Monde de l'entreprise : Le temps des eaux troubles

Le temps des eaux troubles

Depuis 18 mois, le monde chinois des affaires se voit plongé en un maelström de courants contradictoires : campagne anti-corruption exacerbée par l’approche du XIXe Congrès, ralentissement de la croissance, méfiance du consommateur, fortes masses de crédits « gris » à l’affût de projets où se fixer.

Ce jeu de forces explique la métamorphose constatée parmi un grand nombre de firmes chinoises, forcées à se réinventer et oser tenter des sorties vers des voies inexplorées. La faim chasse le loup du bois.

Numéro 2 de la téléphonie, China Unicom annonce le 10 avril une émission pour 4,3 milliards de $ en parts « A » (réservée aux investisseurs nationaux). Depuis décembre 2016, China Unicom fait partie d’un programme pilote incluant cinq autres consortia publics, dont China Eastern, China Southern Power Grid, et la CNECC (China Nuclear Engineering and Construction Corp), destiné à réformer leur structure propriétaire en faisant entrer dans leur capital des groupes privés.

Présidé par Wang Xiaochu, ce géant de 265 millions d’usagers est à 76% propriété de l’Etat. China Unicom est le premier de la liste à subir cette privatisation partielle : un choix en partie induit par ses lourdes pertes en 2016, soit 94% des profits, à 625 millions de ¥. Depuis, le groupe cherche à renouer avec la gagne : 45 milliards de ¥ ont été épargnés en fonctionnement en 2017, dont 17 milliards pour le futur réseau 5G. Unicom espère vendre ses parts-A à Tencent, Alibaba et/ou Baidu, détenteurs de services internet complémentaires de sa téléphonie. Mais l’essentiel, dans cette réforme, doit être la capacité future d’Unicom à intéresser le personnel par des stock-options, à recruter et congédier sans pressions du Parti.

Le 24 mars, Huishan, le laitier du Liaoning, perdait 90% de sa valeur en bourse. La nouvelle faisait effet d’une bombe, pour un groupe existant depuis plus de 60 ans, valorisé à 21 milliards de ¥, aux 23 fermes géantes (200.000 vaches). Mais sa dette cumulée s’élevait à 40 milliards de ¥. En décembre, Muddy Waters, de San Francisco, l’accusait d’avoir truqué sa comptabilité. Huishan était mis en faillite fin mars, faute de rembourser un emprunt de 200 millions de $.

Le sort de Huishan expose le problème du rapport malsain des firmes à leurs pouvoirs locaux. Huishan vivait dans un cocon régional où banquiers, politiciens et industriels pratiquent le soutien mutuel, sans surveillance d’une tutelle ni d’un organe interne. Certain de ses appuis financiers, son PDG Yang Kai, investissait tous azimuts : élevage laitier, immobilier, énergies renouvelables, et en bourse. En faillite, Huishan doit 1,35 milliard à Jiutai, banque rurale, et 3,3 milliards à la Banque de Chine. De longue date, Huishan a ouvert son « comité de crédits » pour drainer l’épargne et garantir de nouveaux emprunts. Il n’est pas le seul : la Chine compte 12.836 comités de crédits qui cumulent 14 850 milliards de ¥ de dettes (2150 milliards de $), dont une fraction irrécupérable.

Cette situation, nationale, inquiète le Conseil d’Etat qui tente de faire le grand nettoyage de sa finance : dans les assurances, Xiang Junbo, président de la CIRC (commission de tutelle) est mis sous enquête pour « sérieuses infractions à la discipline ». Le terme se réfère moins à une corruption, qu’à l’imprudente pratique d’avoir laissé les assurances investir en bourse, dans des placements dangereux de type « montagnes russes », incompatible avec le style « bon père de famille » du secteur que Pékin doit à présent assagir.

Dans la banque, de même, Guo Shuqing, patron tutélaire ordonne des audits internes, pour vérifier l’état du risque et de conformité aux lois.

Pour Huishan, le sauvetage pourrait venir de Mengniu, le leader national. Lui aussi a perdu de l’argent en 2016 – mais il ne peut repousser  la consigne du Conseil d’Etat. De plus, pour reprendre ce rival en faillite, les conditions devraient être très avantageuses.

Ailleurs Fosun, société d’investissement, voit se retirer un de ses cofondateurs, Liang Xinjun, « pour raison de santé ». En même temps, le groupe freine sa boulimie d’acquisitions hors frontières. Depuis 2010, le groupe a réalisé 130 achats mondiaux pour 38 milliards de $ – une banque portugaise, la maison de couture grecque Folli Follie, le Studio-8 à Hollywood, le Club Med ou le Cirque du Soleil. En mars encore, il tentait de reprendre les parkings automobiles néerlandais Q-Park pour 2,4 milliards de $, mais finissait par jeter l’éponge. Il parvient cependant encore à reprendre Paref (Paris Realty Fund), maison française de gestion de fortune au patrimoine de 176 millions de $.

Après le départ de Liang, les deux autres membres du trio fondateur dont Guo Guangchang (le « Warren Buffett » chinois) assurent vouloir poursuivre la stratégie de croissance par acquisitions mais avec moins de fougue, et en menant un désendettement parallèle. De 57% en 2016, la dette du groupe à moyen-long terme est passée à 65% en 2017. Il est temps de se prémunir d’un crash, toujours possible.

En industrie ferroviaire, Full Hill (Hong Kong) rachète deux groupes allemands et un brésilien de production de bogies. C’est afin d’apporter en Chine une concurrence longtemps attendue à Zhibo, JV sino-italienne détenant 80% et dictant les prix.

CRRC le consortium d’Etat emporte un contrat de 69 wagons de métro pour la ville de Nagpur (Inde), assorti de 10 ans de maintenance.

Ces deux dernières affaires manifestent l’inexorable montée en puissance de la Chine sur le marché ferroviaire mondial, en lien avec sa stratégie émergente de « une ceinture, une route » (OBOR). La menace n’a pas échappé aux concurrents Siemens et Bombardier, qui négocient une fusion de toutes leurs activités ferroviaires, en une JV dont le chiffres d’affaires combiné s’élèverait à 16 milliards de $ – soit la moitié de celui de CRRC.

 

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