Minorités : Yinchuan, future Mecque … du commerce

Rêvant de redéployer sur le monde islamique sa puissance  commerciale dans le cadre du plan « une ceinture, une route » , la Chine a bien perçu l’obstacle n°1 : un déficit d’image. Elle a donc ressenti le besoin de se créer un carrefour de prestige qui parle à ces populations levantines, une réalisation qui évoque les valeurs musulmanes mais qui soit surtout son tremplin commercial à destination de l’Islam d’Asie du Sud-Est et du Moyen-Orient.

Pékin d’autre part, n’oublie pas cet autre problème urgent, accélérer le rattrapage de ses provinces du Centre et de l’Ouest, qui accusent un net retard de développement par rapport aux provinces de la côte. 

Enfin, voire surtout, le pouvoir central cherche un accommodement, un dialogue avec son turbulent islam intérieur : il doit faire de ces croyants, des citoyens et des patriotes, pour mettre fin aux attentats et au rêve de califat soutenu par les pays « -stan » d’Asie Centrale.

Ensemble, ces considérations l’ont conduit il y a deux ans à un programme, sur lequel il communique peu, mais en dizaines de milliards de yuans pour  réaliser d’un coup les trois objectifs. Le grand bénéficiaire est le Ningxia, petite province enclavée (66.000km²) au 3ème PIB le plus bas du pays. Sa capitale Yinchuan d’1,9 million d’habitants est le fief de la minorité Hui, musulmans modérés et de langue chinoise (34% du Ningxia). La paix sociale de cette capitale l’a faite préférer à Urumqi ou Kashgar, dans un Xinjiang toujours prône aux violences, pour accueillir le nouveau concept : créer en Chine une Mecque laïque, point d’attraction des touristes et des hommes d’affaires musulmans du monde.

Ces dernières années, Yinchuan s’ est dotée d’une poignée d’édifices à l’architecture futuriste, hôtels de luxe, musée d’art contemporain (où démarre à l’automne sa Biennale, avec le curateur Indien Bose Krishnamachari). L’aéroport n’en finit pas de grandir, escale des transporteurs chinois, mais aussi d’Emirates, de Korean Air ou de Etihad, avec de liaisons futures vers Kuala Lumpur, Amman (Jordanie), et un second terminal qui s’achève…

À coups d’investissements de l’Etat central, la ville tente de se faire un nom dans les événements internationaux, lançant ou préparant cette année son Aircraft Industrial Base, sa Silkroad commodity fair (30 juin – 3 juillet), ou sa Smart-City Infocus 2016 programmée pour septembre en collaboration avec le groupe ZTE.

Le projet central est la World muslim city (« ville mondiale musulmane »), genre de parc à thème mahométan sur huit hectares, qui aura coûté 3,15 milliards d’euros à l’achèvement des travaux en 2020. Il reproduit à l’identique des emblèmes du monde islamique telle la mosquée bleue d’Istanbul, le Taj Mahal indien (ancien palais d’un maharaja musulman), ou un « palais doré » issu de l’imaginaire des Mille et Une Nuits – le célèbre roman inspire aussi un spectacle son et lumière mettant en scène « Afanti », la réplique chinoise d’Alibaba.  Nombre de restaurants offrent des spectacles danses du ventre et pour quelques dizaines de yuans, on peut louer un costume traditionnel islamique, djellaba ou sarouel pour les hommes, abaya pour les femmes –longue tunique voilant leurs corps du cou aux poignets et aux chevilles. Mais le Niqab (voile intégral) est interdit.
En dépit des mosquées vibrantes de ferveur– y compris celles réservées aux femmes, avec des imam féminins, une spécificité chinoise – l’investissement vise une relation laïque, en évitant tout accent religieux. Le Palais des Congrès (cf photo) est là pour les affaires, dont le haut lieu est le Salon sino-arabe, tenu chaque année depuis 2010.

Autre investissement public : ces zones industrielles flambant neuves, tel le Parc Halal de Wuzhong à une heure de route de la capitale provinciale. Ici, les subventions pleuvent sur les PME alimentaires, pourvu qu’elles inscrivent sur leur produit l’inscription « halal », c’est-à-dire, conforme aux normes rituelles du Coran. L’ambition chinoise est de prendre sa place sur le marché alimentaire islamique global –1,6 milliard de consommateurs et de réparer une étrange anomalie. De Tunis à Medina, on achète tout chinois, du vélo à l’ampoule électrique – tout, sauf l’alimentaire.
Et pourtant, ce marché mondial halal est promis à la plus forte expansion à court terme : d’un chiffre d’affaires de 1100 milliards de $ en 2015, il doit passer à 1600 milliards en 2018-  du fait de la démographie et de l’enrichissement rapide de ces pays. Mais de ce pactole, la Chine ne reçoit que 0,1%, contre 5% à la minuscule Malaisie. Zhang Zhongyi, patron du second groupe halal de Yinchuan, expliquait dès 2014 : « si nous parvenions à nous implanter à la Mecque, nous pourrions obtenir la confiance de tout l’Islam »…
Mais le problème est bien là, dans la méfiance latente. D’ailleurs, pour être clairs, la « World Muslim City » de Yinchuan, elle-même, ne parvient guère à attirer davantage que les diplomates et industriels des nations islamiques invités ou subventionnés par la Chine : la colle ne prend pas.

La raison demeure une mauvaise image. Sous l’angle du halal, la certification locale ou nationale demeure contestable. Un scandale a fait beaucoup de dégâts à Xi’an en 2012, où 18 tonnes de viande de porc avaient été saisies, parfumées et vendues pour du bœuf. Des abattoirs de volaille procèdent de même, sans respecter le rite prescrit par le Coran.

Le plus important reste la nervosité des administrations locales qui tentent de régenter l’accès aux mosquées et la pratique du Ramadan – le jeûne est limité réglementairement à une fraction des fidèles, et interdit aux autres (cadres, enseignants, mineurs…). Partout dans le monde musulman, la Chine se retrouve barrée, dans sa propre campagne de séduction, par ses tracasseries auprès de 23 millions de fidèles de Mahomet. L’opération de charme trouve ici ses limites : il est difficile pour un monde musulman, de croire aux appels souriants d’un régime qui se trouve être athée par ailleurs, voire hostile à sa foi.

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1 Commentaire
  1. severy

    Pour attirer des visiteurs musulmans, la Chine pourrait ouvrir un parc d’attraction ayant pour thème les personnages des histoires tirées des récits des Mille et Une Nuits et des ouvrages y apparentés (Sinbad, etc.).

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