Le Vent de la Chine Numéro 15 (2018)

du 22 au 28 avril 2018

Editorial : La main dure et ses limites

Le 15 avril, journée nationale de l’éducation à la sécurité, Sohu.com présentait « un ami masqué », bande dessinée racontant l’histoire édifiante d’un cadre suborné par un membre d’une ONG internationale. Payé pour lancer des rumeurs parmi les travailleurs et les inciter à manifester, le cadre finissait en prison, et l’agitateur masqué se sauvait en hâte (cf photo).
Il n’est effectivement pas exclu que des Etats implantent en Chine leurs espions sous couvert d’organisations non gouvernementales. La Chine peut donc avoir un droit légitime à chercher à se protéger de leurs agissements. Mais par son ton acide, cette BD fait du tort aux ONG étrangères, dans leur immense majorité dévouées à la cause humanitaire. Elle n’aide pas non plus à renforcer la confiance entre la société chinoise et le microcosme étranger vivant à ses côtés.
Le même jour, le ministère de la Sécurité nationale dévoila un site internet pour encourager les masses à dénoncer toutes menaces sécuritaires, toutes tentatives de « renverser l’ordre socialiste ». Des primes sont promises à quiconque signalera micros ou cameras « planquées », et tentatives d’obtention de secrets d’Etat. Le site en question accepte les dénonciations en chinois et en anglais. Dès 2017, selon Beijing Daily, le bureau pékinois de sécurité nationale offrait 10.000 à 500.000 ¥ comme récompense.

Autre sujet, Pékin lance son nouveau « hukou » (户口) à points. Pour décrocher ce permis de citoyenneté locale, le candidat doit justifier d’un titre de résidence temporaire, d’un casier judiciaire vierge et d’un âge inférieur à la retraite (55 ans aux femmes, 60 aux hommes). D’autres points sont à glaner au niveau du revenu, des diplômes, de l’esprit d’entreprise—et d’une bonne attitude en général. Le score exigible sera communiqué plus tard, mais les conditions apparaissent d’ores et déjà endurcies. Par exemple, les cinq années de cotisations sociales réclamées hier, passent à présent à sept. Les petits commerçants des marchés de Pékin sont d’ailleurs invités à plier bagages . C’est la suite de la campagne d’expulsions de citoyens de « bas niveau », en cours depuis novembre 2017 à Pékin et ailleurs, pour les inciter à rentrer au village natal. C’est l’expression de la tension publique, face à une mutation trop rapide et d’une concentration urbaine devenue ingérable… Tant bien que mal, et sans enthousiasme, la société s’en accommode.

Dans ce contexte, la démarche autoritaire arrive parfois à ses limites. De façon inattendue, lors de trois réunions en présence d’hôtes de marque étrangers, le Président Xi Jinping a précisé être personnellement opposé à un mandat à vie pour lui-même : l’amendement voté en mars à la constitution aurait été « mal interprété ». Le changement, ajoute Xi, aurait été nécessaire pour « harmoniser les durées des trois mandats » – celui de Président limité à 10 ans, et ceux de 1er Secrétaire et de chef des armées, illimités. Xi aurait ressenti le besoin de faire cette déclaration suite à un grand nombre de questions d’investisseurs étrangers inquiets pour la profitabilité future du pays sous cette nouvelle donne.

Sur internet, c’est le portail social Weibo qui faisait marche arrière : le 13 avril, il annonçait le nettoyage de tout contenu pornographique, violent ou homosexuel (photos, textes, BD...). Mais la réaction de la société entière, dépassant les « chapelles » des milieux intellectuels et LGBT, fut si vive et outragée (300 millions de clics sur le hashtag #jesuisgai, avant son élimination le 14) que dès le 16 avril, Weibo reculait. Ce ballon d’essai avait été lancé par des autorités déterminées à protéger la société du « vulgaire » – et de tout ce qui n’adhère pas stricto sensu aux mots d’ordres du Parti. Dans ces deux cas à ce qui semble, le régime se rend compte  d’une limite à ne pas franchir—et bien pragmatiquement,  il en tient compte.


