Politique : Petites chroniques des « Deux Assemblées »

Sous un ciel d’azur qui se maintint précisément durant les 10 jours des « Deux Assemblées », la 12ème session du Parlement (ANP) clôtura ses travaux le 15 mars, deux jours après celle de l’Assemblée consultative (CCPPC).

Xi Jinping, « superstar »

Le 15 mars, jour de clôture de l’ANP, le rapport sur la performance du pouvoir du Président Xi Jinping (incessamment déclaré ‘Camarade Xi, cœur du Parti’) ne reçut que 14 voix « contre », sur 2838 votants—seulement un septième du score dont avait été gratifié Hu Jintao en 2013.

Surpuissant, Xi prépare le XIXème Congrès et laisse planer le doute sur le choix de son successeur, à l’issue de son second quinquennat en 2022. Comme pour éviter toute imputation de favoritisme, il s’est gardé de se montrer dans les salles du Guizhou, du Guangdong et de Chongqing, fiefs respectifs des hommes en lice.

D’ailleurs, selon un Général d’infanterie de l’APL, Xi se prépare à parader le 1er août, pour le 90ème anniversaire de l’Armée, en tête d’un grand défilé qui mettra en valeur le n°1 du pays, du Parti et de l’Armée, à quelques semaines du Congrès.

Li Keqiang jusqu’en 2022 ?

Quant à Li Keqiang, Premier ministre dont chacun se demande s’il sera reconduit pour la période 2017-2022, ou relayé par Wang Qishan, (Président de la commission centrale de discipline, très proche de Xi), il confirma un objectif de PIB pour 2017 le plus bas des trois dernières décennies—6,5% « voire plus si cela se peut » et conclut d’une manière sibylline, par cet adieu à l’auditoire : « à la prochaine, si cela se présente » !

Voix critiques

De rares voix critiques s’élevèrent contre le contrôle excessif de l’opinion.

À la CCPPC, Cui Yongyuan, ex-animateur vedette de la TV et militant anti-OGM, dénonça (10 mars) la cybercensure, lui reprochant de n’être utile ni au Parti, ni au gouvernement.

Yu Minhong, PDG de New Oriental (groupe qui envoie tous les ans des milliers d’étudiants en Amérique) qualifia de « stérile » la campagne contre les « fausses valeurs occidentales » dans les écoles.

Luo Fuhe, vice-Président de l’ANP et n°2 de l’Association pour la promotion de la démocratie (un des 8 mini-partis entretenus par le système) dénonça la Grande Muraille de feu de l’internet, comme « excessive et nuisible » au développement économique, à la recherche scientifique.

Liu Binjie, du bureau de l’ANP, ancien président de la GAPP (Administration Générale de la Presse et du Livre) plaida pour une nouvelle loi qui allégerait la censure sans l’abolir, et concilierait mieux intérêts sécuritaires de l’Etat et protection des libertés de parole et d’échange garanties par la Constitution.

Censure et portes fermées

Que de belles paroles… Le problème fut qu’elles restèrent invariablement laissées à l’insu du public, non-publiées.

Le système s’efforça-même de limiter au maximum les échanges. Au Grand Palais du Peuple, le hall d’entrée rebaptisé « Hall des ministres », disposait d’un espace délimité par un cordon rouge, depuis lequel les journalistes pouvaient tenter d’interroger les dignitaires—initiative saluée par la propagande sous le slogan : « de ‘fuir la presse’ à ‘rencontrer la presse’ ».

De plus, divers panels de discussion ne furent ouverts qu’aux reporters chinois : « sciences sociales », « éducation », et les commissions « minorités ethniques » et « religions ». Plus exposés aux risques de sanctions et directement chapitrés, les journalistes chinois risquaient moins de poser des questions gênantes, où d’interroger des personnalités sensibles.

« La dernière chose dont nous aurions besoin, commenta in petto l’attaché d’un candidat au poste suprême, serait l’apparition de nos patrons dans la presse étrangère ». A 8 mois du XIXème Congrès, au cœur d’un processus de sélection de l’équipe politique du prochain quinquennat (2017-2022), pour ces étoiles montantes, la meilleure chance d’assurer leur promotion était de rester dans l’ombre.

