Petit Peuple : De’e – La seconde vie volée de Yang Liujin

Pour ses premiers jours à De’e (Guangxi) en 2000, Yang Liujin pouvait sourire, voyant autour de lui les visages de ses parents et grands-parents. Mais au-dessus du berceau, une sorcière était en train de lui jeter un mauvais sort !

Dès l’âge de 6 ans, le philtre maléfique se mit à agir : son père -rempart du clan, principale source de revenu – décéda. Puis en 2007, sa mère retrouvant un mari, se sauva abandonnant Liujin—telle avait été la condition draconienne de cet homme doté d’une pierre en place de cœur, pour daigner lui passer la bague au doigt.
Dès lors, le foyer commença à dépérir. Incapables de subvenir à leurs propres besoins, les grands-parents, s’éteignirent l’un après l’autre. À 10 ans, Liujin rejoignait les rangs des 712.000 orphelins du pays, sans aide de quiconque.

Seul Yang Qulin, cousin éloigné, lui dispensait une aide avare : 10 yuans par semaine, et c’était tout. Le reste du temps, l’enfant errant se nourrissait de baies cueillies, de fruits chapardés dans les vergers, ou de goujons pris à la nasse –pêche bien aléatoire. Souvent, il s’endormait ventre creux. Quand la faim le tenaillait au point de défaillir, une voisine lui portait –trop rarement- un bol de riz, histoire de se donner bonne conscience.

Quand il était rassasié – donc rarement- il allait à l’école. Comme il n’a-vait jamais d’argent pour payer le maître, ce dernier le laissait croupir au fond de la classe. Oublié, il vivait en pointillé, presque transparent.

Sa chance vint de la TV du Guangxi dont un reporter, ayant eu vent de sa misère, pressentit le scoop national, et la bonne action que ce sujet lui of-frait. Avec son cameraman et son perchiste, il suivit le môme dans ses gamberges nourricières, et lui fit raconter sa vie d’errance et misère. 

 Sur antenne le 23/05, l’émission dépassa les rêves d’audience les plus fous. Dans les heures qui suivirent, les dons affluèrent – 5 millions de ¥ au total. À Shenzhen, Cambridge International Institute, une école privée de haut vol lui offrit même une place gratuite. A 14 ans, c’était pour Liujin la chance d’un nouveau départ ! 

Mais ne s’avouant pas vaincue, la sorcière veillait : le cousin, l’école, les ronds de cuir de la protection de l’enfance du Guangxi, se réveillèrent, avides de palper leur part du magot. 15 jours après l’entrée de l’adolescent au pensionnat, la horde déboulait. 

Avec le principal du Cambridge International Institute et la police, ils discutèrent. Or, il fallut vite constater que ces rapaces avaient indéniablement le droit pour eux. Le cousin Qulin était tuteur légal. Pour « gérer la donation » à sa guise, il exigeait de ramener Liujin au Guangxi. Et ce n’était pas l’ancien maître de De’e qui allait le contredire : « Liujin, ergotaient-ils, n’a pas reçu son exeat de sortie : il nous appartient ! » A tel discours, hélas pour Liujin, le proviseur de Shenzhen n’eut rien à répondre… 

Yang LiujinAussi Liujin en pleurs (cf photo) fut arraché aux bras de ses nouveaux camarades et de la direction du Cambridge Institute, navrée. Une lueur d’espoir revint, quand un avocat du nom de Lu Chenggang s’en vint plaider sur internet, où un vaste débat déferlait sur Liujin : mineur certes, l’enfant, en droit chinois, n’avait pas sa liberté de décision, et en l’absence de parents, le cousin Yang Qulin était bien le mieux placé pour exercer la tutelle. Mais au fait, la mère, où était-elle ? Et si elle se déclarait volontaire pour reprendre son fils avec sa fortune, alors toute l’arnaque tombait à l’eau ! Cousin, directeur d’école et apparatchiks pouvaient dire au revoir au magot du môme… 

Hélas, l’histoire s’arrête là… Qulin ramena le petit à De’e, pour profiter de ce bien mal acquis. 

Reste en contrepoint, un long filandreux débat sur le rôle de la pres-se : pouvait-il dépasser celui d’information pour entrer dans un rôle charitable ? Au moins doit-on espérer qu’avec tout cet argent, la destinée de Yang Liujin soit à présent assurée.

Pour positiver, le jeune Liujin pourrait bien avoir besoin du proverbe : 塞翁失马 (sàiwēngshīmǎ « le vieux de la montagne a perdu son cheval ») – « dans tout malheur, il y a du bon » ! Tout comme les milliers de donateurs, furieux de voir leur obole tomber dans la poche du cadre véreux, du cousin égoïste. Une fin bien peu morale, à un conte qui avait si bien commencé !

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