Diplomatie : Chine-Japon—l’axe rétabli

Après huit années de glaciation, la relation sino-nipponne entre dans un dégel dû à un double virage à 180° : celui de Donald Trump vers le protectionnisme, et celui de la Corée du  Nord vis-à-vis de son programme nucléaire.

Opportunément, 2018 marquait le 40ème anniversaire du Traité sino-nippon de paix et d’amitié : à point pour une visite à Tokyo (15-16 avril)de Wang Yi, conseiller d’Etat et ministre des Affaires étrangères, la première en 9 ans. En 2012, le grand froid avait été aggravé par le rachat par l’Etat nippon à des propriétaires privés, d’une fraction de l’archipel Senkaku. La Chine qui revendique ces îles sous le nom de Diaoyu, avait mal pris ce fait accompli.

A Tokyo, Wang Yi et le 1er ministre Shinzo Abe confirmèrent la tenue en mai d’un Sommet trilatéral avec le Président sud-coréen Moon Jae-in. Suivraient les visites du Shinzo Abe en Chine, puis  de Xi Jinping au Japon. La mer de Chine de l’Est devrait redevenir un « espace de paix, coopération et amitié » – les voisins laisseraient de côté leurs revendications. Le principe d’ouverture des échanges devrait être « protégé ». Et concernant les projets de l’initiative Belt & Road (BRI), une priorité absolue pour la Chine, Abe acceptait de s’y intéresser « au cas par cas et selon leur adhésion aux normes internationales ». Sa position est donc strictement alignée sur celle d’Europe et des Etats-Unis qui ne sont pas disposés à cofinancer des projets aux standards chinois,  risquant de ne bénéficier qu’à la Chine au détriment des autres partenaires. Autrement dit, la concession d’Abe n’en était pas une…

De toute manière, l’essentiel était ailleurs. Pour ces hommes d’Etat, il s’agissait d’unir leur attitude face à l’attaque d’un Trump prétendant taxer leurs exportations d’acier et d’aluminium vers les USA, hors de toute procédure légale de l’OMC. Les deux pays se retrouvaient donc solidaires.

Autre question : Trump suggérait aussi, tout à trac, la possibilité de retourner dans l’accord TPP, alliance entre 11 pays de la zone Pacifique,  dont il avait fait sortir son pays dès son arrivée au pouvoir. Cet accord, originellement, avait été conçu (sans que ses auteurs ne veuillent l’admettre) pour isoler la Chine. Mais à présent que le TPP s’apprête à fonctionner, hors participation des deux puissances Chine et USA, la question des intentions de Pékin, méritait d’être posée. Pour le professeur Y. Matsuda de l’Université de Tokyo, « aux yeux de la Chine, Trump n’est pas fiable… Le Japon lui, est relativement stable : aussi, se réconcilier est une forme de garantie de stabilité ».

Si Wang Yi venait à Tokyo discuter de Trump, Abe l’accueillait pour avancer sur le dossier nord-coréen, dont il se sentait tenu à l’écart.

Durant sa visite à Pékin (26 mars), Kim Jong-un avait présenté à Xi Jinping une offre secrète de renoncer à la bombe, suivant une procédure « phasée et synchronisée ». A chaque étape de cette procédure, les alliés devraient faire leurs propres concessions.

En prenant l’initiative des négociations pour signer un traité de paix (qui n’a jamais été conclu depuis 1950, les hostilités ayant pris fin à l’époque par un simple armistice) et en annonçant la fin de ses essais nucléaires le 21 avril, Kim Jong-un semble avoir abandonné la condition historique de son père et son grand-père, d’un départ de l’US Army de la Corée du Sud.

Autre secret bien gardé : le week-end de Pâques, M. Pompeo, directeur de la CIA et émissaire de Trump, rencontrait Kim Jong-un à Pyongyang pour préparer le sommet des deux chefs d’Etat fin mai-début juin, dans la perspective d’une dénucléarisation de la péninsule—qui devrait être suivi par la visite de Xi Jinping à Pyongyang. À ce niveau, entre USA et Corée du Nord, c’était la première retrouvaille depuis l’an 2000. Dans la même course au tapis vert, les leaders des deux Corées se rencontreront le 27 avril à Panmunjom dans la zone démilitarisée, dans un bâtiment en pleine frénétique rénovation. Et à peine Wang Yi repartait pour Pékin, Abe s’envolait pour Mar-a-Lago, pour retrouver Trump en Floride dans un autre débriefing au sommet.