NB : On voit ici planer le fantôme de Bo Xilai, politicien ambitieux qui avait l’habitude d’échanger avec la presse étrangère, croyant ainsi donner à ses pairs la preuve de sa capacité à défendre la Chine dans le monde. Or, ce comportement hors-norme avait fini par agacer. Considéré comme déviant, il avait été écarté, précipitant sa chute.

Justice et Code civil

Le préambule du (futur) Code civil, voté le 12 mars, créa le délit de « diffamation des héros et martyrs » pour quiconque se risquant à s’attaquer à leur « nom, portrait, réputation ou honneur », ou mettant en doute tel ou tel haut fait de leur légende.

Dans leur rapport annuel aux deux Assemblées, juge suprême et procureur suprême placent en tête de leur bilan le fait d’avoir fait condamner deux activistes des droits de l’Homme, Zhou Shifeng et Hu Shigen, à 7 ans et 7 ans et demi de prison pour « tentative de subversion ». L’un et l’autre faisaient partie des 300 avocats du cabinet Fengrui raflés le 9 juillet 2015.

Ces Bureaux du juge et du procureur suprêmes se trouvaient être, année après année, les mal-aimés des Assemblées, sanctionnés lors des votes du plus grand nombre de voix « contre ». Mais en 2017, année des promotions du prochain quinquennat, les magistrats ne pouvaient se permettre un tel désaveu.

En montant en épingle leur fermeté contre la dissidence, juge et procureur avançaient donc un argument que les édiles ne pouvaient pas ne pas soutenir. Au moment du scrutin électronique, ils virent leurs voix négatives fondre à 180 voix, c’est-à-dire au tiers et au quadruple des scores récoltés en 2013 sous Hu Jintao.

Armée

Tout va bien pour l’APL, qui a obtenu 7% de hausse de budget, franchissant la barre des 1000 milliards de yuans. Xi Jinping désire qu’elle fasse plus d’efforts d’équipement et de recherche en technologie, en collaboration avec l’univers civil.

Une bonne nouvelle, donnée par Chen Xiangbao président d’un institut des matériaux aéronautiques, est la mise au point « proche » d’un réacteur d’aviation autochtone—jusqu’à présent, la Chine dépend de la Russie pour la propulsion militaire, de l’Occident pour celle civile. Ce sera la première percée pour l’AECC, méga-groupe fusionné en septembre 2016. Autre développement encourageant pour « notre nouvelle grande muraille » la marine de guerre recrute et forme à tour de bras, pour quintupler ses effectifs à 100.000 combattants embarqués, en 6 brigades, en plus des 235 000 matelots et membres du personnel à terre. Li Xiaojiang, ex-commissaire politique, voit parmi les missions futures, un déploiement de ses bases entre Djibouti (jusqu’à 10.000 hommes) et Gwadar (Pakistan), le maintien de la paix au large de la péninsule coréenne, et bien sûr, le rêve de toujours, la reprise de Taiwan.

Taiwan—le torchon brûle 

« Toute tentative de séparer Taiwan de la patrie restera interdite ». Voici l’avis proféré le 5 mars par Li Ke-qiang, qui dénotait d’une impatience quant à la stagnation depuis 5 ans, de la réunification de l’île à la mère-patrie. Depuis 2016 surtout, après son arrivée aux affaires, la Présidente indépendantiste Tsai Ing-wen n’a pas répété le mantra du « consensus de 1992 », qui aurait reconnu l’existence « d’une seule Chine ». La salve de Li Keqiang en a inspiré d’autres, telle celle de Li Yihu le 11 mars, professeur à Beida qui tonnait contre les « manœuvres dilatoires» taiwanaises et réclamait une date limite de réunification (2021, pour le centenaire du Parti), sous peine d’intervention armée. Une telle option est pourtant impossible pour l’heure, vu la protection contractuellement promise à Taïwan par les Etats-Unis en fait de défense. Miao Wei, ministre de l’Industrie, remarqua que le meilleur moyen de réunifier serait l’investissement et le commerce. Mais sous cet angle aussi, les choses ne vont pas simplement : Zhu Shuping, patron des douanes admet que pour des raisons politiques, 43% des exportations taïwanaises alimentaires ou cosmétiques ont été retournées ou détruites en janvier.

