Diplomatie : Un cheval de Troie dans l’UE : le groupe « 16+1 »

Insolite, un groupe d’Etats fait toujours plus parler de lui : le « 16+1» réunissant les pays d’Europe centrale-orientale et la Chine. 11 de ces 16, font partie de l’Union Européenne.

Fondé en 2012 par le Premier ministre Wen Jiabao à Varsovie, ce groupe  vise à accélérer l’expansion chinoise en Europe orientale, y compris à l’Ouest – en établissant dans ces pays des « bases arrières » destinées à « européaniser » (ou ré étiqueter) les exportations chinoises.

Le groupe se réunit chaque mois à Pékin, entre ambassades des 16 et ministère chinois des affaires étrangères. Une fois par an a lieu un sommet. Le 6ème se tenait le 28 novembre à Budapest (Hongrie), occasion pour chaque pays de présenter ses offres et demandes de fonds à la Chine. En pratique, le « 16+1 » fonctionne de façon pyramidale : il n’y a guère de négociations des 16 avec la Chine, mais celle-ci enregistre les demandes de chacun, et notifie aux ambassades ses messages aux capitales.

La Chine, dans cette entreprise de séduction, compte sur quatre atouts :
– son offre de projets de ports, d’autoroutes ou de lignes ferroviaires. Depuis 2012, elle aurait promis 15 milliards de $ de prêts, dont l’essentiel à ses 6 principaux partenaires commerciaux (Pologne, Tchéquie, Slovaquie, Hongrie, Roumanie et Bulgarie), qui représentent 80% des échanges avec la Chine et 95% de ses investissements ;
-la tradition toujours vive d’autoritarisme dans ces anciennes démocraties populaires (la réticence à la démocratie, notamment en Hongrie de Victor Orban, ou en Tchéquie) ;
– un ressentiment transparent en Europe de l’Est, envers l’Ouest européen plus riche et développé ;
– des affaires qui révèlent à la Chine la fragilité de la Commission vis-à-vis du lobbysme – et peuvent l’inciter à faire de même –  tel le recrutement en 2016 chez Goldman Sachs de M. Barroso, l’ex-président portugais de la Commission, ou les 5 ans de sursis octroyés par Bruxelles le 27 novembre au glyphosate de Monsanto, en dépit des  alertes des scientifiques.

En fait, comparé aux versements  des 28 Etats membres (à la seule Pologne, de 2014 à 2020, Bruxelles verse 80 milliards d’euros) l’effort consenti par Pékin envers ces pays pauvres de l’Europe, est faible. Toutefois, l’effet est énorme – qu’on en juge :

– par ces crédits, la Chine peut unir ces pays contre des politiques contraires à ses intérêts. Ainsi, la tentative de JC. Junker, actuel président de la Commission, d’un « nouveau cadre de veille aux achats d’actifs sécuritaires » est freinée par le groupe des 16+1 complété par d’autres pays européens telle la Grèce – la Chine contrôlant le port du Pirée. Autre exemple, en 2016, suite au verdict de la Cour d’arbitrage de La Haye qui critiquait la Chine pour avoir créé et armé des îlots en mer de Chine du Sud, l’Union européenne a dû adopter une position très édulcorée qui n’évoquait plus le nom de la Chine, suite à la pression des 11 pays de l’Union également membre des 16+1.

– il permet à la Chine de contourner les règles du marché unique. En 2017, la Hongrie allouait sans appel d’offres à un consortium chinois sa section d’une ligne ferrée Belgrade-Budapest à 2,9 milliards de $. Elle s’était vue promettre 1,5 milliard de $ de crédits chinois. Le chantier a été bloqué par Bruxelles qui a lancé une procédure d’infraction.

– la Chine peut espérer faire pression sur Bruxelles via ces 16 capitales pour soutenir ses « routes de la soie » (Belt & Road Initiative—BRI) dans 64 pays entre l’Europe et l’Asie.

Ces risques sont perçus par Sigmar Gabriel, vice-chancelier allemand et Ministre des affaires étrangères (MAE), qui déclarait en septembre : « si nous ne parvenons à déployer une stratégie commune face à la Chine, elle aura réussi à nous diviser ». Cui Hongjian, du MAE chinois, rétorquait du tac au tac : « une Europe unie n’est concevable qu’au plan géographique, pas à celui de la politique ou de l’économie ». Tout le débat est là, sur l’image que l’Europe parvient à donner d’elle-même dans le monde !  

Pour l’avenir, l’Union a des soucis à se faire : avec 11 pays sous son influence, Pékin dispose déjà d’un veto sur tout vote unanime du conseil des ministres – nécessaire par exemple, en cas de sanctions. Elle est à 2 voix des votes à « majorité qualifiée », 13 voix nationales suffisant à faire tomber tout projet de décision. Ces deux voix manquantes, la Chine les a peut-être dès maintenant, y compris celle de la Grèce.

Cela dit, pour l’avenir, tout n’est pas forcément gagné d’avance pour la Chine. D’abord, ses paiements sont faibles— 2,7% de l’investissement mondial chinois en 2016, et 10% des 65 milliards déversés sur l’Europe de l’Ouest. D’autre part, 10 pays de ce groupe des 16, les plus pauvres, ne reçoivent pratiquement rien des largesses chinoises, et leur fidélité sera donc aléatoire. D’autant qu’une part inquantifiable des fonds promis tardent à se débloquer. En outre, ces prêts peuvent s’avérer ruineux pour les Etats bénéficiaires, en éreintant leurs budgets par des taux d’intérêts élevés.

En face, les investissements occidentaux (européens et américains) dans ces régions se sont avérés bien plus élevés, à 25 milliards de $ pour la seule année 2016.

Dernier détail qui peut faire réfléchir : le pays des « 16+1 » le plus résolument prochinois et confrontationnel envers l’Union européenne est la Hongrie. Or celle-ci a subi en 2016 un désinvestissement net de 5 milliards de $. Quelles que soient les causes de ce recul des crédits étrangers, le résultat est là : développer des liens avec la Chine, est acceptable, mais couper ceux avec l’Europe, est contre-productif.

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1 Commentaire
  1. severy

    La Chine se fourre la baguette dans l’oeil en escomptant, par des prêts qu’elle conscent à certains pays membres de l’Union européenne, créer une zone d’influence qui tient fort du miroir aux rossignols. Elle semble ignorer qu’il est imprudent de tenter de mettre le bout de son nez entre l’arbre et l’écorce. Elle risque tôt ou tard de s’en mordre les doigts.

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