Entre parties prenantes au futur traité de paix, on assiste ainsi à une reprise de dialogue. Si le Japon s’en trouvait tenu à l’écart, c’est du fait de son exigence de recouvrer 13 citoyens kidnappés, parfois il y a des dizaines d’années, par des agents secrets nord-coréens. Affectant de croire que l’affaire est « réglée », Kim Jong-un refuse d’en parler. Pour Tokyo, Pékin était donc la meilleure chance pour rentrer dans le circuit des négociations avec Pyongyang.

Pour autant, Japon, Etats-Unis et Corée du Sud n’ont jamais desserré leur étroite coordination politique : tous trois sont d’accord pour refuser le scénario de démantèlement nucléaire proposé par Kim. Au contraire, ils fixent leurs exigences : fusées, centres d’extraction de plutonium, et usine de missiles doivent disparaître d’ici 2020, dans le cadre d’une procédure « complète, vérifiable et irréversible ».

Entre le petit pays et les trois alliés, avec entre eux la Chine comme médiateur, un bras de fer se prépare donc. Mais de toute évidence, « rien sans rien ». Pour les alliés, l’argent n’est pas la question essentielle. Par contre, le moment venu, ce ralliement de Kim Jong-un ne devra pas apparaître comme une capitulation, mais comme une paix honorable, assortie d’un plan d’aide généreux pour la reconstruction de ce pays en ruine. Ce qui signifie, au passage, que les pays parties prenantes, trouvent un accord sur les règles pour se répartir ces projets et tâches à faire. 


Investissements : Hainan se rêve en Hawaï

Malgré ses 35.500 km² de sablons, de plantations d’hévéa, de café et de cocotiers au large du Vietnam, Hainan souffre de longue date d’une sulfureuse réputation de nid de forbans endormi sous les Tropiques.

Jusqu’en 1988 administrée par le Guangdong voisin, Hainan obtint alors le statut de province, doublé de celui de Zone Economique Spéciale (ZES) – la plus étendue du pays. Mais cela ne l’aida pas à s’imposer hors frontières comme paradis touristique : en 2017, elle accueillait 67 millions d’estivants locaux, mais un seul petit million d’étrangers, une goutte d’eau face aux 35 millions ayant préféré la Thaïlande.

Pour le 30ème anniversaire de la ZES, tout va changer suite à la décision du Conseil d’Etat du 13 avril de faire de l’île un port franc d’ici 2035. Pékin veut la faire évoluer en une place forte en tous secteurs, sur fond d’intelligence artificielle : agriculture, soins médicaux, éducation, sports, télécommunications et finance, en plus de ses fonctions militaires (bases navales et spatiales) et touristiques.

L’Etat financera les nouvelles infrastructures au moyen d’un fonds d’investissement, à créer : autoroutes, TGV, et lignes aériennes internationales désenclaveront l’île, pour acheminer une riche clientèle vers ses hôtels 5 étoiles tel le Méridien Grand-Sanya ou les archipels artificiels de Phoenix et d’Evergrande, déjà en place mais trop souvent vides…

Mais l’atout majeur de l’île, proviendra de son nouveau statut : dès 2025, son privilège hors-taxe attirera les capitaux étrangers, et Hainan connaîtra rapidement la libre circulation des biens, des hommes et des services. Dès le 1er mai, 59 nationalités y seront pour 30 jours exemptées de visa. Celles non qualifiées, le sont apparemment pour des raisons économiques (Cambodge, Laos, pays africains) ou diplomatiques (Inde, Vietnam).

A l’évidence, le plan vise à redorer le blason hainanais. Sont prévus des hippodromes pour courses hippiques avec pari mutuel (interdit ailleurs) et de loteries d’un genre nouveau—tels les tickets à gratter. Sports nautiques, de plage et de voile, plongée sous-marine apparaîtront. Tous ces secteurs devant fournir de l’emploi aux 9,3 millions d’insulaires peu exigeants sur les salaires.

