Editorial : Un printemps aux couleurs chinoises

Tandis que des vents sibériens  éclaircissent le ciel chinois, le Parti lui aussi veut rendre la société plus transparente en y introduisant à partir de 2020 son « crédit social », score de fiabilité du citoyen, calculé d’après son comportement. À cet effet, deux organes nationaux viennent de sortir leur  application mobile.

En janvier, le département de la propagande sort Xuexi Qiangguo (学习强国), « étudier la grande nation » (avec  jeu de mot sur le « Xi » de Xi Jinping), recueil des idées du Président sur toutes choses, de la stratégie militaire, aux affaires du foyer en passant par la psychologie. Le citoyen peut y étudier ces aphorismes, et vérifier ses connaissances via des quizz constamment renouvelés. Cet effort est rétribué par des crédits, convertibles en coupons de réduction sur des sites marchands et en billets de  musées ou cinémas. Les 80 millions de membres du Parti sont encouragés à télécharger l’application en s’enregistrant sous leur réelle identité. Un tel « marché captif » permet à l’application de surfer en tête de la section « études » sur l’AppStore (China). Dans le sud du pays, certains cadres sont tenus d’engranger 30 crédits par jour. Par bonheur, la triche est aisée—il suffit de laisser l’application ouverte  pour empocher les points…

L’autre appli, Unictown, de la Ligue de la Jeunesse, doit former 460 millions de 18-45 ans au crédit social, en les évaluant selon des scores de 350 à 800 points. Pour les étudiants, publier un article de recherche ou faire un stage en maison de retraite rapporte des crédits—plagier en fait perdre. Les meilleurs scores remplaceront une lettre de recommandation lors de la recherche d’emploi. Ces applications ne sont qu’une goutte dans l’océan des systèmes de crédit social expérimentés en Chine. Municipalités et géants de l’internet multiplient les leurs, sur base du cadre fixé par le Conseil d’Etat en 2013 et de la loi de cybersécurité de 2017. Toute cette effervescence dévoile une rivalité entre NDRC et Banque Centrale, les tutelles du système. Fin 2018, la NDRC listait 26 compagnies de scores individuels telle Sesame Credit (filiale d’Alibaba). « Une simple liste de référence », déclarait la NDRC. Mais pour les experts, la publier, équivalait à une validation de ces firmes. Pourtant, certaines s’étaient déjà vu refuser l’agrément de la Banque Centrale. En effet, celle-ci à même époque, créait Baihang credit,  plateforme de firmes limitant leur évaluation de fiabilité des citoyens à leur comportement financier. Aujourd’hui, la NDRC défend son choix d’une large liste de sociétés de crédit social aux règles différentes selon les lieux. Selon un de ses cadres, « les pouvoirs locaux devraient pouvoir faire leurs propres expériences »…

Derrière ce bras de fer autour du crédit social, se cache une question fondamentale, dont dépendra sans doute  son succès final : faut-il viser un seul crédit social centralement géré, ou bien de multiples systèmes délocalisés ? Et faut-il juger les citoyens sur base de données publiques ou bien privées également ? Au sommet, dans la tradition autoritaire chinoise, la tentation est grande d’instaurer un système efficace au détriment des libertés du citoyen… Mais le pouvoir doit aussi prendre en compte que trop d’arbitraire réduirait ses chances d’acceptation… Affaire à suivre !

Autre nouvelle de la semaine : Microsoft dévoile sa découverte d’un pilote servant de porte d’entrée aux hackers dans des PC portables Huawei. Il l’a notifié fin 2018 au groupe de Shenzhen, qui l’a corrigé le 9 janvier 2019. Ces PC surfaient sur internet en 4G, mais Huawei veut actuellement convaincre l’Europe d’acheter son système 5G et dissiper les soupçons de risques sécuritaires. Jusqu’à présent, il arguait que nulle « porte de derrière » n’avait jamais été découvert sur ses équipements. Or, cette nouvelle arrive au pire moment pour Huawei – peut-être pas par hasard…

Avez-vous aimé cet article ?
Note des lecteurs:
2.24/5
17 de Votes
Ecrire un commentaire