Société : Géant déménagement

Le 18 novembre au village de Xinjian, dans le district de Daxing au sud de Pékin, un violent incendie dans des quartiers vétustes d’habitations et de commerces, causa la mort de 19 personnes dont 17 migrants.

Dès le lendemain, Cai Qi le Secrétaire du Parti et Chen Jining le maire, se rendaient sur les lieux, puis ordonnaient le 20 novembre une campagne de 40 jours pour contrôler la sécurité des résidences satellites de banlieue, où logent des provinciaux montés à la ville. Placardée dans l’arrondissement de Xihongmen (175.000 habitants), une affiche sans signature avertissait de la destruction sous 72 heures de toutes « structures illégales » – fermes, magasins, dortoirs, ateliers…

Rapidement des escouades de vigiles apparaissaient, armées de barres de fer, soutenues d’engins de chantier. Un exode massif débutait, forçant des dizaines de milliers de migrants à plier bagages dans l’heure, pour repartir vers d’autres logis ou vers leurs provinces natales.

Le mouvement se répandit autour de Pékin à Fengtai, Changping, Haidian, Shunyi, Chaoyang (Caochangdi), et des villages coincés derrière le cinquième périphérique, tel Picun. Les lotissements furent abattus, l’eau et le gaz coupés le soir venu pour rendre le départ irréversible.

Conséquence : l’action expéditive a privé de nombreuses entreprises de leur personnel, serveurs de restaurants, agents de nettoyage, ouvriers, livreurs, mais aussi l’aéroport de certains de ses bagagistes, hôtesses de l’air ou agents de sécurité… Le Financial Times recense une liste non exhaustive de sites expulsés : au 29 novembre, il en détectait 135 autour du 4ème périphérique.

Les expulsions et l’autre scandale du moment (sur les écoles maternelles) ont été lourdement censurées sur les réseaux sociaux, battant des records d’articles et commentaires effacés, et rappelaient le célèbre slogan d’avant 1949 : « 莫谈国事 » (mò tán guóshì , « défense de parler des affaires du pays »). Cent intellectuels signaient néanmoins une lettre ouverte dénonçant la « sérieuse violation des droits de l’Homme ». Ils déploraient aussi le terme employé de « population de bas niveau » (低端人口, dīduān rénkǒu ), rappelant le principe d’égalité sociale et l’indiscutable contribution des migrants à la prospérité de la capitale.

Finalement, face au malaise grandissant, qui se répercutait jusque dans les média officiels, Cai Qi reprenait la parole le 27 novembre pour appeler les cadres à adoucir le mode d’exécution de la campagne, notamment au niveau des délais d’expulsion. 

Combien de migrants ont été ainsi délogés ? La presse parle de dizaines, parfois de centaines de milliers d’expulsés. Cette campagne est forcément à rapprocher des plans, déjà officiels, du gouvernement central pour contenir la croissance des métropoles, qui explosent dans leurs murs. Pékin compte 23 millions d’habitants, dont 7 millions sans permis de résidence. Depuis 2016, la mairie a publié ses dispositions pour plafonner sa population, voire la ramener sous la barre des 20 millions.

Dans cette perspective, l’incendie de Xinjian apparaît davantage comme l’élément déclencheur : la campagne des 40 jours était déjà prête. Sous l’angle opérationnel, procéder aux expulsions par grand froid permet de limiter la résistance des populations expulsées.

La mairie par ailleurs peut tirer de cette campagne deux avantages économiques non négligeables :

(1) Elle peut récupérer des terres à bâtir, une opération vitale pour une entité qui tire la moitié de ses recettes de fonctionnement des ventes foncières.

(2) Plus sa population précaire diminue, plus elle réduit ses obligations futures de fournir des services réservés à ses résidents légaux—écoles, hôpitaux, retraites… Le coût pour l’Etat de la conversion d’un migrant en résident légal en 2012, était estimé à 12.000 $. Une telle économie sur l’avenir, chiffrable en milliards de $, pourrait être en fait la motivation principale de cette campagne.

Mais avec ces évictions et leur lot de misère et de manque de compassion, la mairie risque de se mettre l’opinion à dos. On peut d’ailleurs s’interroger sur la cause réelle, profonde, de cette violence physique et verbale chez les autorités  – excès de zèle de la police et des cadres locaux dans le but de bien se faire voir, ou lutte interne ?

Toujours est-il que la classe moyenne pékinoise, sincèrement compatissante envers ces migrants dont elle a souvent connu le sort autrefois, réagit par le seul moyen à sa portée, lui permettant de se démarquer sans tomber dans la dissidence, à savoir la gouaille.

Un quatrain d’origine anonyme circule à travers la ville, évocation directe aux faits divers du moment  :

前天围观低端搬家 – avant-hier, le bas niveau déménageait ;

昨天围观中端针扎 – hier, le moyen niveau maniait la pelote à épingles ;

今天围观高端自杀  – aujourd’hui, le haut niveau se suicide ;

每天围观顶端自夸 – chaque jour, le top niveau se gargarise de ses succès !

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1 Commentaire
  1. severy

    Encore un excellent article de notre spécialiste tout terrain Eric Meyer. Lorsque le peuple voit rouge, il se change en trouvère et le pouvoir rit jaune.

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