Davantage de libertés donc, mais plus de contraintes. La pollution sera bannie, Hainan devant se faire une réputation verdoyante par sa canopée tropicale, son air pur, ses coraux et ses eaux cristallines. Elle sera également la 1ère province à interdire tout véhicule à essence, au profit de la propulsion électrique. Enfin, d’innombrables cameras policières de reconnaissance faciale et vocale veilleront sur l’île, destinées à concilier confort et gouvernance autoritaire, face au risque de fraude, contrebande, drogue et prostitution.

Pour quelles raisons avoir choisi de développer Hainan plutôt qu’une autre région ?  Les réponses abondent. 

D’abord, l’île dispose de puissants parrainages : dès 1979, le Président Xi Jinping visitait Hainan avec son père Xi Zhongxun, haut cadre du régime. Mais ce serait Wang Qishan, son actuel bras droit, ancien Secrétaire du Parti à Hainan en 2002, qui aurait poussé ce projet.

Or, Xi peut vouloir équilibrer les nouveaux pôles de croissance, entre Xiong’an au Nord (le futur satellite de Pékin), et Hainan au Sud.

Xi veut aussi faire de l’île une région test d’une « gouvernance en éprouvette » à haute technologie, sur espace limité. En cas de succès, elle sera étendue au reste du pays.

Et puis, ce Hainan détaxé devrait favoriser les importations de biens et de services. C’est une recette parmi d’autres pour rééquilibrer à moyen terme les balances commerciales et satisfaire les Etats-Unis, afin d’éviter le retour de la guerre commerciale.

De plus, un tel « Hawaï chinois », volant thermique d’affaires, pourra être attirant pour l’Asie du Sud-Est. Pékin compte sur cela pour réduire chez ces nations, l’attractivité d’un protectorat américain.

Enfin, ce Hainan nouveau pourrait inciter ses voisins méridionaux—Hong Kong, Macao et le Guangdong à s’unir plus vite. En effet, il est inévitable que l’île une fois remodelée statutairement, porte ombrage à ses voisins, à Hong Kong par son commerce de luxe hors-taxe, à Macao par le jeu (même par des casinos pas encore autorisés mais néanmoins probables), et à Canton par sa future foire internationale « routes de la soie maritimes » destinée à attirer l’Asie du Sud-Est. Mais justement, pense Pékin, ces nuisances pourraient s’avérer un bien, en forçant les trois phares économiques méridionaux à intégrer plus vite leurs économies dans une Grande baie (« Greater Bay »), forçant un peu la main à Hong Kong et Macao encore attachés à leur statut indépendant.

A noter que le plan « Hainan » va dépanner HNA, le conglomérat insulaire en difficulté dans plusieurs affaires. HNA aura un coup d’avance sur la concurrence, ayant déjà sa flotte aérienne, ses hôtels et ses filiales sur place. D’autres n’y perdront rien, tels Fosun, avec son Club Med de Sanya et son futur complexe de rêve Atlantis, à 1,6 milliard de $ (cf photo).

Cela dit, un excès d’enthousiasme serait naïf : ce qui manquera à Hainan, pour percer dans ces métiers nouveaux, seront moins les fonds que les compétences. Face au projet de courses hippiques, l’avis du secrétaire général du Jockey Club de Hong Kong est instructif : « pour réussir une telle implantation à Hainan, il faudra créer les infrastructures, les haras, faire venir vétérinaires, jockeys, palefreniers… Il faudra former des professionnels : l’île ne pourra pas s’en tirer seule ».

Or, ce qui vaut pour les courses de chevaux, vaudra pour toutes les  activités touristiques, financières ou agronomiques que la Chine rêve d’y installer. En d’autres termes, la seconde vie de l’île tropicale sera œuvre de longue haleine.


Technologies & Internet : ZTE – K.O. sur le ring

Semaine de cauchemar pour l’équipementier télécom chinois ZTE, 10% du marché américain des smartphones, à la 4ème place. Le 16 avril, Washington révoquait un sursis à sa sanction de 2017, suite au viol d’un embargo de l’ONU sur les ventes à la Corée du Nord et à l’Iran. Le sursis avait été accordé, moyennant un nombre de conditions, dont le paiement d’1,19 milliard de $ d’amende. Mais ZTE n’avait pas honoré sa promesse de sanctionner 39 de ses cadres impliqués. Le Département du Commerce américain décréta alors l’interdiction aux entreprises américaines de vendre composants et logiciels à ZTE pendant 7 ans.

