Editorial : Auto : la « E-voiture » sous les fourches caudines chinoises

Premier producteur auto mondial (17M d’unités en 2010), la Chine se distingue par une forte directivité de l’Etat – mais pas toujours dans les mêmes directions.

En 2010 encore, l’Etat subventionnait les ventes dans le monde rural. Puis en janvier, la prime était abolie. à présent, le nouveau mot d’ordre semble être «halte aux gros volumes, sus à la qualité». Cet été, le Président Hu Jintao instruisait Guangzhou Auto de renforcer la technologie de ses modèles. L’objectif est de porter les marques locales à un niveau de qualité mondial et le faire sur un marché encore neuf et à prendre: la voiture électrique. Un simple détail permet de réaliser le sérieux absolu de la démarche : l’export de « E-voitures » vers les USA est banni pour cinq ans, dans l’attente d’une montée en qualité.

Lors d’un forum sous l’égide des ministères concernés (4-5/09, Tianjin) Su Bo, n°2 du MIIT (Ministère des Industries et des technologies de l’Information) présentait aux constructeurs les perspectives de ventes pour 2011. Celles-ci devraient plafonner à 19millions, soit 3 à 5% de hausse, coupant net la «chevauchée fantastique » de 2010 (+33%).

Le Conseil d’Etat réagit en urgence, car il s’agit de forcer un changement systémique. En 2030, la Chine pense atteindre 375millions de voitures, et 70% à énergies nouvelles.

Dans l’immédiat, d’ici 2013, la production va quasi doubler, à 31millions de voitures, mais presque toutes à motorisation conventionnelle, ce qui révèle cruellement son inadéquation aux objectifs gouvernementaux chinois.

Malgré des normes sévères, les gaz d’échappement causaient en 2007, selon la Banque Mondiale, entre 0,3 et 0,4millions de morts/an. En dépit d’une répression accrue de l’ivresse au volant et des excès de vitesse, le nombre des morts sur la route explose -  « 63.000 » en 2010, selon le Ministère de la sécurité publique, plus proche de 200.000, selon l’Organisation mondiale de la Santé. Le chiffre global des accidents étant de 3,9millions (+36%). Un coût social insupportable ! La qualité de voitures locales est aussi en cause, telle la QQ (Chery) aux tôles «papier à cigarette».

Enfin ces milliers d’immatriculations par jour pèsent sur l’import de pétrole. Pour Pékin, qui finance à 50% le carburant, se profile pour l’avenir, un «tonneau des Danaïdes» budgétaire.

Si les villes sont aveugles à ces dégâts, c’est grâce aux formidables retombées du secteur auto : les millions d’emplois directs (garages, assurances) et ceux tirés de la mobilité (tourisme, hypermarché, emploi pendulaire).

Pour réduire l’appétit chinois en voitures, l’Etat dispose de divers leviers : la fin définitive des primes; la généralisation des quotas de plaques (à Pékin, en 2011, baisse de 80% du quota 2010) ; des normes contraignantes d’ici 2015 ; des subventions pour voitures peu gourmandes, annoncées à Tianjin par Xiang Dihai (Directeur du développement éco au ministère des Finances).

Le plan «voitures à énergies nouvelles» n’est pas encore sorti mais a été pré-dévoilé aux constructeurs.

Il vise à forcer le transfert d’au moins une des trois technologies des nouvelles énergies (cellulaire, hybride et électrique) : celle des moteurs, de l’électronique et du stockage (batterie ou réservoir à hydrogène). A cette condition, la voiture étrangère bénéficierait de la prime à l’achat de 19 300 $, ce qui réduirait de presque 50% le prix de la Volt, que General Motors veut exporter d’ici décembre.

Inévitablement, les étrangers réagissent en ordre dispersé, selon leur avancement dans la recherche. GM discute. Ford se dit d’accord. PSA attend. Nissan prétend refuser, mais prépare une tout-électrique pour 2015 sous la marque du partenaire DongFeng.

Ce coup de force chinois ne va pas de soi pour ces groupes, ayant misé une bonne part de l’avenir dans les énergies nouvelles, et pour les Etats, aux abois devant la crise, prêts à défendre bec et ongles ce qui leur reste d’emplois industriels. En appliquant encore cette stratégie qui lui a si bien réussi en aéronautique ou en TGV, Pékin pourrait sous-estimer la capacité d’autodéfense des détenteurs des technologies.

Les juristes étrangers semblent unanimes, à croire que ce plan chinois de type « fourches caudines » viole l’Organisation mondiale du commerce (OMC). D’où un risque de désaveu et de mesures de rétorsions des pays lésés. Pour cette raison sans doute, Pékin attend la fin du mois avant de franchir le Rubicon – ou non.

Ailleurs, Etats et constructeurs retiennent leur souffle.

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