En dépit du ciel bleu sur Pékin ( rare ces dernières semaines), l’ouverture du 2ème session de la 12ème Assemblée Nationale Populaire (ANP) le 5 mars, manqua de sa bonhomie habituelle. Les délégués se prenant en photo (voir notre blog) sur le perron du Grand Palais du Peuple, quelques uns en tenues ethniques, ne purent cacher la nervosité ambiante. Témoins, les policiers et leurs chiens, les pompiers et leurs extincteurs… Vers 11h sur la place Tian An Men, un début d’incendie était maîtrisé : la tentative d’immolation d’une femme d’environ 40 ans, évacuée sur le champ par les forces de l’ordre.
Impossible d’éviter le lien avec l’attentat ouïghour en gare de Kunming 3 jours plus tôt (cf article dans ce numéro). L’ANP avait d’ailleurs ouvert sa session par une minute de silence en mémoire des victimes…
On attendait beaucoup du discours de Li Keqiang, l’auteur du programme économique et social de l’équipe au pouvoir, champion de la réforme tous azimuts. Mais force est de constater un genre de tournant, dans ce «rapport sur l’état de l’Union ». Li Keqiang n’est pas dans une phase triomphante, ni fortement soutenu. Depuis 6 mois, notamment face à Liu Yunshan, il se serait trouvé si durement critiqué, qu’il aurait dû s’astreindre à des séances d’autocritique devant les instances du Parti. Tous ses amis de la Ligue de la Jeunesse (front réformiste) sont mis sur la touche de la même manière. Dans un climat si défavorable, Li Keqiang a dû mettre dans son discours, bien plus d‘idées de la majorité au Comité Permanent, que des siennes.
Le poids accordé à l’armée est impressionnant, confirmant la volonté d’affirmation, surtout face au voisin nippon. L’Armée populaire de libération (APL) reçut un budget de 132 milliards de $ (+12,2%), la plus forte hausse depuis 2011. L’effort ira à la marine, à l’aéronavale et à la recherche de systèmes d’armes high-tech. Mais les experts estiment les moyens offerts à « notre nouvelle Grande Muraille » bien plus élevés (proche des 200 milliards de $). Li Keqiang précise que l’armée, en 2014, renforcera sa nature « révolutionnaire » et sa « force de frappe dissuasive… à l’ère cybernétique ». La Chine « défendra les fruits de la victoire de la Seconde Guerre mondiale, l’ordre international de l’après-guerre, et s’opposerait fermement à tout acte allant à rebours de l’histoire ». Autant d’avertissements qui font qu’aucune concession n’est à attendre dans le conflit qui l’oppose à Tokyo.
Au reste, Li Keqiang confirme le cap de réforme économique. Par resserrement du crédit, il veut habituer provinces et consortia publics à un train de vie frugal. Le pouvoir garde un objectif de croissance voisin de celui de 2013 : PIB à 7,5%, inflation de 3,5% chômage urbain à 4,6%, moyennant 10 millions d’emplois créés. L’emprunt public serait de 1750 milliards de ¥, dont 400 milliards pour le compte des provinces. Les investissements publics feront 457,6 milliards de ¥, en projets hydrauliques, ferroviaires et en énergies nouvelles.
Côté « démocratie », quasi rien, excepté cet espoir d’un « système à acteurs multiples et respectueux des lois ».Li Keqiang déclare la « guerre à la pollution », avec quelques moyens tels ce programme d’équipements en filtres des différents types de centrales thermiques et le remodelage des prix de l’énergie, désirant ainsi faire baisser l’intensité énergétique de 3,9% en 2014.
Enfin, en diplomatie, grande incertitude : que faire de la tentative par V. Poutine d’annexer la Crimée ukrainienne, profitant de la faiblesse des voisins occidentaux ? Pékin hésite, entre un accord éphémère passé avec B. Obama (06/03) réclamant ensemble un « respect de l’intégrité du territoire », et (07/03), un « respect des droits et intérêts légitimes de tous les groupes ethniques ukrainiens », qui semble être la ligne prévalente désormais. C’est dangereux : pour soutenir Moscou, Pékin renonce de facto à son principe de non-ingérence dans les affaires d’autres nations, au risque de voir se produire demain une crise du même type dans ses turbulentes provinces de l’Ouest, et l’Ukraine, la rayer de la liste de ses pays-amis. Mais sur ce dossier brûlant, Xi Jinping n’a pas encore dit le mot de la fin.
Sommaire N° 10 - Spécial Parlement