sa flotte pacifique (le croiseur USS Antietam, le destroyer USS Higgins) voguaient le 27 mai au large des Paracels, archipel occupé par la Chine – histoire de défendre la vocation internationale de ces eaux. Sans surprise, la Chine protestait mollement, exigeait le départ des bâtiments.

Dernier élément, le 27 juin à Hawaï, 26 nations participeront aux manœuvres bisannuelles Rimpac 2018 : 200 avions, 25.000 marines, 47 navires de surface, 5 sous-marins… Ce rendez-vous incontournable des armées intégrera 4 nouveaux pays—Vietnam, Sri Lanka, Brésil et Israël. Par contre l’APL, invitée aux deux dernières sessions (2014, 2016) restera chez elle, désinvitée par Trump pour avoir militarisé ces îles. Est-ce un geste intelligent sous l’angle diplomatique ? Pas sûr – la Chine très susceptible, perd la face. Ce qui est sûr, est que l’équilibre de la région plus que jamais, dépend de la capacité et de la volonté des USA à s’y maintenir militairement actifs.

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1 Commentaire
  1. severy

    Si l’on comprend bien, il n’y a pas que la niña qui réchauffe les eaux de ce côté du Pacifique… En menaçant les pays voisins, la Chine se crée des ennemis pour longtemps.

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