Technologies & Internet : Huawei, cible n°1

Le 18 mai, Steve Bannon, ex-conseiller du Président Trump, annonçait la couleur : « chasser Huawei des Etats-Unis et de l’Europe est dix fois plus urgent que de trouver un accord commercial ». La veille, le Département du Commerce abattait une carte, plaçant sur sa liste noire Huawei, le poids lourd des télécoms du Céleste Empire. Il bannissait ainsi le groupe et ses filiales du marché des composants et logiciels américains, s’il n’obtient pas de licence. Le lendemain, afin de laisser aux petits opérateurs de réseaux et revendeurs de smartphones sur sol américain le temps de se retourner, Trump leur octroyait 90 jours de sursis.

Néanmoins, Google était contraint d’annoncer le 19 mai le retrait de sa gamme de services mobiles (Gmail, YouTube, Play Store...) dans les nouveaux modèles de smartphones Huawei. 

Sur le marché chinois, ce ban n’aura guère d’impact, ces applications y étant déjà interdites afin d’en réserver le marché aux clones locaux. Ailleurs par contre, en Europe surtout, les ventes de portables Huawei ou Honor – sa marque low-cost – devraient chuter, le client y regardant à deux fois avant de se passer des applications Google. Une traversée du désert s’annonce : au 1er trimestre 2019, Huawei réalisait à l’étranger 49,4% de ses ventes de smartphones, avec 29 millions d’unités…

De plus, Huawei ne pourra plus utiliser sur ses nouveaux modèles le système d’exploitation Android, sauf à se limiter à la version open source.

Pour prévenir la panique, le groupe de Shenzhen prétend avoir anticipé ces sanctions et stocké des pièces depuis près d’un an, tout en préparant le relais des fournitures américaines par d’autres biais, notamment grâce à ses propres semi-conducteurs, HiSilicon, et son système d’exploitation HongMeng.

Mais pour les experts, la « colle » ne prendra pas tout de suite : HongMeng devra surmonter de multiples soucis de codage et d’incompatibilité pour chacune des dizaines de milliers d’applications mobiles. Plus grave, pour certains composants spécifiques (modules de fréquence radio, lasers…), il n’existe pas d’alternative crédible aux équipements américains. Même le producteur allemand de semi-conducteurs Infineon, dépendant de brevets américains pour 25% de sa technologie, a déjà virtuellement cessé ses fournitures à la Chine. Le japonais Panasonic a fait de même. Pour que Huawei remplace (s’il y parvient) tous ses composants américains, il devra s’imposer des années d’efforts d’adaptation. Il n’a donc plus qu’à espérer que ses stocks durent jusqu’à la fin de la guerre commerciale…

Pourtant, Ren Zhengfei, fondateur du groupe, 74 ans, affiche une confiance de façade, évoquant les appels d’offres remportés pour les réseaux 5G de 37 villes chinoises. Il peut aussi compter sur la solidarité des clients locaux, dont une fraction n’hésitera pas à quitter Apple, pour démontrer son patriotisme : au 1er trimestre, le groupe de Cupertino régressait en Chine, de 9,1% à 7% du marché.

Washington finira-t-il par lever ses sanctions ? Il l’a fait l’an dernier dans le cas de ZTE l’autre géant chinois, épinglé et frappé de 7 milliards de $ d’amende pour viol de l’embargo de ventes à l’Iran : après trois mois, une fois l’amende payée et une réorganisation interne effectuée, Trump levait la mise au ban. Mais pour Huawei, c’est une autre histoire : il est d’une part accusé d’espionnage (c’est plus grave), et représente surtout une menace plus grande car détenteur de la filière 5G la plus compétitive de la planète. Pour plaider sa cause dans les hautes sphères, Huawei devrait pouvoir compter sur ses fournisseurs américains Qualcomm, Broadcomm, Skyworks, Xilinx ou Intel, tous soucieux de perdre un tel client…

Finalement, le seul pouvant tirer Huawei de l’impasse est bien le gouvernement chinois lui-même, en signant un deal avec Donald Trump, lequel affirmait le 23 mai que « le sort de Huawei pourrait se jouer dans le cadre des négociations commerciales avec la Chine ».

On assiste donc, en sus du conflit commercial, à l’explosion d’un affrontement technologique hier encore larvé. C’est cette double confrontation qui rend sa résolution encore plus complexe et éloignée dans le temps. Celle-ci implique aussi l’accélération d’une priorité réaffirmée par Xi Jinping le 20 mai : celle d’affranchir la Chine de sa dépendance technologique, et de poursuivre le développement de ses filières propres à grand renfort de subventions. Pour tenir la dragée haute à la Chine, le Département américain de la Défense annonçait le 10 mai la création d’une plateforme d’investissements publics-privés, spécialement destinée aux filières cruciales pour la sécurité nationale.

Toutefois, peu de doute que la Chine finisse par rattraper les Etats-Unis, voire les dépasser dans certains secteurs telle la technologie 5G. Un rideau de fer s’élève donc entre les deux puissances, et les tactiques de Trump ne feront au mieux que de retarder la Chine dans son rattrapage technologique.

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