Agroalimentaire : Pékin et son insécurité alimentaire

Pékin et son insécurité alimentaire

Plusieurs faits concomitants amènent nombre d’experts chinois et internationaux à s’interroger sur la réalité de la sécurité alimentaire de la Chine : opacité autour des statistiques de récoltes records et de stocks nationaux de grains affichées ces dernières années par le Parti ; résurgence de la COVID ; hausse des prix liée à la guerre en Ukraine ; tensions accrues avec les États-Unis…. Tous paramètres endogènes et allogènes, de portées et de qualités variables, rendent délicat l’abord de cette question.

Au niveau interne, bien que les terres arables de la Chine ne représentent qu’environ 11% de sa surface et soient très morcelées, le pays est globalement le premier producteur mondial de céréales, de riz et de soja avec 18% des récoltes de la planète pour une population du même ordre, et durant la dernière décennie, ces volumes ont progressé de 70 millions de tonnes, soit d’environ 13%, ce que diverses imageries indépendantes par satellites valident. C’est indéniablement un succès pour les agronomes chinois, car cette augmentation de la production a été trois fois plus rapide que la hausse simultanée de population de leur pays.

L’adoption par l’État d’un modèle de consommation alimentaire à base de viande dégrade toutefois structurellement ce résultat tout comme sa volonté de produire des biocarburants : l’augmentation de la production agricole ne suffit pas à couvrir une consommation en hausse de 180 millions de tonnes – les besoins de l’alimentation animale ont fait un bond de plus de 50% et ceux des biocarburants de 40% (deux fois moins que les USA mais trois fois plus que l’Union Européenne) !

Sur le plan international, cette divergence assumée par le pouvoir chinois entre production et consommation l’a conduit à devenir le premier importateur mondial de céréales et de soja (un quart des échanges mondiaux) en prenant des positions dans les années 2010 en Amérique du Sud et en s’alliant avec la Russie, avec pour objectif géopolitique secondaire de limiter les exportations étasuniennes de ces denrées.

Le déficit actuel de la Chine, qui s’élève à 150 millions de tonnes, a par ailleurs été renforcé ces dernières années par l’épidémie de fièvre porcine qui a détruit une large part de son cheptel, la conduisant à remplacer ses petits élevages familiaux traditionnels par de grandes unités plus dépendantes des céréales et du soja, mais aussi plus productives et plus faciles à contrôler.

Il est plus que vraisemblable que la Russie a averti la Chine de ses intentions d’envahir l’Ukraine, lui permettant durant ces derniers mois de renforcer ses stocks stratégiques de grains à moindre coût. Le gouvernement chinois a annoncé qu’il stocke actuellement 210 millions de tonnes de maïs et 142 millions de tonnes de blé, soit respectivement 69% et 51% des stocks mondiaux de ces grains, et tant pis si demain, ses alliés égyptiens, algériens ou autres connaissent de nouvelles crises alimentaires… 

À court terme, sa sécurité alimentaire intérieure ne semble donc pas menacée d’autant plus que la hausse mondiale des produits alimentaires affecte aujourd’hui peu les prix du marché domestique chinois qui se situent à des seuils plus élevés que les prix du marché mondial.

Au-delà, si la Russie s’englue dans un conflit durable en Ukraine, la Chine bénéficiera d’importations massives de grains de son allié – quoique de qualité moindre – et obtiendra une plus grande autonomie dans son approvisionnement en céréales. Dans le jeu de go diplomatique, il n’y a pas de petits profits. 

Le risque le plus délicat à évaluer pour la sécurité alimentaire de la Chine pourrait provenir de ce qu’elle ne contrôle pas : une résurgence naturelle galopante de la Covid-19 dans un environnement particulièrement dégradé depuis des millénaires par son immense population, et l’émergence de nouvelles mutations particulièrement contagieuses que la politique sanitaire du Parti ne maîtriserait pas, dégradant son image et celle de Xi Jinping au moment délicat où il brigue un troisième mandat.

La politique « zéro-Covid » réaffirmée par le gouvernement central, qui étend en ce moment, via son administration, de nouvelles mesures de confinement de longue durée sans tenir compte de la lassitude de sa population, pourrait avoir des conséquences drastiques sur les semis de maïs, de soja et de riz du printemps 2022, en réduire les surfaces et par suite dégrader les niveaux de récoltes de l’année en ces espèces, au moment même où le Parti avoue craindre une mauvaise récolte de blé d’hiver.

Même si les provinces de la Chine se comportent encore parfois au plan économique comme des États concurrents, plus rivaux que solidaires, la question de la sécurité alimentaire chinoise paraît toutefois garantie vu les stocks de grains accumulés par les autorités.

À plus long terme, c’est une autre histoire… D’après Cheng Guoqiang, professeur en agronomie à l’université Renmin (Pékin), la production alimentaire nationale ne serait que de 58,8% de sa demande domestique d’ici 2030, contre 65,8% en 2020 et 93,6% au début du siècle. Une conséquence de la hausse du pouvoir d’achat et de l’urbanisation. Même constat de la part de Du Ying, vice-président du centre chinois pour les échanges économiques internationaux : d’ici 2035, le taux d’autosuffisance alimentaire du pays devrait chuter à 65%, contre 76% aujourd’hui. En somme, les difficultés pour « remplir le bol de Chinois de grains chinois » ne font que commencer…

Par Alain P. Bonjean

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1 Commentaire
  1. severy

    Très bon article. Il ne s’agit pas seulement d’assurer à la population d’avoir le ventre plein mais aussi de pouvoir se nourrir, ce qui semble actuellement assez problématique dans certaines provinces potentiellement ou virtuellement sujettes à la Covid-19. Le vent sulfureux de la révolte s’échappant des ventres creux des masses populaires confinées dans leurs clapiers pour raison pandémique doit inquiéter la clique au pouvoir qui se terre dans ses palais dans des moues offusquées…

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