Petit Peuple : Pékin-Berlin – les vagabonds du ciel

Par son aventure, Gu Yue vient de démentir tout ce que la Chine croyait savoir à propos du voyage : qu’on ne se déplace qu’en groupe, encadré et protégé de l’aventure par la grande muraille ambulante de son unité de travail. Accompagné de Liu Chang, un ami, au prix de 1000 dangers, Gu Yue vient de parcourir en auto-stop les 13.000km entre Pékin et Berlin, pour le simple plaisir de revoir Ica, son amoureuse.

Gu se dit «professionnel» de la route. «Idéologue» serait peut-être un mot plus juste : ce goût du voyage qui le consume, dépasse l’accumulation de kilomètres pour rechercher les échanges avec toute la terre, en quête du sens de la vie. Il connaît par coeur On the road, le récit fétiche de Jack Kerouac qu’il cite dans le texte.

A l’âge de 6 ans, il trompait l’attention de ses parents pour parcourir 10 km dans Pékin, sans se perdre. A 24 ans, il démissionnait de son job envié chez General Electric, pour s’offrir 2 ans de globe-trotter «sur le pouce» à travers 42 pays et 5 continents – apprenant, pour survivre, l’anglais de la route.

Ce dernier périple débuta par 50 jours de palabres malaisés avec 28 consulats. Pour dissiper leur soupçon d’immigration clandestine, Gu joua de la corde sentimentale en montrant aux diplomates la photo de son amie. Une fois les passeports tamponnés, les sacs à dos furent férocement réduits à 10kg pour contenir sacs de couchage, ordinateurs et la camera de Liu, le preneur d’images qui allait filmer les étapes tandis que Gu faisait le reporter. Ensemble, ils produiraient et vendraient à la chaîne locale Travel le 1er feuilleton télévisé de voyage en ce pays.

Partis de Pékin, il leur fallut 110 jours à pied, à cheval (en carriole) et en différents véhicules automoteurs pour atteindre la porte de Brandebourg. Ils franchirent des cols enneigés, d’interminables longueurs de taïga, des villes sombres aux cheminées lugubres. Ils souffrirent la pluie, le froid et l’inconfort de centaines d’heures de jour et de nuit au bord de la piste: moments sombres, compensés par la joie des rencontres avec des gens simples, qui donnèrent tout ce qu’ils avaient pour protéger le rêve fou de ces oiseaux de passage.

A travers le Shanxi, Qiao le routier leur révéla le rêve de sa vie : gagner assez pour offrir une maison à ses deux fils. Au Xinjiang, un camionneur-pétro-lier les prit pour interrompre l’écrasante monotonie de sa tâche, et se délecta du récit de leur existence.

Entre Kirghizstan et Kazakhstan, ils traversèrent l’Asie centrale au moyen de panonceaux en cyrillique, qui à défaut d’argent, promettaient des sourires et des cigarettes.

Dans les montagnes de Géorgie, une puissante berline les prend, redémarre sur les chapeaux de roues. Gu et Liu découvrent vite leur nouveau problème : ivre, sur une route aux terribles virages en épingles à cheveux, l’homme fonce à plus de 100km/heure, manque plusieurs collisions, sans cesser de pouffer de rire ni d’accélérer chaque fois qu’ils l’implorent de ralentir, jusqu’au moment où, voyant ses passagers en prières et recommandant leurs âmes à Dieu, il finit par s’arrêter – ils s’enfuient sans demander leur reste…

En Irak, un tracteur les conduisit à la rescousse d’un village frappé d’un incendie. Ils aidèrent à porter les seaux, puis le sinistre une fois maîtrisé, devinrent les héros d’un banquet. Au moment de dormir, certains voulaient les inviter chez eux—mais le tractoriste insista pour les conduire au poste de police: seul endroit où leur sécurité serait assurée, face à tout kamikaze, terroriste ou kidnappeur.

De Budapest, un rond de cuir les emmena jusqu’ à Prague, dans une hilarité peu courante chez ce genre de très sérieux professionnel : vérificateur aux comptes, il se rendait à son nouveau travail, après des mois de dur chômage.

A Berlin enfin, devant la belle Ica, Gu put réciter le poème qu’il préparait depuis tout le voyage, sur sa longue marche vers le soleil couchant et vers sa bien-aimée : « la prochaine fois, répliqua la jeune femme évidemment douée d’un solide sens pratique, prends donc l’ avion, tu arriveras plus vite!»

Des journaux demandèrent quel avait été l’épisode le plus dur : « le départ », répondit Gu sans hésiter. A Pékin, au lac Houhai, une rare douche s’était abattue sur eux et personne n’avait voulu les prendre. Au péage autoroutier, le caissier s’était moqué, remarquant que « des voitures pour Berlin, par ici, y’en a pas des masses »… C’était ignorer qu’en Chine, la foi déplace les montagnes, et que

千里之行, 始于足下 (Qiān lǐ zhī xíng shǐ yú zú xià): « même un voyage de 1000 li, commence toujours par un premier pas » !

 

 

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