Culture : Quand cinéma et soft-power s’entremêlent

Quand cinéma et soft-power s’entremêlent

Le succès en Chine d’Avengers : End Game, le 22ème film de l’univers des super-héros de Marvel, est un phénomène économico-culturel sans précédent. Après seulement deux semaines d’exploitation, le film a généré des recettes de 2,3 milliards de $ dans le monde, dont plus de 600 millions aux États-Unis et au Canada, et presque la même somme en Chine où le film a battu le record de préventes, de premières, de ventes sur une journée et sur une semaine (386 millions de $) ! Avec 356 millions de $ dépensés pour la production, la Chine a rendu à elle seule le film rentable – intéressant pour un film dont un des héros s’appelle « Captain America ».

Actuellement, Avengers est « à la lutte » avec l’autre blockbuster chinois The Wandering Earth. Dans ce film, vaguement basé sur une nouvelle du plus célèbre des auteurs de science-fiction chinois Liu Cixin, une équipe d’astronautes chinois sauve la Terre d’une catastrophe galactique. Etrangement, les Américains n’apparaissent pas clairement dans la coalition internationale. 

Néanmoins, le plus grand succès du box-office chinois est toujours le film nationaliste Wolf Warrior 2 qui a généré plus de 700 millions de $ de bénéfices. Joué par Wu Jing (aussi acteur principal dans The Wandering Earth), un ex-membre d’une unité d’élite de l’Armée Populaire de Libération (APL) se bat pour protéger les habitants d’un pays africain en guerre contre des bandes de mercenaires et de trafiquants d’armes. Dans le prologue, Wolf Warrior, des membres des forces spéciales de l’APL pourchassent un criminel protégé par d’anciens Navy SEALs.

Pour ces trois films, les revenus ont été générés à plus de 95% auprès des salles obscures chinoises. Entre films américains et chinois, il n’y a donc pas de compétition pour le box-office mondial : la « bataille » culturelle se joue d’abord en Chine.

Devant le succès de ces films américains, la Chine pourrait être encline à contrôler encore plus le marché. Depuis plusieurs années, en sus de ses quotas, elle utilise en effet un système de black-out quasi complet des films étrangers à certaines périodes de l’année – durant le nouvel an chinois et l’été notamment.

Le succès d’Avengers en Chine pose en effet le problème du rôle visé pour le cinéma comme soft power d’une nation et de son « hinterland culturel ». Le terme de soft power se définit par ce à quoi il s’oppose : le hard power c’est-à-dire l’ensemble des instruments militaires et économiques par lesquels un gouvernement s’impose et influence l’étranger, et le soft power, les moyens médiatiques et culturels par lesquels une société incite les autres à adopter ses valeurs et sa vision du monde. Il faut aussi distinguer le soft-power de la propagande, qui est la mise en forme d’un message idéologique d’un État ou d’un régime.

Ainsi, Avengers tire son succès, notamment en Chine, d’une démonstration du soft-power « américain » par son contenu et par sa méthode qui a été adaptée au marché chinois. Selon sa scénographie traditionnelle, Hollywood campe un héros isolé, en lutte contre la veulerie du collectif et la pesanteur de l’État, décidé à découvrir la vérité, dont dépend la survie de l’humanité. Or les films Avengers proposent une variation intéressante, en mettant en scène un héros collectif, une puissance de groupe basée sur la diversité.

Si le public chinois apprécie tant Avengers, ce n’est pas  parce qu’il devient pro-américain mais parce que les spectateurs s’identifient à cet individu pétri de valeurs collectives, en lutte contre un environnement hostile, qui n’est d’ailleurs pas nécessairement prometteur d’une émancipation collective.

En outre, plus que l’opposition entre les deux cinémas, ce qui frappe, c’est le mimétisme qui les attire.

Pour combattre Hollywood, la Chine a développé un cinéma de plus en plus… hollywoodien.

À l’inverse, pour s’imposer sur ce marché chinois, Hollywood a réfléchi à des scénarios de films « sino-compatibles » – comme dans Seul sur Mars où l’agence spatiale chinoise sauve Matt Damon et la mission de la NASA, au moyen d’une technologie avancée. Ce soft-power est donc américain mais intègre des éléments étrangers. Ainsi, dans le fait qu’aujourd’hui, même le super-héros américain doive jouer collectif, il est possible de percevoir une influence « asiatique ».

Dernière question importante pour cet échange sino-américain du 7ème art : l’actuel entichement du cinéma d’Outre-Pacifique résistera-t-il à la guerre commerciale qui déferle ? Jusqu’à ce jour, aucun signe ne laisse présager une désaffection du box-office de films américains en ce pays. Par contre le 20 mai, une « défaillance technique » chez Tencent, diffuseur officiel et partenaire d’HBO a exaspéré certains spectateurs en streaming, et désespéré les autres : les fans de Games of Thrones étaient privés du dernier épisode de la série qui devait dévoiler enfin le nom du dernier régnant sur le monde fictif de Westeros. Ici de toute évidence, l’abandon de la série culte était moins le fait d’une indignation anti-américaine du public, que d’une action de la censure. Par contre, une fraction du public intéressé—sans doute la majorité– pouvait malgré tout visionner l’épisode en téléchargeant l’épisode, avec pour ultime avantage de le voir non expurgé par les grands ciseaux !

Par Jean-Yves Heurtebise

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