Environnement : Drame de Tianjiayi : un air de déjà-vu

Au port industriel de Chenjia, dans le district de Xiangshui, près de Yancheng (Jiangsu), l’explosion le 21 mars de l’usine Tianjiayi creusa un cratère de 170 m de large par 2m de profondeur, sema la ruine 3km à la ronde, et fit 78 morts, 640 blessés. Le complexe produisait une trentaine de produits intermédiaires de la teinture ou peinture.

L’enquête du ministère de gestion des Urgences, est en cours. En attendant les résultats, certains avancent que la catastrophe aurait été causée par l’explosion d’une citerne de 4000 m3 de gaz naturel liquéfié (GNL). Quant au détonateur, une rumeur évoque la proximité d’un incinérateur, l’autre d’un recyclage de déchets dangereux, comme ces solvants susceptibles d’autocombustion au dessus d’une température de 10°C.

Des barrages ont été dressés pour contenir sur site l’eau polluée (18.000 tonnes étaient déjà pompées 72h après le drame). Les journalistes ne furent pas autorisés à pénétrer – ils en furent réduits à s’inspirer des papiers de l’agence Chine nouvelle, tandis que sur les réseaux sociaux, tout témoignage était gommé.

Sur place, les usines locales assiègent les centres de recyclage environnants pour leur confier leurs déchets avant l’arrivée des inspections volantes. Quant aux dirigeants de Tianjiayi, ils sont en prison, l’Etat ayant de vieux comptes à régler avec l’entreprise. En 2017, le directeur prenait 18 mois avec sursis pour non-traitement de 120 tonnes de déchets. En 2018 pour 13 infractions sécuritaires, l’usine écopait de sept mois de fermeture – mais sans s’arrêter. Selon la presse, ses licences n’étaient plus valides depuis 2016.

Après l’accident, une campagne vigoureuse s’ébranle à travers le Jiangsu, province fer de lance de la chimie nationale avec 4,500 compagnies. Sur Xiangshui, le PIB est passé de 1,5 milliard de $ en 2009 à 5,2 milliards en 2018, généré par trois parcs assurant 90% de ses revenus. Le 5 avril, les autorités annonçaient la fermeture définitive du parc de Chenjiagang.

Choisi pour son emplacement en bord de mer Jaune qui facilitait le transport maritime, le site de Chenjia avait été ouvert en 2007 sans planification sérieuse. Le transport du GNL, matière première et énergie, se faisait non par gazoduc mais par noria de camions-citernes. Non retraités, les déchets atterrissaient plus souvent qu’à leur tour en décharges sauvages. L’usine s’était montée beaucoup trop près des zones habitées, à 500m d’un village et 2km de la première école, dénonce Ada Kong, de Greenpeace. Les habitants surnommaient le parc la « bombe à retardement ». Peng Weiguo, ingénieur ayant travaillé sur le site, déclare que les dangers étaient bien connus des autorités qui fermaient les yeux. Une situation gagnant-gagnant : les cadres atteignaient leurs objectifs de croissance leur assurant une promotion, tandis que les patrons s’enrichissaient, invariablement prévenus des inspections. Les ouvriers eux, se taisaient au nom de la paie supérieure de 35% à 50% à d’autres secteurs— le salaire de la peur. Ren Guanying, 58 ans, ouvrière dans le parc dès son ouverture, avait échappé à l’explosion de 2007 (ayant fait 7 morts) et à la fuite supposée de chlorine de 2010. Cette fois, elle n’a pas réchappé à l’accident du 21 mars.

Ce énième accident industriel a donc un goût de déjà-vu. En 2005 dans le Dongbei, l’explosion d’un complexe pétrochimique de la CNPC provoqua un déversement massif de benzène dans la Songhua. Dernière catastrophe majeure en date : l’incendie gigantesque au port de Tianjin en août 2015, en zone des produits dangereux, coûtait la vie à 173 personnes, suite à quoi 25 cadres et 24 dirigeants étaient condamnés à de sérieuses peines de prison.

Pourtant, selon un professionnel, la Chine, dans sa gestion de la sécurité, exerce un contrôle parmi les plus sévères au monde sur les usines de recyclage étrangères, avec brigades volantes constantes, exigence de réseau vidéo sur toute entrée et sortie de produits dangereux, surveillée en temps réel par les pompiers, et rédaction de rapports très fréquents et très détaillés. Les risques d’accidents se trouvent sur deux points de la chaine : lors du stockage excessif de produits dangereux des usines de fabrication (comme lors des accidents de Tianjin et de Xiangshui), et de déchets dangereux dans des centres de recyclage qui en acceptent plus qu’ils ne peuvent retraiter.

C’est sans compter l’extrême rentabilité de l’activité, entraînant corruption et lobbying. Ainsi, suite à la catastrophe de Tianjin, une loi de sécurité des produits dangereux est en chantier, visant à encourager le « changement systémique des pratiques ». Mais elle reste depuis quatre ans en discussion, freinée par les lobbies du secteur.

Selon Chen Jining en 2015, alors  ministre de l’Environnement, il y avait 25.000 usines chimiques à travers le pays, et 700 parcs chimiques. Ainsi, surveiller toutes les usines est une gageure.

Comme solution, le ministère des Urgences veut croire, le 28 mars, à l’efficacité des blockchains, des « big data » et de l’intelligence artificielle, pour suivre sur tout le territoire, en temps réel, les étapes d’acheminement, de transformation, de recyclage.

Le Président Xi Jinping a récemment réitéré l’exigence de ne pas sacrifier l’environnement et la sécurité à la croissance. Pour ce faire, il faudra bien plus que des mesures « emplâtres », mais plutôt une radicale remise en question des pratiques.

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