Les conséquences sont dévastatrices pour ZTE. Les 20 à 30% de pièces et logiciels que le groupe achetait à des majors, tel Qualcomm, devront être sourcés ailleurs, forçant le groupe de Shenzhen à redessiner 9/10èmes de ses produits. Il pourrait même perdre la licence du système d’exploitation Android, développé par Google. Plus grave, ZTE ne pourrait plus intégrer les applications Google à ses smartphones. ZTE est le 7ème producteur mondial de smartphones, avec 46 millions d’appareils écoulés en 2017.

Un malheur n’arrive jamais seul : le 18 avril, la FCC, instance fédérale des communications, interdit aux opérateurs publics l’usage de matériel « posant un risque de sécurité aux USA ». En tête des firmes visées, figurent implicitement ZTE et l’autre géant chinois Huawei. Huawei ne pourra donc pas saisir l’opportunité de reprendre le marché américain perdu par ZTE, avec ses prix bas.

Le même jour, à Londres, le Centre National de Cybersécurité  donne un avertissement identique aux opérateurs britanniques, contre ZTE, qui encourt ainsi le danger de se voir par effet « boule de neige » blacklisté dans tout l’Occident – au risque évident pour sa survie, et l’emploi de ses 80.000 actifs.

En réaction, ZTE crie à l’injustice, tandis que l’Etat étudie ses options et se garde d’une réaction à chaud. D’autant que ZTE et Huawei, tous deux groupes « privés », entretiennent une rivalité notoire, et que Huawei est plus apprécié par Pékin. Resurgit alors un commentaire de Xi Jinping en 2015, bien adapté au cas de ZTE : « en Occident existe une mentalité qui veut que le maître, une fois tout son savoir légué à son élève, croit qu’il va mourir de faim ».

Quel sera le prochain pas ? Le boycott, voire l’interdiction de groupes américains tels Qualcomm, ou Apple qui vendait en Chine 46 millions d’iPhones en 2017 ? Telle riposte serait de la part de Pékin la plus logique, pour se donner un levier et faire rétablir le sursis pour ZTE. Quoiqu’il arrive, aucune mitigation n’est à attendre à court terme –et de part et d’autre, des dizaines de milliers d’emplois sont hélas sans doute déjà condamnés…


Monde de l'entreprise : Les petits magasins pris au filet du net
Les petits magasins pris au filet du net

N°2 du e-commerce en Chine (252 millions de clients), JD.com fait feu de tous bois pour rattraper Alibaba, le rival aux 600 millions de consommateurs. Sa filiale JD Finance, où investissent les consortia publics COFCO et CICC, vient de racheter pour 85 millions de $ (sous réserve d’accord  de la tutelle CBRC) d’Allianz China, soit 33% de la filiale locale de l’assureur allemand (n°1 mondial des secteurs non-vie et multirisques). Ensemble, ils créent une filiale d’assurance en ligne, marché qui explose avec 330 millions de polices vendues en 2016 (+40% en 1 an).

Depuis 2017, JD crée à toute vapeur son réseau de commerces de proximité, avec l’objectif d’un million d’ici 5 ans, dont la moitié en zone rurale, au rythme de 1000 créations par jour. Pour y parvenir, il offre aux candidats un paquet de conditions attractives, subventions, son réseau de livraison par tricycles, camionnettes ou drones, des kits de formation à la gestion et son catalogue de centaines de milliers de produits. Liu Qiangdong, le PDG fondateur, fait espérer à chaque franchisé plus de 8000¥ par mois de revenu – une perspective qui attire 50.000 candidats par jour, souvent issus des flots de migrants retournant au village natal. Il y a de la marge : avec l’actuel plan public pour inverser le flux de l’exode rural et faire revivre les campagnes, 7 millions de petits commerces pourront desservir les petites villes et villages, selon Li Chengdong, analyste indépendant. Le risque pour JD est la concurrence d’Alibaba, en quête comme lui d’un réseau de franchises. Leur surenchère pour attirer de (nouveaux) commerçants, pourrait faire grimper leurs coûts. De plus, le nombre de boutiques pourrait finir par excéder la demande.