Europe

Si Marine Le Pen remportait en France les présidentielles, qu’est-ce que cela coûterait à la Chine ? Shi Mingde, ambassadeur à Berlin, évoque un risque pesant l’Euro, que la présidente du Front National veut quitter. « Le risque sur nos avoirs en eurobonds a augmenté », ajouta Shi, précisant que « quelque soit le vainqueur, nous avons préparé plusieurs scénarios, et appliquerons celui correspondant au résultat des urnes ». En attendant, Pékin ne manque pas une occasion de soutenir partout en Europe les défenseurs d’un ordre multipolaire, contre le populisme. « Depuis 1957, note Shi, les Européens ont su puiser dans toutes leurs crises, des énergies d’intégration supplémentaires. Mais savoir s’ils y parviendront cette fois encore, après le Brexit, est dur à prédire ».

Voiture électrique

An Jin, patron du groupe JAC (Anhui), révèle que deux agences se disputent sur le futur régime de quotas de production aux constructeurs automobiles. La NDRC, chef d’orchestre de l’économie, veut dès 2018 les forcer à produire 8% de véhicules électriques ou hybrides (12% en 2020), et de devoir racheter en bourse des droits pour la part non atteinte du quota. Mais le MIIT, ministère des Industries de l’Information souhaite un régime plus souple, estimant le secteur encore incapable de suivre un tel rythme. Mais la NDRC insiste : les 8% dès 2018 seraient sine qua non pour conserver le rythme de « décarbonisation » du parc auto chinois, et le déphasage progressif des primes.

Education

En quête de louanges, le ministre de l’Education Chen Baosheng s’autocritiqua face aux élus, sur la médiocrité des cours politiques et l’indifférence des étudiants. Les modules étaient  « dépassés », et « l’emballage, vieux jeu ». Ce qu’il fallait transmettre aux jeunes, était le corpus des « valeurs fondamentales du socialisme à la chinoise », la « culture traditionnelle » et la « culture socialiste avancée ».

Ces propos vont de pair avec l’annonce récente d’une inspection politique en cours, dans les universités de pointe du pays. À rapprocher aussi des restrictions juste annoncées sur les livres étrangers pour enfants (tels Winnie l’ourson ou Babar), traduits en chinois. Vu l’engouement des parents pour de belles histoires, la Chine publie 40.000 titres par an, dont bon nombre sont conçus hors frontières. C’est le segment de l’édition chinoise le plus rémunérateur. Mais la Chine redoute toujours l’influence de l’Occident.

Les thèmes « oubliés »

Parmi ceux-ci figurent la super-agence anticorruption aux pouvoirs étendus, devant entrer en fonction en 2018 et qui serait prête ; le système de crédit social (de notation) pour toute personne physique et morale, et conditionnant l’accès à différents types de métier ou d’avantages sociaux, prévu pour 2020 ; la disparition énigmatique à Hong Kong d’un milliardaire chinois (trop) proche des couches supérieures de la nomenklatura, et la normalisation rapide des liens avec le Vatican. Autant de thèmes appelés à modifier l’image et le paysage des droits en Chine, mais sur lesquels le pouvoir ne peut envisager à cette heure, de consulter ses édiles.

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En fin de compte, les deux Assemblées ont exprimé à la fois un désir d’ouverture des autorités et des élus, mais en pratique, ce qui se produisit fut un raidissement de la discipline, une limitation du dialogue public. Sans doute inévitable en phase de renouvellement du pouvoir, cette atmosphère exprimait aussi, en filigrane, les luttes de pouvoir derrière le rideau.

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