Aviation : “Mayday”, pilotes en détresse

“Mayday”, pilotes en détresse

Deux récents incidents ont ravivé l’inquiétude du public concernant la sécurité de l’aviation civile en Chine, en particulier en ce qui concerne la santé mentale des pilotes de ligne.

Le 1er juillet, à Jilin, Li Yuzhong, un pilote de China Southern Airlines âgé de 31 ans, a poignardé deux de ses examinateurs avant de se jeter par la fenêtre du 15ème étage. Selon les autorités, l’homme aurait mal vécu son échec à une évaluation qui l’avait conduit à être rétrogradé et momentanément immobilisé au sol. Si ses deux victimes ont survécu, l’affaire a soulevé de sérieuses questions sur la santé mentale des pilotes et les mécanismes de soutien (ou leur absence) dans les compagnies aériennes chinoises. Dans une lettre écrite la veille de son geste, le pilote dénonçait le harcèlement qu’il subissait au travail, des procédures d’inspection arbitraires et l’absence de syndicat dans l’aviation civile chinoise.

Il se trouve que ces dernières semaines, une notification de refus de l’Administration chinoise de l’aviation civile (CAAC) de publication du rapport sur le crash du vol MU5735, a fait le tour des réseaux sociaux. Le 21 mars 2022, le Boeing 737-800, exploité par la China Eastern Airlines s’était écrasé peu avant d’arriver à Canton, faisant 132 victimes – la catastrophe aérienne la plus meurtrière en Chine depuis 1994.

Si la CAAC avait publié deux rapports intérimaires sur le drame en 2023 et 2024, elle est étrangement restée silencieuse lors du 3ème anniversaire du crash en mars dernier, enfreignant ainsi les standards de l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI), qui imposent un rapport final dans l’année suivant un accident, ou à défaut, des déclarations annuelles sur les progrès de l’enquête.

Ce mutisme a provoqué la colère des familles des victimes et aggravé la méfiance du public, qui aimerait un jour connaître la vérité. Plusieurs instances mondiales, dont l’Association internationale du transport aérien (IATA), ont également exprimé leur mécontentement. « Enterrer des rapports d’accident pour des raisons politiques est inacceptable », a déclaré Willie Walsh, son directeur général.

Selon une capture d’écran diffusée sur les réseaux sociaux il y a quelques semaines, la CAAC aurait refusé de rendre son rapport public car il risquerait de « mettre en danger la sécurité nationale et la stabilité sociale ».

Cette fin de non-recevoir est en soi très révélatrice. Dès le mois de mai 2022, le Wall Street Journal, citant une personne proche de l’enquête (les boîtes noires ont été envoyées pour analyse aux États-Unis), révélait que les données du vol pointaient vers une cause intentionnelle : quelqu’un dans le cockpit aurait programmé une plongée quasi verticale de l’appareil, sans qu’aucun problème mécanique ne soit détecté, ni appel de détresse émis.

Cette hypothèse pourrait expliquer pourquoi la CAAC aurait ordonné dans les jours suivants le drame, un renforcement des contrôles de santé et du bien-être psychologique de tous les pilotes de vols commerciaux – même si, officiellement, les autorités chinoises continuent de rejeter la thèse du suicide d’un des pilotes. Si cela se confirme, ce serait la première fois dans l’histoire de l’aviation civile chinoise – qui jouit d’une solide réputation de sûreté – qu’un pilote de ligne se suicide en vol.

Derrière le mutisme des autorités, ce sont des failles systémiques qui apparaissent. Un article viral du blogueur Wang Ziren, rapidement censuré, affirme que « le système, pas l’individu, est inapte au vol ». Il dénonce un environnement professionnel opaque, marqué par le népotisme, l’absence de mobilité, la précarité des carrières et un système d’évaluation qui dissuade les pilotes de solliciter un accompagnement psychologique lorsqu’ils en ont le plus besoin. « Ils doivent faire semblant d’aller bien », écrit un spécialiste de l’aviation sur Zhihu.

De fait, dans plusieurs compagnies aériennes, le suivi psychologique des pilotes est devenu une simple formalité, voire un outil punitif. Les pilotes peuvent être cloués au sol sans raison valable, accusés d’« instabilité émotionnelle mettant en danger la sécurité aérienne » lors d’une banale formation de remise à niveau ou une inspection inopinée. Même des capitaines chevronnés et des instructeurs de vol peuvent se retrouver rétrogradés au rang de copilote du jour au lendemain… Cette gestion brutale fondée sur des « méthodes punitives » peut transformer des problèmes mineurs en crises majeures, pouvant pousser certains jusqu’au suicide.

Un autre article publié sur WeChat par le blogueur Xiang Dongliang dénonce la censure officielle et le secret qui entoure les pilotes de ligne, suggérant que lever ce voile d’opacité serait essentiel pour améliorer la sécurité des passagers. « Considérer les pilotes comme un “groupe sensible” permet aux compagnies aériennes de dissimuler une multitude de failles systémiques et de problèmes de gestion, tout en éludant leurs responsabilités et en minimisant les reproches », conclut Xiang.

Ce bilan peu flatteur, voire inquiétant, permet de mieux comprendre pourquoi les autorités redoutent de publier le rapport d’enquête du crash de MU5735. S’il paraît évident que la confiance du public dans les compagnies aériennes chinoises, sortirait ébranlée d’un tel drame, Pékin veut surtout éviter d’en porter la responsabilité institutionnelle, en ayant toléré un système négligeant la santé mentale de pilotes détenant entre leurs mains la vie de centaines de passagers.

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