Pour JD comme pour les autres, l’enjeu sera de combiner dans ces campagnes aux centaines de millions de clients potentiels, les ventes en dur et celles digitales—l’épicerie locale servant alors de dépôt aux commandes en ligne.

Depuis mars, JD croit pouvoir quasi-doubler le nombre de ses magasins d’électroménager à 15.000 unités, pour être présent dans presque toutes les petites villes. En somme, cette filière rurale sera le pendant de celle urbaine, réalisée par JD avec sa chaîne 7Fresh et ses autres collaborations comme Walmart. Deux déclinaisons d’une stratégie unique de commerce « phygital » alliant distribution classique et e-commerce.

 


Petit Peuple : Le « je t’aime, moi non plus » de Sun et Song (1ère partie)

À Tangshan, à 35 km de Nankin (Jiangsu), Sun Guo avait 27 ans en 1949, quand naquit la Nouvelle Chine. Patriote et socialiste dans l’âme, il s’enflamma pour cet espoir de vie meilleure. 20 ans passèrent comme en une nuit, dans ce tourbillon dévorant de réunions et campagnes orchestrées par le grand Timonier.

Sun fut bientôt marié par sa cellule à une camarade qui lui donna deux fils, ardents révolutionnaires. En 1966, à 44 ans, il quitta l’école où il travaillait pour une brigade agricole de Mongolie Intérieure. C’est là qu’il rencontra celle qui devait s’avérer le seul vrai amour de sa vie, son âme-sœur,  Song Hua, de 8 ans sa cadette. A la tombée de la nuit, ils chuchotaient avec prudence et se racontaient leurs vies. C’est ainsi qu’ils se trouvèrent de troublantes similitudes. Elle aussi avait été envoyée comme « jeune instruite » dans ce village d’éleveurs de chevaux. Elle aussi était professeur à la même école intermédiaire n°3 de Tangshan. Elle aussi avait été mal mariée par le Parti et se retrouvait mère de deux enfants – gardes rouges qui la dénonçaient à chaque meeting… Ainsi, ils se retrouvaient dans cette campagne, moins par ardeur révolutionnaire que pour fuir leurs familles et leurs vies ratées.

Durant 10 ans, Sun et Song se soutinrent mutuellement. Dès la réouverture des écoles en 1976, ils réintégrèrent leur école d’origine. Puis en décembre, après avoir chacun divorcé, ils annoncèrent leur mariage, lui à 54 ans, elle à 46 ans. Tout était à reconstruire, carrières et familles.

Mais c’était compter sans leurs enfants, déjà mariés et devenus parents, qui firent tout pour faire capoter l’union—chaque famille pour des raisons différentes. Les fils de Sun craignaient le déshonneur : en Chine d’alors, s’unir à une divorcée ne se faisait pas, et tout transgresseur mettait à risque sa réputation et celle du clan. Chez les Song, le souci était plus matérialiste : c’était elle qui apportait la maison, tandis que Sun était désargenté. Et pourtant, marié, c’est lui qui deviendrait propriétaire, ayant droit sur la moitié du bien, en cas de divorce ou de disparition de leur mère. Et cette perspective était insupportable pour les Song—une mésalliance, ni plus ni moins !

Ensemble, les différents enfants du couple s’accordaient au moins sur une conviction commune. Suivant la morale de Confucius, dans une famille, l’individu n’a rien à dire, mais doit se plier aux décisions collectives : même les parents doivent se plier au clan !

Sun Guo et Song Hua passèrent outre les critiques. Mais à peine uni à elle par les liens du mariage, Sun, un peu lâchement, demanda sa mutation – histoire, dit-il, de laisser passer la tempête. Alors, ils s’écrivirent (chaque semaine), se téléphonèrent (4 fois l’an), et ne se retrouvèrent qu’au nouvel an lunaire, tout en rêvant de retrouvailles permanentes, qui filaient devant eux comme un nuage dans le ciel.

Au bout de six ans, Sun demandait alors à son unité de travail son retour à Tangshan pour réunification des familles. Elle advint en avril 1982. A 60 ans, il pouvait enfin vivre avec son aimée… Un beau dimanche, s’étant annoncé, il posa ses valises dans le vestibule de la grande maison familiale.

