Petit Peuple : Shenzhen, le baiser de la vie

Le 11/06 à Shenzhen, Liu Wenxiu, serveuse au Taipan Boutique-Hôtel, prenait selon son habitude, sa pause de 15h sur la passerelle surélevée entourant le carrefour de l’avenue du Peuple.

Ce jour-là, notre serveuse (petite  fourmi parmi des millions d’autres émigrés du Henan ou Hunan, cherchant fortune dans l’Eldorado chinois), détecta quelque chose d’anormal.  D’habitude bondé de badauds et vendeurs tibétains, l’anneau de béton était vide sur une 30aine de mètres, barré par un ruban de nylon fluo derrière lequel vibrait un essaim bleu et rouge de policiers et pompiers casqués.

Un pied dans le vide à 10m du sol, un jeune homme se retenait d’une main à la balustrade, agrippant un poignard de l’autre- comme pour en rajouter à l’aspect dramatique du moment-, tandis que derrière le ruban et en bas, s’agglutinait la faune humaine, dans une attraction morbide.

C’est là que Wenxiu eut la réaction géniale. Furieuse de la passivité hypocrite de ces bonnes gens (qui pour la plupart, attendaient avidement le terrible final), elle décida sur le champ que Ququan (appelons ainsi le désespéré) était son «frère», dont elle empêcherait le sacrifice. Jouant des coudes, elle franchit le barrage, prétextant être son «petit miel» (sa copine) et la cause de tout ce désordre—ils s’étaient disputés. A tout hasard, les policiers la laissèrent passer, flanquée d’une assistante sociale…

Dans la foule, Liu venait déjà d’entendre, répétée, l’histoire de Ququan : pianotant sur leurs iPhones, des gens trouvaient via twitter des témoins pour en accumuler des bribes.

Une fois face à face,  l’intensité de son regard, de son écoute furent telles qu’une simple question suffit à libérer le flot de complaintes du garçon -à 16 ans, Ququan en avait déjà vécu des vertes et des pas mûres. En 2008, sa mère mourait de maladie. Le père se remettait avec une femme qui, prenant Ququan en grippe, en faisait son souffre-douleur. La mégère finit par se sauver, les soulageant de sa présence et au passage, des économies du ménage. Les deux hommes n’avaient plus pour survivre, que des jobs misérables. En plein désespoir, Ququan craquait, il voulait en finir.

Alors au pauvre gars, Wenxiu lui montre son poignet aux plaies encore fraîches : «regarde, fait-elle, j’en suis passée par là moi aussi». Et elle lui raconte sa jeunesse à Benbu (Anhui), les querelles incessantes des parents qui l’arrachèrent à l’école pour la placer, sous-qualifiée, au travail et soutenir la grande soeur sourde-muette ; ses multiples tentatives de suicide au cutter, à la corde, au grand saut. « J’veux pas te sauver la vie, conclut-elle, mais tu fais une connerie, parce qu’après l’orage, vient toujours le beau temps ».

En guise de conclusion, elle profite de sa confusion pour lui coller un baiser langoureux ! Médusé, par reflexe, il l’enlace à son tour de sa main tenant toujours le poignard, ferme les yeux d’extase. Quatre pompiers à l’affût, en profitent alors pour lui sauter dessus…

Fin du 1er acte.

De retour à l’hôtel,-en retard sur sa pause, disputée par le chef-, il ne fallut qu’ une demi-heure à la police pour la rappeler sur son mobile: Ququan refusait de parler à toute autre qu’elle. Ce qu’ils firent donc, par téléphone. Elle lui promit de le rappeler quand tout se serait calmé, pour «l’encourager vers une vie meilleure» –et même plus, si affinités !

Fin de l’acte 2.

Pour illustrer l’aventure, 2 proverbes viennent à l’esprit, tous deux pertinents : 

qíng j í shēng zhì (情急生智, « du désespoir jaillit l’invention ») évoque l’astuce instinctive pour flouer la police, puis prévenir le suicide

X īn zhēn zhá (心如针扎, «  sentir une aiguille en son coeur »), désigne le coup de foudre.

Les deux expressions rendent bien compte de l’aventure, tout en respectant son halo de mystère : Wenxiu a-t-elle agi par amour altruiste de la vie, ou par attirance du garçon ?

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