Investissements : Hainan se rêve en Hawaï

Malgré ses 35.500 km² de sablons, de plantations d’hévéa, de café et de cocotiers au large du Vietnam, Hainan souffre de longue date d’une sulfureuse réputation de nid de forbans endormi sous les Tropiques.

Jusqu’en 1988 administrée par le Guangdong voisin, Hainan obtint alors le statut de province, doublé de celui de Zone Economique Spéciale (ZES) – la plus étendue du pays. Mais cela ne l’aida pas à s’imposer hors frontières comme paradis touristique : en 2017, elle accueillait 67 millions d’estivants locaux, mais un seul petit million d’étrangers, une goutte d’eau face aux 35 millions ayant préféré la Thaïlande.

Pour le 30ème anniversaire de la ZES, tout va changer suite à la décision du Conseil d’Etat du 13 avril de faire de l’île un port franc d’ici 2035. Pékin veut la faire évoluer en une place forte en tous secteurs, sur fond d’intelligence artificielle : agriculture, soins médicaux, éducation, sports, télécommunications et finance, en plus de ses fonctions militaires (bases navales et spatiales) et touristiques.

L’Etat financera les nouvelles infrastructures au moyen d’un fonds d’investissement, à créer : autoroutes, TGV, et lignes aériennes internationales désenclaveront l’île, pour acheminer une riche clientèle vers ses hôtels 5 étoiles tel le Méridien Grand-Sanya ou les archipels artificiels de Phoenix et d’Evergrande, déjà en place mais trop souvent vides…

Mais l’atout majeur de l’île, proviendra de son nouveau statut : dès 2025, son privilège hors-taxe attirera les capitaux étrangers, et Hainan connaîtra rapidement la libre circulation des biens, des hommes et des services. Dès le 1er mai, 59 nationalités y seront pour 30 jours exemptées de visa. Celles non qualifiées, le sont apparemment pour des raisons économiques (Cambodge, Laos, pays africains) ou diplomatiques (Inde, Vietnam).

A l’évidence, le plan vise à redorer le blason hainanais. Sont prévus des hippodromes pour courses hippiques avec pari mutuel (interdit ailleurs) et de loteries d’un genre nouveau—tels les tickets à gratter. Sports nautiques, de plage et de voile, plongée sous-marine apparaîtront. Tous ces secteurs devant fournir de l’emploi aux 9,3 millions d’insulaires peu exigeants sur les salaires.

Davantage de libertés donc, mais plus de contraintes. La pollution sera bannie, Hainan devant se faire une réputation verdoyante par sa canopée tropicale, son air pur, ses coraux et ses eaux cristallines. Elle sera également la 1ère province à interdire tout véhicule à essence, au profit de la propulsion électrique. Enfin, d’innombrables cameras policières de reconnaissance faciale et vocale veilleront sur l’île, destinées à concilier confort et gouvernance autoritaire, face au risque de fraude, contrebande, drogue et prostitution.

Pour quelles raisons avoir choisi de développer Hainan plutôt qu’une autre région ?  Les réponses abondent. 

D’abord, l’île dispose de puissants parrainages : dès 1979, le Président Xi Jinping visitait Hainan avec son père Xi Zhongxun, haut cadre du régime. Mais ce serait Wang Qishan, son actuel bras droit, ancien Secrétaire du Parti à Hainan en 2002, qui aurait poussé ce projet.

Or, Xi peut vouloir équilibrer les nouveaux pôles de croissance, entre Xiong’an au Nord (le futur satellite de Pékin), et Hainan au Sud.

Xi veut aussi faire de l’île une région test d’une « gouvernance en éprouvette » à haute technologie, sur espace limité. En cas de succès, elle sera étendue au reste du pays.

Et puis, ce Hainan détaxé devrait favoriser les importations de biens et de services. C’est une recette parmi d’autres pour rééquilibrer à moyen terme les balances commerciales et satisfaire les Etats-Unis, afin d’éviter le retour de la guerre commerciale.

De plus, un tel « Hawaï chinois », volant thermique d’affaires, pourra être attirant pour l’Asie du Sud-Est. Pékin compte sur cela pour réduire chez ces nations, l’attractivité d’un protectorat américain.

Enfin, ce Hainan nouveau pourrait inciter ses voisins méridionaux—Hong Kong, Macao et le Guangdong à s’unir plus vite. En effet, il est inévitable que l’île une fois remodelée statutairement, porte ombrage à ses voisins, à Hong Kong par son commerce de luxe hors-taxe, à Macao par le jeu (même par des casinos pas encore autorisés mais néanmoins probables), et à Canton par sa future foire internationale « routes de la soie maritimes » destinée à attirer l’Asie du Sud-Est. Mais justement, pense Pékin, ces nuisances pourraient s’avérer un bien, en forçant les trois phares économiques méridionaux à intégrer plus vite leurs économies dans une Grande baie (« Greater Bay »), forçant un peu la main à Hong Kong et Macao encore attachés à leur statut indépendant.

A noter que le plan « Hainan » va dépanner HNA, le conglomérat insulaire en difficulté dans plusieurs affaires. HNA aura un coup d’avance sur la concurrence, ayant déjà sa flotte aérienne, ses hôtels et ses filiales sur place. D’autres n’y perdront rien, tels Fosun, avec son Club Med de Sanya et son futur complexe de rêve Atlantis, à 1,6 milliard de $ (cf photo).

Cela dit, un excès d’enthousiasme serait naïf : ce qui manquera à Hainan, pour percer dans ces métiers nouveaux, seront moins les fonds que les compétences. Face au projet de courses hippiques, l’avis du secrétaire général du Jockey Club de Hong Kong est instructif : « pour réussir une telle implantation à Hainan, il faudra créer les infrastructures, les haras, faire venir vétérinaires, jockeys, palefreniers… Il faudra former des professionnels : l’île ne pourra pas s’en tirer seule ».

Or, ce qui vaut pour les courses de chevaux, vaudra pour toutes les  activités touristiques, financières ou agronomiques que la Chine rêve d’y installer. En d’autres termes, la seconde vie de l’île tropicale sera œuvre de longue haleine.

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1 Commentaire
  1. severy

    L’emploi d’engins électriques, la transformation des infrastructures, la surveillance constante de tous les habitants, l’aspect attrayant de l’endroit font de Hainan la copie conforme du « Village » que l’on peut découvrir dans les épisodes cultes du Prisonnier », en 1967. Pour sûr, les membres dominants du régime nord-coréen s’y retrouveraient « comme à la maison ». Quelle belle clientèle en perspective!

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