Mais il ne débarqua pas seul : l’accompagnaient ses enfants, leurs femmes, et ses petits-enfants. Or, le clan de Song n’avait pas oublié ses préjugés sur ceux d’en face. Les disputes arrivèrent vite, sur des broutilles. Les Song grognaient contre l’occupation des Sun… Tandis que les brus des deux camps se chamaillaient régulièrement dans la cuisine pour des provisions de riz non remplacées, pour du linge qui trainait dans le salon ou un nettoyage négligeant quand venait le tour de corvée… Ces querelles s’élevaient le soir : fatigués par leur journée, les maris laissaient faire. Aussi trop souvent, les ados se disputaient sans personne pour les séparer. C’est ce qui causa la catastrophe en août 1982, sous une canicule mettant les nerfs à blanc : deux jeunes s’empoignèrent, la fille reprochant au garçon de l’avoir insultée. Les mères, au lieu de remettre les enfants à leur place, se mirent à se crêper le chignon, tandis que les pères ne trouvaient rien de mieux que de se rouer de coups à leur tour, se roulant par terre…

Suite à cette rixe, la vie commune n’était plus possible : Song et ses enfants s’en allèrent vivre ailleurs, abandonnant leur propre maison. Chacun de ses enfants se relogea de son côté, tandis que Song ouvrait en ville un garage pour motos, avec appartement à l’étage. Elle pouvait enfin se lancer dans les affaires, libérée de toute responsabilité familiale et même de son ancien métier, venant de prendre sa retraite…

Song croyait également faire une croix sur ce mari qui, durant quatre mois de calvaire, n’avait pas levé le petit doigt pour faire régner l’ordre, ni la défendre elle. Mais à sa grande surprise, elle le vit débouler 15 jours plus tard, avec quelques affaires et provisions fourrées dans son sac. En train de nettoyer un carburateur au garage, elle l’avait vu passer sans mot dire. Quand elle monta à son tour, elle esquissa un sourire à la vue d’une petite montagne de galettes de sésame à l’émincé de porc, servies avec un flacon de vin jaune de Shaoxing. Elle s’assit sans mot dire, contenant l’expression du bonheur. Enfin s’ouvrait peut-être pour eux, la chance de vivre ensemble au calme, protégés des leurs, pour gravir le « sentier courbé vers leur jardin secret » (曲径通幽, qū jìng tōng yōu  ) !

Les lendemains chanteront-ils enfin pour eux ? On le découvrira au prochain numéro !


Rendez-vous : Semaine du 23 au 29 avril 2018
Semaine du 23 au 29 avril 2018

24-26 avril, Chengdu / Shanghai : NEPCON China, Salon international des matériaux et équipements pour semi-conducteurs

24-27 avril, Shanghai : CHINAPLAS, Salon international des industries du plastique et du caoutchouc

25-26 avril, Suzhou : CHINABIO Partnering Forum, Forum et Exposition pour les industries des sciences de la vie, industries biotechnologiques et pharmaceutiques

25-27 avril, Suzhou : China SMART CARD and RFID Technologies

25-28 avril, Chengdu : DENTAL SHOW WEST China, Conférence internationale et salon sur les équipements et matériels pour la médecine dentaire

25 avril – 8 mai, Pékin : AUTO China, Salon international de l’industrie automobile à Beijing

26-28 avril, Shanghai : China CLEAN Expo (CCE Shanghai), Salon international des produits et technologies de nettoyage

26-29 avril, Shanghai : China International BOAT Show, Salon du nautisme et yatchs de luxe, équipements et services

26-29 avril, Shanghai : EXPO LEISURE, Salon des sports motorisés, des activités aquatiques de plein air

26-29 avril, Shanghai : Expo LIFE STYLE FOR LUXURY and EXCELLENCE, Salon des produits de luxe

26-29 avril, Shanghai : EXPO LIGHT, Salon de l’éclairage

26-29 avril, Shanghai : HDE + ECOBUILD China, Salon du design et de la construction d’hôtels et lieux commerciaux, et Salon de la construction et du bâtiment durable