Petit Peuple : Changsha – La jalousie de Zhang Ying (1ère partie)

En septembre 2014, les parents de Zhang Ying furent éblouis d’apprendre la nouvelle : la mairie les expropriait. À Changsha (Hunan), ville plutôt prospère, ils pouvaient tirer deux millions de ¥ de compensation. En y réfléchissant, c’était l’occasion pour eux de pouvoir enfin marier Ying, leur fils de 32 ans. Beau gosse, cuisinier, ambitieux, la seule chose qui lui manquait, était un appartement –  qui devenait à présent accessible ! Ainsi sur base du papier de la mairie, purent-ils emprunter et acquérir un autre appartement en banlieue de Changsha.

La mère appela alors ses entremetteuses. En quelques jours, les candidatures s’accumulèrent. La mère commença par écarter les migrantes, faute du hukou (permis de résidence). Il était exclu d’accepter pour lui une épouse de seconde zone. Elle raya les enjôleuses, coureuses de dot, ou trop légères, puis celles trop pauvres, ou trop riches – il fallait un statut social comparable. Enfin apparut Feng Mei, 27 ans, cochant tous les critères. Elle était ouvrière spécialisée dans une bonne usine, bien notée du patron.

Les présentations eurent lieu en octobre : les deux jeunes se plurent. Discrète, à la mode mais sans trop, elle savait se taire et sourire en toute occasion. Les préparatifs furent donc lancés. Pour le logement, la banque acceptait le prêt. 15 jours avant la noce dans un trois étoiles, les tourtereaux et les parents emménageaient ensemble dans le nouvel appartement !

Mais à peine dans leurs murs, les jeunes mariés virent se noircir l’horizon. De la vie conjugale, chacun s’était fait un rêve, mais sans s’en ouvrir à l’autre : à présent au pied du mur, ils découvraient que leurs attentes étaient incompatibles.

Au chapitre décoration, Ying ne jurait que par le blanc des murs, les lourds fauteuils en velours capiteux, plafonnier rococo. Mei préférait des teintes pastel, des meubles de style scandinave, des éclairages indirects tamisés. Et comme Ying ne voulait pas remettre en cause les choix, en fait de sa maman, c’était le clash.

Les styles de vie aussi détonnaient. Tambouillant jusqu’à pas d’heure, Ying rentrait tard de sa cuisine et épuisé, ne pensait qu’à dormir. Mei s’ennuyait. Pendant qu’il ruisselait sur ses woks, elle appelait les copains pour qu’ils passent la prendre, aller se faire une toile ou un KTV. Elle se débrouillait pour rentrer avant lui. Mais la belle-mère la voyant sortir, rapportait tout à son fils.

Il y avait pire. Quand Ying et Mei étaient au travail, Mme Zhang entrait régulièrement dans leur chambre pour fouiller et entrer dans leur intimité de couple. Mei commençait à se sentir en prison, avec la belle-mère comme geôlière. Dans un tel climat, les disputes s’enchaînaient.

En mai 2015, après cinq mois, Mei saisit le taureau par les cornes, déclara sa mutation pour un poste mieux payé : elle partait pour la nouvelle usine à Xiangtan, à 56km de là. Loin de vouloir briser son couple, la jeune femme espérait mettre entre elle et son mari une distance réparatrice, le temps de respirer, de murir, de repartir ensemble du bon pied. Mais au repas du dimanche midi, l’annonce fit l’effet d’un tsunami sur le mari et les parents : leur ordre paternaliste du monde était bafoué, leurs choix de vie remis en cause. Même l’espoir de faire l’héritier était compromis par l’abandon du domicile conjugal. Mme Zhang s’épancha en amers reproches, suivie du père, sans que Ying ne puisse intervenir pour défendre son épouse.

Mais Mei, visage fermé, leur rappela alors que la mairie de Changsha n’avait toujours pas payé la prime d’expropriation. C’était de leur faute : trop prudents, ils n’avaient pas osé activer leurs pistons pour passer par la « porte de derrière »!  Alors, le clan embarrassé se tut : elle avait raison, au fond. Dans leur contrat, la clause essentielle, celle du logement, était compromise…  Or, pas d’appartement, pas de mariage, ni de bébé – c’était le deal ! 

Ying conduisit Mei à sa nouvelle vie dans la 4X4 des parents—achetée à crédit, pour confirmer le rang social. Sur un soupir, il repartit sur Changsha. Soulagée, Mei lui promit que la séparation serait courte—ils s’appelleraient régulièrement.

Une nuit, une Mei hors d’elle-même, la voix angoissée, le tira de son 1er sommeil. « Un homme ivre se trouve sur mon balcon, chevrotait-elle, j’ai peur, je suis seule au dortoir, toutes les collègues habitent chez elles »… Zhang Ying s’efforça de la rassurer. Il fallait dormir. Mais après l’étrange appel, Ying eut du mal à se rendormir, tant le traversaient 100 soupçons bizarres : n’aurait-elle pas monté toute cette mise en scène, à seule fin de lui cacher une liaison ? Au fond de son lit, il voyait soudain d’un autre œil cette femme, sa femme, qu’il connaissait si mal : était-elle bien la compagne loyale qu’il avait cru épouser pour la vie, un rempart face à toutes les tentations, « l’herbe qui résiste au  blizzard » (疾风劲草(jífēngjìngcǎo) ?

Trente jours après, elle l’appela toute en joie, pour lui claironner la nouvelle : l’heureux événement était en route ! Par ce joyeux moment, elle espérait remettre son couple sur ses rails, car entre eux, elle sentait bien, un fossé de froideur n’avait cessé ces derniers temps de se creuser … Donner un bébé à la famille, c’était faire son devoir de femme chinoise, et se mettre au dessus de tout reproche.

Emu par son annonce, Ying lui demanda de rentrer, qu’il puisse s’occuper d’elle et du petit trésor. Le lendemain, après avoir démissionné, elle était de retour à la maison… 

Mei et Ying, enfin assagis, seront-ils prêts au nouveau départ ? Dans une semaine, nous serons fixés !

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1 Commentaire
  1. severy

    Espérons que l’homme ivre du balcon ne lui ait pas mis la puce à l’oreille après avoir trouvé chaussure à son pied.
    Turlututu!

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